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mercredi 30 décembre 2015

Faut-il épouser des hommes célèbres?

Faut-il épouser des hommes célèbres?


Les hommes célèbres sont-ils aptes à faire le bonheur de leurs femmes? Cette question, soulevée bien des fois, a été traitée à nouveau par un Anglais, M. J. Hardy, qui penche pour le contraire, naturellement. D'après lui, il est préférable de vivre heureuse et ignorée que d'unir sa destinée à celle d'un homme de génie!
Il paraît qu'en général, les hommes de génie sont de forts mauvais maris, dont le caractère égoïste et tyrannique met à une rude épreuve leur compagne douce et dévouée. Il faut qu'elle s'efface entièrement devant son mari et qu'elle cherche son bonheur dans l'accomplissement silencieux et passif des devoirs domestiques.
Telle Mme Carlisle, la femme du grand historien anglais qui ne pouvait se passer de sa femme, la voulait toujours près de lui, et qui, cependant lui reprochait jusqu'au bruit qu'elle faisait en tirant son aiguille.
- Jane, je vous entends respirer, lui cria-t-il un jour, exaspéré, lorsqu'elle eut déposé son ouvrage pour ne plus gêner cet époux difficile!
Milton, l'auteur du Paradis perdu, était si fort absorbé dans ses rêveries poétiques, qu'il ne songea jamais à offrir à sa femme, pendant toute sa vie, d'autres distractions que la lecture d'un chapitre de l'Ancien testament et une promenade solitaire à travers la campagne.
Le célèbre naturaliste Agassiz, continua ses études scientifiques jusque dans la chambre commune, et logea, un soir, les petits serpents qui l'intéressaient dans la pantoufle de sa femme. Le lendemain, celle-ci poussa un cri terrible et lui dit qu'elle venait d'apercevoir un de ces reptiles dans sa chaussure.
- Un seul, ma chère femme, dit le savant, c'est extraordinaire! J'en avais cependant mis trois, afin de les préserver du froid!

La revanche des femmes.

Il faut convenir que toutes les femmes ne sont pas d'humeur aussi douce et que, parfois, elles prennent leur revanche sur le sexe fort. A l'honneur de la femme, les cas sont rares.
Le plus célèbre exemple que l'antiquité nous ait conservé est celui de la fameuse Xantippe, toujours acharnée contre Socrate, son mari.
On cite, de nos jours, la femme du président Lincoln, qui inspirait à son époux une sorte de crainte. Il ne pouvait prendre sur lui de la contrarier. Il devint absolument l'esclave de sa femme, tellement irascible, et n'osa rien dire, ne sachant comment la démentir, lorsque le jardinier lui demanda s'il devait abattre le plus bel arbre de son domaine pour lequel Lincoln avait une admiration particulière, bien connue du jardinier.
- Si Madame vous a dit de le faire, répondit-il, résigné, n'hésitez pas à le détruire jusqu'à la racine.
A citer aussi, Lady Marlborough, la femme du célèbre général vainqueur à Malplaquet, à laquelle le vaillant soldat confessa humblement dans une lettre restée célèbre:
- Je crains moins les soixante mille armes de mon ennemi que toi, ma mie, quand tu te mets en colère.
Dans un autre ordre d'idée, le poète Byron eut non moins à souffrir de sa femme, turbulente et frivole, qui venait à tout moment le déranger, pour lui faire les communications les plus insipides, et qui lui reprochait amèrement de consacrer ses nuits au travail, la nuit étant faite pour dormir, disait-elle. En somme, elle avait peut-être raison.
L'opinion qu'un homme de génie ne peut épouser qu'une femme insignifiante, aux idées incolores ou absentes, se trouve souvent contredite, quoi qu'on puisse dire, par de nombreuses exceptions. A notre époque, les natures supérieures forment de remarquables alliances  et, bien souvent, l'intelligence de la femme devient le soutien du génie de l'homme quand elle ne le complète pas, ce qui arrive plus fréquemment qu'on ne le pense.
Par exemple, le grand compositeur Schumann trouva dans Clara Wiek, la célèbre pianiste, la femme la plus intelligente, la plus aimante, la plus dévouée. Quand le maître succomba à la folie qui le guettait depuis longtemps et qu'on dût l'enfermer dans une maison de santé, près de Bonn, sur le Rhin, sa femme s'y enferma avec lui et consola le pauvre malade par son dévouement inaltérable, lui faisant de la musique ou des lectures, toutes les fois que son état le permettait. Elle ne quitta cette retraite qu'après la mort de son mari pour se consacrer à sa carrière de professeur, à sa nombreuse famille et surtout au culte et à l'édition des œuvres de celui dont elle avait été la collaboratrice.
Dans un autre ordre d'idées, Anita, la première femme de Garibaldi, partagea tous ses dangers, l'accompagnant à cheval dans toutes ses expéditions militaires. La tendresse du général pour sa compagne était universellement connue.
Mme Alphonse Daudet, malgré son talent personnel d'écrivain, a été pour son mari une compagne modèle, corrigeant toutes ses épreuves et l'inspirant de ses conseils chaque fois que le grand romancier y avait recours.
Mme Jane Dieulafoy accompagna son mari dans ses expéditions lointaines, en Asie-Mineure, où elle s'identifia tellement avec son oeuvre qu'on se demande parfois quelle est la part qui revient exactement au mari et quelle est la part qui revient à sa femme, dans la découverte des monuments anciens qui ornent l'une des plus belles salles du Louvre.
Néanmoins, le bilan des unions malheureuses paraît dépasser celui des unions bien assorties pour celles ayant pensé trouver le bonheur dans la compagnie d'un homme célèbre. Si le public n'en sait rien, c'est que l'amour et le dévouement féminin viennent à bout de toutes les difficultés, la gloire qui rayonne autour du grand homme les dédommage des petites misères de la vie domestique qu'elles ont le tact de cacher au monde.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 mars 1908.

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