Colonisation des bords de la Mana.
En 1819, la Restauration, qui n'avait pas encore fait la conquête d'Alger, cherchait, dans certaines parties du continent américain, des lieux où elle pût opérer l'écoulement de la population surabondante du royaume; de celle qui se trouvait privée de travail par l'emploi des machines, et de celle, plus nombreuse et plus remuante, qui se multiplie au sein des vices et de l'oisiveté des grandes villes.
Les rives de la Mana parurent propres à offrir à des familles pauvres une existence qui leur était refusé en France. Des explorateurs furent chargés de reconnaître le pays, à la distance de 5 à 6 lieues des abords de cette rivière, et de tâcher de découvrir, sur les terres hautes, , entre Maroni et le Sinamary, un site que son étendue, sa fertilité et ses moyens de communications avec la mer rendaient susceptible de devenir une colonie fondée et cultivée par des Européens.
Construire quelques logements, entreprendre quelques cultures, et choisir dans l'escorte un nombre d'hommes suffisant pour le premier essai, telles furent les instructions données aux explorateurs. Leur rapport fut favorable au projet d'établissement. La Mana, navigable pour de grands bâtiments jusqu'à 4 lieues de son embouchure, peut être remontée par des caboteurs jusqu'à 7 ou 8 lieues, et jusqu'à 30 par des barques plates et des pirogues. Les rivières qui débouchent dans la Mana sont, jusqu'à une assez grande distance de leur confluent, presque toutes navigables ou susceptibles de le devenir, sans exiger de grands travaux. Terme moyen, la température était alors de 22 degrés de Réaumur dans les parties basses, et seulement de 20 degrés dans les parties supérieures du pays. Les arbres de différentes espèces dont se composent les immenses forêts de ces contrées sont pour la plupart propres aux constructions navales. On ne rencontre sans ces lieux ni animaux ni reptiles dangereux. Les tribus d'Indiens, éparses sur le terrain exploré, sont fort peu nombreuses et d'un caractère inoffensif; et les nègres, échappés de Surinam pour s'établir sur le Maroni ne sont pas beaucoup plus redoutables que les indiens. Les terres parurent propres à la production de toutes les plantes tropicales; et, quant au climat, les explorateurs n'en éprouvèrent aucune influence fâcheuse, malgré l'abondance des pluies, les privations de toute espèce et les fatigues qu'ils avaient éprouvées pendant les cinquante jours que leur exploration avait duré.
Cependant les résultats n'ont point justifié les espérances que le rapport avait fait concevoir. En 1820 et 1821, des agriculteurs chinois, tirés de Manille, et quelques familles de Settlers des Etats-Unis furent transportés à la Guyane; mais, quoique leur subsistance ait été assurée pour une année, que l'on eût mis à leur disposition des maisons, des bœufs de labourage, des instruments aratoires, des terres excellentes, et que toute les précautions nécessaires à la conservation de leur santé eussent été prises, au bout d'un an, il ne restait plus, des vingt individus composant les sept familles américaines, qu'une femme et quatre enfants: on les fit partir pour Boston. Quant aux vingt-sept Chinois et aux cinq Malais sur lesquels on avait compté pour jeter les fondements d'une colonie, après avoir inutilement tout tenté pendant quatorze mois pour vaincre leur paresse, il fallut les faire venir à Cayenne où on les attacha au jardin du roi.
Une nouvelle expédition composée d'ouvriers militaires, de sapeurs, d'orphelins et d'orphelines, au nombre de cent soixante quatre, fut envoyé à la Mana et installée au mois de juillet 1823. La caserne assez grande pour contenir deux à trois cent personnes, avait été préparé pour les recevoir. Mais les orphelines s'abandonnèrent à la paresse et au libertinage, les ouvriers s'adonnèrent à l'ivrognerie. Pour réprimer le désordre, la présence d'un détachement de gendarmerie devint nécessaire, et il fallut tirer des habitations domaniales des esclaves pour remplacer les ouvriers.
Vers la fin de 1823, trois agriculteurs alsaciens, et au mois de décembre 1824, trois familles du Jura, composées de vingt-sept personnes, arrivèrent à la Mana, sous la conduite d'agents du gouvernement. Chaque famille reçu en partage une maison pourvue des meubles nécessaires et des principaux ustensiles de ménage, des outils, des instruments aratoires. une cinquantaine de têtes de gros et de menu bétail, des jardins, des terres défrichées et plantées en riz, en maïs, en manioc, et deux mille bananiers prêts à donner leurs fruits, leur furent en outre concédés, et de vastes savanes furent mises en commun. Les premiers travaux eurent une pleine réussite; mais ce succès ne se soutint pas: dès la seconde année, des chaleurs excessives détruisirent la moitié de la récolte. Le découragement gagna les cultivateurs; des trois familles une seule continua à s'adonner au travail des champs, les deux autres, pour ne pas mourir de faim, se livrèrent à la chasse et à la pêche. Dans les premiers mois de 1828, les trois familles, presque également réduites à l'état le plus misérable, demandèrent à revenir en France, et il fallut en ramener les restes.
