Paracelse.
Paracelse est né en 1493. L'étrange inscription suivante, reproduite en dessous d'un de ses nombreux portraits, explique laconiquement ce que beaucoup de ses contemporains pensèrent de lui: "Tout ce qu'on trouve en Paracelse de parfait lui vient de Dieu, ce qu'il eut de mauvais lui vient du diable."
Les véritables nom et prénom de ce personnage célèbre étaient: Philippe-Auréole-Théophraste Bombast de Hohenheim (1). Il étudia d'abord avec ardeur sous la direction de son père, gentilhomme souabe, au lieu de sa naissance, en Suisse, à Einsideln. Des difficultés d'une nature pénible l'obligèrent à s'éloigner de la maison paternelle. Il était dès ce temps initié à l'art de guérir; de plus, il avait beaucoup lu, beaucoup observé et médité, et son esprit pénétrant dédaignait les vaines théories qui obscurcissaient la pratique de la médecine bien plus qu'elle ne servaient à ses progrès. Il voyagea d'abord en Suisse, interrogeant de préférence toutes les personnes qui paraissaient s'en rapporter plus à leurs observations propres qu'aux traditions. Il visitait les alchimistes, les simples barbiers faisant alors de la chirurgie, voire même les esprits audacieux qui ne reculaient pas devant la réputation de magiciens. Toutes les sciences l'intéressaient. Il alla dans maintes villes de l'Allemagne et du Tyrol, descendant au fond des mines et se chauffant aux forges, où de rudes ouvriers l'instruisaient des métamorphoses que les métaux subissaient grâce à leurs travaux. Parfois, dans ses excursions aventureuses, il rencontrait d'opulents industriels, tels que les Fugger, les Rothschild de leur temps, qui le devinaient et se prenaient de sympathie pour lui.
Cette existence vagabonde l'amena à une conviction qui fut à la fois le tourment et l'honneur de sa courte existence. Selon lui, il fallait faire table rase de la science du passé et s'efforcer d'oublier la docte antiquité. Il brûla, dit-on, les livres de Gallien et d'Avicenne. Ce fut une erreur: il ne faut jamais rien brûler.
On croit que, malgré son mépris pour les savants de son temps, il se fit recevoir docteur.
Il paraît certain qu'il assista à plusieurs batailles, comme chirurgien militaire, en Italie, en Allemagne, en Danemark même. Ce fut pour lui certainement une école excellente: il y prit des allures guerrières. plusieurs de ses portraits (on en connait trente-cinq) le montrent armé d'une épée formidable, dont le pommeau énorme renfermait certains médicaments qu'il employait sur le champ de bataille.
Le portrait attribué à Albert Durer, et que nous reproduisons, le montre sous un aspect très paisible, on croirait même lire sur ses traits une certaine bonhomie; cependant on s'accorde à reconnaître qu'il fut toute sa vie très orgueilleux et souvent offensif dans son langage comme dans ses écrits. On en jugera par ce peu de lignes traduites fidèlement de son Répertoire écrit en bas-allemand:
Le portrait attribué à Albert Durer, et que nous reproduisons, le montre sous un aspect très paisible, on croirait même lire sur ses traits une certaine bonhomie; cependant on s'accorde à reconnaître qu'il fut toute sa vie très orgueilleux et souvent offensif dans son langage comme dans ses écrits. On en jugera par ce peu de lignes traduites fidèlement de son Répertoire écrit en bas-allemand:
"Vous qui, après avoir étudié Hippocrate, Galien, Avicenne, croyez tout savoir, vous ne savez encore rien; vous voulez prescrire des médicaments, et vous ignorez l'art de les préparer! La chimie vous donne la solution de tous les problèmes de la physiologie, de la pathologie et de la thérapeutique, en dehors de la chimie vous tâtonnez dans les ténèbres...
" Vous médecins de Paris, de Montpellier, d'Italie, grecs, sarmates, arabes, israélites, vous devez tous me suivre; ce n'est pas à moi de vous suivre: si vous ne vous ralliez pas à ma bannière, vous ne serez pas digne qu'un chien lève contre vous sa patte de derrière...
" Que faites-vous donc, physiciens et docteurs? Vous ne voyez donc pas clair? Avez-vous des escarboucles à la place des yeux? Votre prince Gallien est dans l'enfer, et si vous saviez tout ce qu'il m'a écrit de ce lieu, vous feriez le signe de la croix avec la queue d'un renard. Votre Avicenne est à l'entrée du purgatoire; j'ai discuté avec lui sur l'or potable, sur la teinture des physiciens, sur la quintessence, sur la pierre philosophale, sur la thériaque. O hypocrites, qui ne voulez pas écouter la voix d'un médecin instruit dans les œuvres de Dieu! Après ma mort, mes disciples découvriront vos impostures, ils feront connaître vos sales drogues...
