M. Emile Gebhart.
A la nouvelle que le successeur d'Octave Gréard à l'Académie française était M. Emile Gebhart, nombre de personnes, parmi celles qui s'intéressent aux lettres, ont dû s'exclamer: "Encore un inconnu qui entre à l'Académie, quand Georges Ohnet n'en est pas!" Or, cette nomination est précisément de celles qui peuvent le mieux relever le prestige de l'illustre et hétéroclite assemblée.
M. Gebhart n'est pas connu du grand public. En revanche, il est très goûté des habitués de la Sorbonne, et particulièrement des dames, pour lesquelles il apporte à chacune de ses conférences un choix de plaisanteries légères et d'histoires égrillardes. Peut-être avez-vous assisté à ces causeries sans en remarquer les passages les plus piquants, car ce sont des régals discrets qu'il offre aux fidèles occupants des premières places. Ils ont plus de saveur à être servis dans cette semi-intimité.
Conteur charmant, délicieux, fin, exquis, telles sont les épithètes qu'on attribue d'ordinaire à ceux qui savent amener des sourires équivoques sur de jolies lèvres. Nul ne contestera ce talent à M. Gebhart. Il en a d'autres aussi, qui font de ses ouvrages des livres d'une profonde érudition et d'un grand agrément. Les sujets en sont généralement pris dans l'histoire de l'art ou dans l'histoire littéraire. Ses tendances devaient le porter naturellement à aimer Rabelais: il a fait sur cet auteur et sur son époque un livre qui est regardé comme un chef-d'oeuvre. Il a même écrit des ouvrages de pure fantaisie tels qu'Autour d'une tiare, sorte de roman historique et d'Ulysse à Panurge, recueil de trois contes. Dans l'un d'eux, il se demande ce qu'à bien pu faire Ulysse, lorsqu'il fut enfin rentré dans l'île d'Ithaque, si impatiemment désirée, et il conclut qu'il n'a pu que regretter ses voyages et reprendre la mer. Idée spirituelle et développée avec finesse, et parfois avec grandeur.
M. Gebhart se distingue surtout par cette qualité spéciale qu'on appelle le goût et qui est la parure de l'intelligence. Nous ne le verrons peut-être plus faire de nouveaux livres, car il a maintenant soixante-cinq ans et autant d'honneurs qu'on peut en souhaiter, mais il trouvera sûrement pour remercier ses confrères, des paroles adroites, qu'il soulignera de ce sourire un peu narquois qui le le quitte guère. Je recommande à mes lectrices d'aller écouter son discours de réception: ce sera presque aussi drôle que du Lavedan, sinon aussi convenable.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 5 mars 1905.
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