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mercredi 2 septembre 2015

Mme Cochin.

Mme Cochin.


Mme Augustin Cochin a été enlevée, presque subitement,  par une attaque d'influenza, le 4 mars dernier.
La mort de cette grande chrétienne, de cette véritable femme du bien, est, on peut le dire, un deuil public. Sa perte a été partout ressentie; dans la haute société parisienne, où son esprit distingué et son extrême bonté lui assuraient une grande et heureuse influence. - Dans les bonnes œuvres, qu'elle dirigeait par son jugement si sûr, qu'elle vivifiait par son infatigable activité, par son ardent amour du bien.
Mme Cochin n'était âgée que de soixante et un ans. Elle était la fille du comte d'Azy, qui présida les Assemblées Nationales de 1849 et de 1871. A l'âge de 19 ans, en 1849, elle avait épousé son cousin, M. Augustin Cochin, dont le nom et les œuvres sont dans toutes les mémoires. Elle fut pour lui une compagne d'élite, sans cesse associée aux travaux de sa haute intelligence, à ses nobles luttes pour la foi, l'Eglise et la liberté, comme aux œuvres charitables auxquelles il consacrait le meilleur de son temps.
Avec lui et auprès de lui, elle apprit à connaître les salles d'asiles, les maisons de vieillards, des Petites sœurs des Pauvres, les premiers Cercles d'ouvriers, la société de secours aux blessés militaires, l'asile des Infirmes de la rue Lecourbe.
Quel est le nombre des Orphelins ou des Crèches, des Ecoles, des Asiles, que M. et Mme Cochin ont contribué à fonder, à maintenir, à développer? Quel est le nombre des misères qu'ils ont connues et secourues, des blessés de la vie qu'ils ont assistés, des malheureux qu'ils ont consolés?
Partout où Mme Cochin paraissait, elle était assurée de tenir la première place, et cela forcément et malgré elle, car sa modestie, la portait à l'effacement et à la retraite. Mais elle ne savait pas refuser à une oeuvre vraiment bonne le concours de son zèle, même au prix de son repos.
C'est pendant la guerre de 1870 que l'activité bienfaisante de Mme Cochin trouve le plus d'occasions de s'exercer. Son fils aîné était, à 19 ans, comme engagé volontaire à l'armée de l'Est, séparé d'elle pendant cinq mois sans pouvoir une seule fois lui donner de ses nouvelles; son mari et son second fils montaient la garde sous les obus au Point-du-Jour. Faisant taire ses angoisses maternelles, et surmontant toutes les délicatesses de la nature, elle passa toutes ses journées à l'ambulance du Palais de l'Industrie dès les premières batailles, puis au Grand Hôtel, au chevet des malades, des blessés et des mourants. Là, elle fit vaillamment, et avec les soins les plus minutieux, son métier d'infirmière, ne reculant devant aucune besogne, si basse et rebutante qu'elle fut; elle ranimait le courage de tous ceux qui l'entouraient, infirmiers et malades, par sa constante bonne humeur et savait rendre la confiance et l'espoir en Dieu aux plus désespérés. En même temps, elle trouvait le moyen de s'occuper d'autres œuvres encore, notamment des fourneaux économiques.
Quand la guerre et la Commune eurent couvert la France de ruines, elle se dévoua aux innocentes victimes de la Patrie, et prit une part très importante à la création de l'oeuvre que l'on appela: "Oeuvre des Orphelins de la Guerre". Puis son mari ayant été appelé à la Préfecture de Versailles, elle s'applique en Seine-et-Oise, comme elle l'avait fait à Paris, à réparer les misères que la guerre avait laissées derrière elle. Nous rappelons notamment quelle part elle prit à la reconstruction des églises, des écoles, des villages même tout entiers, tel que Ablis et Garches.
En 1872, Dieu sépara les deux âmes qu'il lui avait plu d'unir si tendrement pour le bien, la vertu, et la charité. Augustin Cochin mourut.
Son admirable compagne lui a survécu vingt ans, trouvant dans la foi et dans la prière le courage de vivre encore, de parachever l'éducation de ses trois fils, dont elle a fait ses hommes, de continuer les œuvres de son mari et la tradition de sainte activité qu'il lui avait laissé.
Ces vingt ans furent une longue préparation à la mort. A mesure que Mme Cochin avançait dans la vie, sa bonté, son angélique piété, son désir de tout ce qui est beau et haut, son amour de Dieu et des pauvres n'avaient fait que croître. Elle était la joie des siens, et pour tous ceux qui l'approchaient, un conseil, un exemple, un appui, une lumière. Elle avançait chaque jour en vertu et en mérite, comme en charme, en bienveillance et en sérénité.
C'est dans cet état qu'il a plu à Dieu de la prendre et de la rappeler à lui. Telle est la confiance, telle est la consolation qu'il a donné à ceux qu'elle a quittés et qui la pleurent si justement.
Jamais nous n'avons vu foule plus nombreuse, si surtout plus émue qu'auprès du cercueil de Mme Cochin. Chacune des personnes présentes semblait avoir fait une perte personnelle. C'était un grand et inoubliable spectacle. En tête du cortège funèbre, marchaient péniblement cent pauvres enfants infirmes de l'asile des frères de Saint-Jean de Dieu. Et c'est dans la chapelle de l'hôpital Cochin, au pied de l'autel, parmi les pauvres encore et les malades, que repose, auprès de son mari, Mme Augustin Cochin; digne lieu de repos pour de pareils chrétiens.

                                                                                                                            Y***

La France illustrée, journal universel, 9 avril 1892.

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