" Parlez-moi plutôt des médecins spagiriques (chimistes): ceux-là du moins ne sont pas paresseux comme les autres; ils ne sont pas habillés en beau velours, en soie ou en taffetas; ils ne portent pas de bague d'or aux doigts, ni de gants blancs. Les médecins spagiriques attendent avec patience, jour et nuit, le résultat de leurs travaux. Ils ne fréquentent pas les lieux publics; ils passent leur temps dans les laboratoires. Ils portent des culottes de peau, avec un tablier de peau pour s'essuyer les mains. Ils sont noirs et enfumés comme des forgerons et des charbonniers. Ils parlent peu et ne vantent pas leurs médicaments, sachant bien que c'est à l'oeuvre qu'on reconnaît l'ouvrier. (2)"
Avant de tenir ce fier et dur langage, dès l'âge de trente ans, Paracelse avait opéré des cures réputées merveilleuses et qui lui aurait donné une autorité que l'on ne contestait plus. La ville de Bâle l'engagea à venir professer dans ses murs. Contre l'usage, ce fut en allemand qu'il y fit ses cours, dédaignant de s'exprimer en latin, comme ses confrères, et laissant même planer quelque doute sur la connaissance qu'il pouvait avoir de cette langue, appliquée alors à toutes les sciences. Il était écouté avec enthousiasme par les uns, dénigré par les autres; mais sa réputation allait encore grandissant, lorsque la violence de son caractère vint interrompre la vie comparativement paisible qu'il menait depuis son arrivée à Bâle. Un chanoine nommé Cornel de Lichtenfels, que tourmentait cruellement la goutte, lui promit deux cents florins s'il parvenait à le guérir; mais trois pilules d'opium ayant suffit pour apaiser son mal, il refusa de payer les deux cents florins (3) et eut recours aux magistrats, qui lui donnèrent gain de cause et réduisirent à six florins les honoraires du professeur. La colère de Paracelse s'exhala dans le langage que nous lui connaissons; l'irritation de la magistrature lui fit pressentir la punition qu'on lui réservait; il décampa de la ville de Bâle, léger de tout bagage scientifique, ainsi que cela lui arrivait toujours, puisque sa bibliothèque, disait-il parfois, pouvait tenir dans dix feuillets.
" A partir de ce moment, dit le docteur Hœfer, son biographe le plus autorisé, il mena une vie très-aventureuse. On le trouve successivement en Alsace en 1528, à Nuremberg en 1529, à Saint-Gall en 1531, à Pfefferbade en 1535, à Augsbourg en 1536. Il parcourut ensuite la Moravie, l'Autriche, la Hongrie; il dédia en 1537, à Villach, sa Chronique à l'archevêque de Carinthie."
La ville de Mendelheim l'accueillit en 1540; il demeura au plus un an à Salzbourg, et ce fut dans l'hôpital de Saint-Etienne qu'il finit ses jours, le 24 septembre 1541.
La dernière conception de ce génie audacieux fut, dit-on, la création d'un être doué de toute les facultés de l'homme sous une forme amoindrie et qu'il appelait l'homunculus. "L'homme, dit-il, dans son langage parfois énigmatique, est une vapeur condensée; il retournera en vapeur d'où il est sorti." Disons toutefois, que cette chimérique prétention du docteur, qu'on jugea diabolique, n'est pas parfaitement établie. D'autres opinions non moins absurdes lui furent attribuées, peut être à tort et avec malignité, par plusieurs de ses ennemis, à la tête desquels il faut mettre son ancien disciple Oporinus, qui lui reprochait de lui avoir célé ses secrets les plus précieux. La critique moderne a démontré que des dix volumes écrit en allemand, réunis sous son nom en l'année 1589 (4), c'est à dire près d'un demi-siècle après sa mort, la plus grande partie n'est pas entièrement son oeuvre. Trois de de ses traités tout au plus parurent de son vivant; dix sont considérés comme authentiques, mais les fausses interprétations qu'on a mêlées à ses véritables écrits sont innombrables. M. Marx l'a disculpé en ces derniers temps de beaucoup d'imputations mensongères; il a prouvé que non-seulement il rejetait ouvertement les erreurs de l'astrologie et que les alchimistes ne se glorifiaient point de ses travaux, mais il a établi que les formes concises de son style n'admettait pas le fatras parfois grotesque dans lequel on noyait ses prétendues doctrines. Au dire de ce savant, il n'y aurait pas plus de réalité dans ce qu'on a dit de son ivrognerie habituelle et les désordres de sa vie privée, qu'il y en avait dans la confusion parfois si hétéroclite de ses écrits.