La dernière expédition pour la Mana a été conçue et exécutée par une femme. Madame Javouhey, supérieure générale de la Congrégation des sœurs de Saint-Joseph-de-Cluny, qui, depuis quelques années, fournissent aux Colonies des sœurs hospitalières et institutrices, soumit, en 1827, au ministère de la marine, un plan de colonisation dans cette partie de la Guyane française. Le but était de fonder des établissements où un grand nombre d'orphelins des deux sexes devaient être élevés dans le goût du travail, et se créer, par l'exploitation du sol, un avenir qui affranchit la métropole du fardeau qu'ils lui imposaient. Tout devait être en commun, l'esprit d'association étant la base de l'établissement. Des cultivateurs s'engageaient, moyennant un salaire convenu, outre la nourriture, l'entretien et le logement, à travailler pendant trois ans; et si, au bout de ce temps, ils voulaient se fixer dans la colonie, la communauté s'obligeait a les doter d'une étendue de terre suffisante pour assurer leur avenir et celui de leur famille. Quinze hectares de terres défrichées, des constructions en bois au port de la Nouvelle-Angoulème et au bourg de Cormoran, les frais de trousseau, de déplacement, de voyage et d'installation des émigrants, les dépenses de leur entretien, de leur nourriture et de leurs traitements en cas de maladie pendant les deux premières années de leur séjour, tels furent les avantages assurés aux quatre-vingt six personnes qui s'embarquèrent à Brest et arrivèrent à la Mana vers la fin août 1828, sous la conduite de madame Javouhey. Tout dans le régime intérieur de cette association fut placé sous l'entière dépendance de la supérieure; il fut interdit par le gouvernement à l'administration locale de s'immiscer dans les affaires et la police de la colonie naissante.
La culture des vivres et l'éducation des bestiaux devinrent l'objet des premiers soins de madame Javouhey. Ces cultures furent productives, et les bestiaux se multiplièrent assez promptement pour engager cette dame à demander l'envoi de cinquante-deux nouvelles sœurs et de deux cents orphelins de l'un et l'autre sexe, de l'âge de trente à quarante ans. D'années en années, les envois devaient continuer d'avoir lieu jusqu'à ce qui y eût assez d'orphelins pour peupler quatre villages de mille habitants chacun.
Mais le gouvernement jugea prudent d'attendre que le temps eût justifié et réalisé les espérances que les premiers succès avaient fait naître. Dès le principe de l'établissement, madame Javouhey fut obligée de renvoyer neuf colons cultivateurs qui lui avaient donné des sujets de mécontentement. Lorsque le terme des engagements des autres fut arrivé, tous, à l'exception de trois, se détachèrent de la communauté; le plus grand nombre est revenu en France. Cinq ou six, au plus, se sont établis à leur compte au port de la Nouvelle-Angoulème ou dans d'autres parties de la Guyane.
Madame Javouhey ne recevait plus, depuis la fin d'août 1830, aucune subvention du gouvernement français, et il ne lui restait plus que trente-deux personnes de couleur blanche. Elle leur adjoignit trente-noirs esclaves qu'elle acheta. A la fin de 1832, le nombre des carrés défrichés et réservés à la culture des plantes alimentaires était de quarante-deux, et la nourriture de la petite colonie se trouvait assurée pour une année. Mais si les revenus de l'établissement étaient suffisants pour subvenir à tous les besoins des colons, déjà la colonie fondait ses ressources sur une industrie étrangère à l'agriculture. Les laboureurs du jura avaient été obligés pour vivre de se faire chasseurs et pêcheurs; les esclaves de madame Javouhey ont été en partie occupés à l'exploitation des bois de charpente et de menuiserie: cette dame vendait aux commerçants de Cayenne et de la Martinique des madriers et des planches d'acajou. Déjà elle préférait cette branche d'industrie, même à l'éducation des bestiaux; et son établissement, d'agricole qu'il devait être, devenait commercial et industriel.
Ce n'est plus aujourd'hui qu'une entreprise particulière, et le gouvernement renonce aux essais de la colonisation dans la Guyane par des travailleurs européens; car il est démontré que deux cents noirs peuvent, dans le même espace de temps, faire autant de travail que six cents blancs; où ceux-ci perdent quinze individus sur six cents, les nègres n'en perdent que deux. Les terres hautes, qui sont les plus saines, ne sont pas longtemps fertiles, et les terres d'alluvions, qui seules sont fécondes, produisent des myriades d'insectes dont la piqûre est insupportable aux Européens.
Le Magasin universel, juillet 1837.
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