Les cuisines du château des Tuileries.
Nous engageons charitablement les lecteurs qui ne seraient pas capable d'imposer silence aux aspirations de leur estomac, à ne pas nous suivre dans l'excursion que nous allons tenter dans les cuisines du château. Quant à nous, qui nous exposons bénévolement au supplice de Tantale, nous espérons que cet acte de stoïcisme et de dévouement nous sera compté comme une bonne note.
La bouche ou cuisine est divisée en sept parties: le garde-manger ou froid, la rôtisserie, les sauces, la pâtisserie, l'entremet, la cuisson, les communs.
Le nombre sept est, comme on le sait, un nombre harmonique et sériaire, on en retrouve partout les traces: les sept merveilles du monde; les sept chandeliers à sept branches du temple, les sept sages de la Grèce, les sept plaies d'Egypte, etc., etc. La semaine a sept jours, la musique a sept notes, la lumière est composée de sept rayons, il est donc naturel qu'une cuisine bien organisée se compose de sept divisions.
Nous soumettons cette observation à notre collaborateur M. Charles Monselet, peut-être trouvera-t-il là dedans la raison de quelque loi culinaire.
Chacune de ces divisions est sous la surveillance d'un aide-chef, passé maître lui-même, sous la haute direction du CHEF, sur qui repose l'immense responsabilité de ces services compliqués.
Le garde-manger est un véritable atelier d'artistes, c'est là que les socles sont moulés et décorés; où les viandes sont parées et préparées pour la cuisson; où s'élaborent ces entrées froides qui attirent la main d'une manière irrésistible en même temps qu'on redoute de les entamer tant elles ont de charmes à l’œil.
On est bien forcé de reconnaître le peu de capacité de son estomac, quand on est en présence de toutes ces merveilles.
La rôtisserie aussi peut revendiquer le titre d'atelier d'artistes.
C'est là où se piquent les volailles et gibiers, où se font les cuissons et fritures de poissons, de relevées et d'entrées. On devient cuisinier, mais on naît rôtisseur est un proverbe accepté comme axiome en cuisine. Il en est des rôtisseurs comme des poëtes, beaucoup d'appelés, peu d'élus.
La pâtisserie, personne ne l'ignore, n'accepte que des jeunes gens dessinateurs et modeleurs d'un vrai talent, pour les initier aux mille façons de tailler le sucre, il n'y a donc rien d'étonnant à ce que toutes les pièces qui en sortent soient des chefs d’œuvres.
L'office est un laboratoire où tout ce qui fait partie du dessert se confectionne. Glaces, sorbets, conserves, petits fours, pastillage, compotes fraîches et de conserve, corbeilles et pyramides de fruits, caramels à toutes les essences sortent de ce laboratoire sans rival en Europe.
Les heureux invités du palais, pour qui se confectionnent toutes ces merveilles, diront si nous exagérons le mérite de ces diverses parties. Quant aux sauces et autres services, nous n'en ferons pas de descriptions. Nous les croyons certes à la hauteur de ceux que nous avons essayé de dépeindre, mais leurs produits sont de ceux qu'on apprécie pas seulement avec l’œil et l'odorat; il faut à ces deux sens un guide plus spécial, le goût, et nous n'avons jamais goûté... qu'en imagination, à ces coulis succulents et à ces jus dorés.
A. Hermant.
Le Monde illustré, 16 janvier 1864.
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