"Supérieur à tous ses contemporains, Paracelse est en possession de la vraie méthode scientifique. il montre la même sûreté de coup d’œil lorsqu'il enseigne que le médecin ne doit pas forcer la nature... Il admet dans chaque organisme un moteur secret, l'archée, le principe vital moderne qui veille à la réparation des forces, à l'élimination des causes morbides; le médecin doit s'attacher à faciliter les fonctions de cette archée: dans le cas de blessure, par exemple, il doit s'attacher à empêcher les agents extérieurs de contrarier la guérison qui se fait de soi-même par l'intervention du baume naturel (mumie) qui réside dans le corps. C'est en raison des mêmes principes qu'il conseille souvent les calmants, la diète, et qu'il veut qu'on soit de la plus grande modération dans l'emploi des évacuatoires et des médicaments violents, tels que le mercure.
"Un autre mérite de Paracelse fut de fonder la médecine sur la connaissance exacte de la chimie. il chercha le premier à reconnaître les principes actifs des drogues afin de les simplifier et de les employer en moindres doses; il réussit à faire rejeter l'usage des électuaires et des mixtures compliquées et répugnantes des Arabes.
"Tels sont les services éminents que Paracelse a rendu à l'humanité souffrante, pour laquelle il montra toujours le dévouement le plus désintéressé; s'il en fut mal récompensé pendant sa vie, que sa mémoire du moins soit honorée." (5)
" Parlez-moi plutôt des médecins spagiriques (chimistes): ceux-là du moins ne sont pas paresseux comme les autres; ils ne sont pas habillés en beau velours, en soie ou en taffetas; ils ne portent pas de bague d'or aux doigts, ni de gants blancs. Les médecins spagiriques attendent avec patience, jour et nuit, le résultat de leurs travaux. Ils ne fréquentent pas les lieux publics; ils passent leur temps dans les laboratoires. Ils portent des culottes de peau, avec un tablier de peau pour s'essuyer les mains. Ils sont noirs et enfumés comme des forgerons et des charbonniers. Ils parlent peu et ne vantent pas leurs médicaments, sachant bien que c'est à l'oeuvre qu'on reconnaît l'ouvrier. (2)"
Avant de tenir ce fier et dur langage, dès l'âge de trente ans, Paracelse avait opéré des cures réputées merveilleuses et qui lui aurait donné une autorité que l'on ne contestait plus. La ville de Bâle l'engagea à venir professer dans ses murs. Contre l'usage, ce fut en allemand qu'il y fit ses cours, dédaignant de s'exprimer en latin, comme ses confrères, et laissant même planer quelque doute sur la connaissance qu'il pouvait avoir de cette langue, appliquée alors à toutes les sciences. Il était écouté avec enthousiasme par les uns, dénigré par les autres; mais sa réputation allait encore grandissant, lorsque la violence de son caractère vint interrompre la vie comparativement paisible qu'il menait depuis son arrivée à Bâle. Un chanoine nommé Cornel de Lichtenfels, que tourmentait cruellement la goutte, lui promit deux cents florins s'il parvenait à le guérir; mais trois pilules d'opium ayant suffit pour apaiser son mal, il refusa de payer les deux cents florins (3) et eut recours aux magistrats, qui lui donnèrent gain de cause et réduisirent à six florins les honoraires du professeur. La colère de Paracelse s'exhala dans le langage que nous lui connaissons; l'irritation de la magistrature lui fit pressentir la punition qu'on lui réservait; il décampa de la ville de Bâle, léger de tout bagage scientifique, ainsi que cela lui arrivait toujours, puisque sa bibliothèque, disait-il parfois, pouvait tenir dans dix feuillets.
" A partir de ce moment, dit le docteur Hœfer, son biographe le plus autorisé, il mena une vie très-aventureuse. On le trouve successivement en Alsace en 1528, à Nuremberg en 1529, à Saint-Gall en 1531, à Pfefferbade en 1535, à Augsbourg en 1536. Il parcourut ensuite la Moravie, l'Autriche, la Hongrie; il dédia en 1537, à Villach, sa Chronique à l'archevêque de Carinthie."
