Jusqu'au bout.
La lecture des faits divers fournit parfois des sujets de méditation et des leçons d'héroïsme qui portent d'autant plus qu'elles sont impersonnelles.
Voyez donc celui-ci, découpé dans un journal, et dites-moi s'il n'est pas d'une force de persuasion supérieure aux plus éloquents discours:
"Un mécanicien de train sur route d'Arpajon, M. J. Pontiaz, demeurant rue Thibaut, a été frappé, hier, d'une attaque d'apoplexie pendant qu'il conduisait sa machine. Le train roulait alors en pleine vitesse le long du boulevard Saint-Michel. Pontiaz eut la présence d'esprit et la force d'arrêter brusquement son convoi, quand il ressentit les premières attaques du mal; puis il perdit connaissance et s'effondra sur sa plate-forme. Il est mort à l'hôpital Cochin où on l'avait transporté."
Sauver les voyageurs confiés à ses soins, n'est-ce pas le geste suprême que devait envier un honnête mécanicien ayant, durant toute son existence, guidé avec habilité ses convois?
C'est le couronnement de sa carrière; et rien ne peut mieux parler en l'honneur de son dévouement absolu, de son esprit de devoir que l'action in extremis accomplie par cet homme.
Sans doute, je ne voudrais pas soutenir, qu'en arrêtant sa machine il a mesuré, dans ses détails, la valeur du service qu'il rendait aux voyageurs.
Ce que j'admire ici, c'est la preuve irrécusable de la préoccupation constante qui hantait son esprit: transporter sans péril, ceux qui sont confiés à ses soins. Au moment où il se sent faiblir, où la conscience des choses lui échappe, il a une dernière volonté pour arrêter la mort prête à saisir ceux dont il a la garde.
Instinct peut-être, mais instinct sublime, car il n'est point inné dans l'âme, il est acquis par vingt, par trente années de labeur consciencieux et d'application à remplir son devoir.
La leçon découle limpide de ce noble exemple.
Nous devons tous nous efforcer de créer cette seconde nature, faite d'honneur, de dévouement et de courage.
La vertu exige de nous des efforts inouïs tels qu'aucun de nous ne pourrait les fournir incessamment; mais la souplesse de notre individu vient à notre secours, car elle diminue la violence de l'effort répété. Nous prenons l'habitude d'être bons, l'habitude de nous oublier nous-même pour autrui, l'habitude de contenir nos appétits, absolument comme le corps de l'acrobate parvient à prendre l'habitude de tel exercice qui, pour d'autres, est irréalisable.
Avez-vous déjà suivi la lutte quotidienne que doit s'imposer un malade condamné à ne plus boire de vin, à ne plus manger de viande, à se priver de sel ou de tel autre aliment dont il fait usage depuis son enfance? Les débuts sont pénibles: alternatives de sombre courage et de bruyantes révoltes, périodes d'accablement, mélancolies coupées de petites victoires; puis, peu à peu, l'habitude se prend et vient soulager le patient dans la continuité de son effort.
Efforçons-nous d'arriver à cet état idéal, où toutes les vertus, toutes les générosités nous deviennent naturelles; nous serons sûrs alors, non seulement de faire le bien chaque fois que nous aurons pleinement conscients, mais encore de le faire dans nos actes irraisonnés et nos gestes instinctifs.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 19 janvier 1908.
Efforçons-nous d'arriver à cet état idéal, où toutes les vertus, toutes les générosités nous deviennent naturelles; nous serons sûrs alors, non seulement de faire le bien chaque fois que nous aurons pleinement conscients, mais encore de le faire dans nos actes irraisonnés et nos gestes instinctifs.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 19 janvier 1908.
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