Les petits ramasseurs de crottin.
I
Les samedis, jours de marchés,
Les maquignons, les maraîchers,
Sur leurs carrioles juchés,
Les paysannes
Et paysans des environs,
En bonnets blancs, en chapeaux ronds,
Au trot sec de leurs percherons
Ou de leurs ânes;
Les gros fermiers menant bon train,
Marchands de bœufs, marchand de grain,
Dévalent vers le champ forain,
Et sur leur trace,
Les attelages derrière eux
Laissent le long des chemins creux
Un semis de crottin poudreux
De place en place.
III
- C'est le fumier des pauvres gens:
Aussi, dès l'aube, diligents,
Les infirmes, les indigents
Et les aïeules,
S'en vont glaner, comme un trésor,
Le crottin roux, pailleté d'or,
Qui féconde la terre où dort
IV
Les plus âpres sont deux marmots,
Deux tout petits frères jumeaux,
Effrontés comme des moineaux
Et comme eux prestes;
Partis dès le soleil levant,
C'est eux qu'on voit toujours devant,
Et les autres en les suivant
N'ont que leurs restes.
V
Ils ont bien ensemble douze ans;
Ils ont les yeux vifs et luisants
Et l'air futé des paysans
A la maraude;
Leurs cheveux pâles sont d'or vert,
Et, par leur pantalon ouvert,
La bise frappe à découvert
Leur chair rougeaude.
VI
Avec leur panier plus lourd qu'eux
Ils détalent, les petits gueux,
Et leurs coups de balai fougueux
Font place nette.
Les autres peuvent retourner;
Inutile de s'obstiner!...
- seule après eux, trouve à glaner
VII
Ils sont pour elle complaisants
Et les deux petits paysans
Prennent en pitié ses vieux ans,
Ses vieilles jambes:
Car la pauvre en a bien besoin
Pour cultiver son petit coin
Eux, ils iront un peu plus loin,
Ils sont ingambes!
VIII
Et quand elle les suit de près
Pour elle, ils laissent tout exprès
Les plus beaux tas de crottin frais
Sur son passage;
Et cette aumône du glaneur,
Vaut bien celle qui fit honneur
Au patriarche moissonneur,
Booz, le Sage.
Armand Masson.
L'Illustration, samedi 25 juillet 1891.
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