La ville de Mendelheim l'accueillit en 1540; il demeura au plus un an à Salzbourg, et ce fut dans l'hôpital de Saint-Etienne qu'il finit ses jours, le 24 septembre 1541.
La dernière conception de ce génie audacieux fut, dit-on, la création d'un être doué de toute les facultés de l'homme sous une forme amoindrie et qu'il appelait l'homunculus. "L'homme, dit-il, dans son langage parfois énigmatique, est une vapeur condensée; il retournera en vapeur d'où il est sorti." Disons toutefois, que cette chimérique prétention du docteur, qu'on jugea diabolique, n'est pas parfaitement établie. D'autres opinions non moins absurdes lui furent attribuées, peut être à tort et avec malignité, par plusieurs de ses ennemis, à la tête desquels il faut mettre son ancien disciple Oporinus, qui lui reprochait de lui avoir célé ses secrets les plus précieux. La critique moderne a démontré que des dix volumes écrit en allemand, réunis sous son nom en l'année 1589 (4), c'est à dire près d'un demi-siècle après sa mort, la plus grande partie n'est pas entièrement son oeuvre. Trois de de ses traités tout au plus parurent de son vivant; dix sont considérés comme authentiques, mais les fausses interprétations qu'on a mêlées à ses véritables écrits sont innombrables. M. Marx l'a disculpé en ces derniers temps de beaucoup d'imputations mensongères; il a prouvé que non-seulement il rejetait ouvertement les erreurs de l'astrologie et que les alchimistes ne se glorifiaient point de ses travaux, mais il a établi que les formes concises de son style n'admettait pas le fatras parfois grotesque dans lequel on noyait ses prétendues doctrines. Au dire de ce savant, il n'y aurait pas plus de réalité dans ce qu'on a dit de son ivrognerie habituelle et les désordres de sa vie privée, qu'il y en avait dans la confusion parfois si hétéroclite de ses écrits.
"Supérieur à tous ses contemporains, Paracelse est en possession de la vraie méthode scientifique. il montre la même sûreté de coup d’œil lorsqu'il enseigne que le médecin ne doit pas forcer la nature... Il admet dans chaque organisme un moteur secret, l'archée, le principe vital moderne qui veille à la réparation des forces, à l'élimination des causes morbides; le médecin doit s'attacher à faciliter les fonctions de cette archée: dans le cas de blessure, par exemple, il doit s'attacher à empêcher les agents extérieurs de contrarier la guérison qui se fait de soi-même par l'intervention du baume naturel (mumie) qui réside dans le corps. C'est en raison des mêmes principes qu'il conseille souvent les calmants, la diète, et qu'il veut qu'on soit de la plus grande modération dans l'emploi des évacuatoires et des médicaments violents, tels que le mercure.
"Un autre mérite de Paracelse fut de fonder la médecine sur la connaissance exacte de la chimie. il chercha le premier à reconnaître les principes actifs des drogues afin de les simplifier et de les employer en moindres doses; il réussit à faire rejeter l'usage des électuaires et des mixtures compliquées et répugnantes des Arabes.
"Tels sont les services éminents que Paracelse a rendu à l'humanité souffrante, pour laquelle il montra toujours le dévouement le plus désintéressé; s'il en fut mal récompensé pendant sa vie, que sa mémoire du moins soit honorée." (5)
(1) Le surnom Paracelse signifierait, selon certains auteurs, "Elevé contre".
(2) Histoire de la chimie depuis les temps les plus reculés jusqu'à notre époque, Ferd Hœfer, t. II, p. 11 de la première édition.
(3) D'autres disent cent florins seulement.
(4) Voici la traduction du titre de l'édition la plus complète: Écrits du noble et savant philosophe médecin Philippe- Théophraste Bombast de hohenheim dit Paracelse, publiés d'après les manuscrits originaux, etc., par Jean Huser, Bâle, 1589, 10 vol.
(5) Biographie générale, dirigée par Ferdinand Hœfer.
Le Magasin pittoresque, mai 1877.
(2) Histoire de la chimie depuis les temps les plus reculés jusqu'à notre époque, Ferd Hœfer, t. II, p. 11 de la première édition.
(3) D'autres disent cent florins seulement.
(4) Voici la traduction du titre de l'édition la plus complète: Écrits du noble et savant philosophe médecin Philippe- Théophraste Bombast de hohenheim dit Paracelse, publiés d'après les manuscrits originaux, etc., par Jean Huser, Bâle, 1589, 10 vol.
(5) Biographie générale, dirigée par Ferdinand Hœfer.
Le Magasin pittoresque, mai 1877.
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