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mardi 29 septembre 2015

La verrerie noire.

La verrerie noire.


La grève des ouvriers de la verrerie noire appelle en ce moment l'attention sur un côté intéressant d'une de nos grandes industries françaises. On désigne sous le nom d'ouvriers de la verrerie noire ceux qui s'occupent uniquement de la fabrication de la bouteille. Il existe, en France, 42 verreries réparties en six régions: le Nord; Lyon, qui comprend Givors et Rive-de-Gier; le Centre, qui comprend la Loire; puis l'Aisne et la Marne; enfin Marseille et Bordeaux. La corporation compte 6.000 ouvriers qui fabriquent annuellement 175 millions de bouteilles.
Ces quelques détails montrent l'importance de la verrerie noire. Examinons maintenant la gravité des résolutions prises de part et d'autre.
Les ouvriers ne veulent en aucune façon transiger et cette solidarité va si loin que même dans les fabriques, comme à Carmaux par exemple, où l'entente est parfaite, où les ouvriers se déclarent suffisamment rémunérés, ils n'ont pas hésité cependant à cesser le travail par pure solidarité pour leurs camarades. Les patrons, de leur côté, ont décidé de laisser éteindre les fours: or, dans la verrerie, comme dans les hauts fourneaux, un four allumé ne doit plus s'éteindre, on est obligé de marcher à feu continu, parce que, une fois éteint, six semaines au moins sont nécessaires pour le réparer et le rallumer. Les matières réfractaires qui le composent s'effritent en refroidissant, il se produit des éboulements, des fissures qui mettent hors d'usage un appareil dont le prix de revient dépasse en général 100.000 francs.
A l'heure actuelle les fours sont éteints, le chômage a donc commencé et se prolongera; et si demain, ce qui est possible, la gobeletterie, c'est à dire les ouvriers qui fabriquent les verres à boire, les bouteilles à siphon et les différents objets de verre, si les vitriers entrent aussi dans le mouvement, ce sera une grève générale de la verrerie.
Gobeletterie et verrerie noire ne diffèrent d'ailleurs pas essentiellement comme installation et comme travail.
Maintenant que nous connaissons la situation, présentons, au fort de leur travail, ceux qui ont fait grève. C'est à Dorignies, chez M. Alain Chartier, où la grève a débuté et qui a mis une obligeance extrême à nous fournir tous les documents nécessaires, que nos dessins ont été pris.
Nous sommes sous un immense hangar, ouvert à tous les vents; un énorme massif cylindrique de maçonnerie en occupe le centre, sur ce massif les fours, de gros bâtis de briques réfractaires, sont établis. Chaque four présente une porte et une série d'ouvertures. Le dernier perfectionnement est le chauffage et la mise en fusion des matières au moyen du gaz. C'est un four à gaz que nous allons voir fonctionner.
Au dehors du hangar, cet homme gros et fort qui sans cesse agite une longue tige de fer que successivement il enfonce dans une série de trous percés à la base d'une sorte de dôme en fonte, est, le gazier piquant son gazogène



Il remue en tous sens le coke d'où naît le gaz qui de là, au fur et à mesure de sa fabrication sur place, se rend dans le fourneau pour s'y enflammer et mettre en fusion la matière vitrifiable qu'il contient. Tout à coup, en effet, un coup de lumière intense éclaire le hall; le fondeur du four à gaz vient, à l'aide de sa palette, de jeter dans le four de la matière qu'il a prise dans un tas à côté de lui sur le sol. 



Notre dessin nous le montre, grand, maigre et musclé, la figure préservée par le chapeau rabattu et malgré cela tannée, cuite et couperosée par les coups de feu.




Mais les trois hommes sont venus se placer devant chacune des ouvertures antérieures du four, vêtus de toile bleue, les bras nus, les pieds chaussés de pantoufles exprès très éculées pour pouvoir être instantanément rejetées si une crotte de verre en fusion tombait sur leurs pieds. En terme de métier ces trois hommes forment une place et s'appellent grand garçon, souffleur et gamin. Ils vont travailler avec une extrême rapidité pour que la bouteille soit finie avant que la substance ait eu le temps de se refroidir.




Déjà le grand garçon a enfoncé l'extrémité de sa canne dans une des ouvertures, il l'a retirée garnie d'une petite quantité de matière en fusion de la grosseur du poing que l'on appelle la paraison. De son habilité et de son coup d’œil dans cette cueillette dépendront la grosseur et la contenance de la bouteille. Aussitôt il a soufflé vigoureusement dans la canne. L'enflure invraisemblable de ses joues que reproduit notre dessin, et qui le fait ressembler à Eole, n'est en aucune façon exagérée, tout au contraire. Il y en a dont les joues arrivent à former de véritables outres. Il souffle encore un coup en tenant la canne horizontalement, puis, pendant que ses joues retombent flasques et ridées, il passe la canne au souffleur. Celui-ci introduit immédiatement la partie soufflée dans un moule en fer à charnière qu'un tendeur de moule ouvre au-dessous de lui, puis il souffle de manière à bien mouler sa bouteille. Celle-ci est aussitôt retirée et le gamin à son tour s'en saisit pour lui faire la bague du col au moyen d'un peu de matière qu'il prend au bout d'une baguette de fer. Un petit coup sec sur le rebord du fer, et la bouteille est séparée de sa canne. Elle est faite. Il ne reste plus, pour qu'elle ne se refroidisse pas brusquement, qu'à lui faire traverser sur un petit chariot un courant d'air chaud, puis à la faire examiner par le vérificateur qui, debout près d'une grande fenêtre, la prend aux mains d'une trieuse, l'examine par transparence et casse celles qui présentent des défauts.




Nous savons comment se fait une bouteille et nous avons vu à l'oeuvre nos ouvriers. Un mot pour terminer. Le souffleur gagne de 350 à 400 francs par mois, le grand garçon de 175 à 220, et le gamin de 120 à 140. On le voit, ce sont des salaires, au demeurant raisonnables. Les grévistes demandaient 45% de plus et protestent contre la vérification et la casse, qui leur occasionnent, on le comprend, des déchets. Disons enfin qu'il existent en ce moment en France un stock de bouteilles représentant seulement la consommation de deux semaines.

                                                                                                                       Hacks.

La Science illustrée, 6 novembre 1891.

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