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dimanche 30 mars 2014

L'architecture à l'Exposition universelle.

L'architecture à l'Exposition universelle.

L'architecture a été longtemps la Cendrillon des autres arts. De nos jours, le premier venu reconnaît un vers faux, critique la note donnée à côté du ton par un chanteur ou un instrumentiste, sait voir le manque d'ensemble d'une statue, remarque la faiblesse d'exécution d'un tableau. Tout le monde, en un mot, possède ce léger vernis qui permet d'aborder n'importe quel sujet, dans une conversation mondaine, sans commettre d'hérésies trop flagrantes.
Dès que l'architecture est sur le tapis, le décor change. On peut lancer les plus effroyables bourdes sans risquer d'étonner les auditeurs. L'ignorance sur ce sujet est admise en principe. Les archéologues du five o'clock jettent, à tort et à travers, les mots de Renaissance, entablement, style flamboyant, astragale, rocaille, corinthien, etc., et on est émerveillé de l'étendue de leurs connaissances. Les autres, vulgum pecus, se contentent de qualifier de grecs les monuments qui portent un fronton, de gothiques ceux qui son voûtés, et... voilà. Cette classification simple suffit aux explications techniques amenées, par le hasard, dans une discussion artistique.
Aux Salons annuels des Champs-Elysées, on tolère en bâillant ces interminables feuilles de papier recouvertes d'hiéroglyphes noirs et de teintes plates; mais les bons camarades, peintres et sculpteurs, les placent les plus mal possible, comme des parents pauvres dont la présence est imposée à une fête de famille, dans des endroits bizarres réservés aux torchons et aux balais, dans des lieux inexplorés, où le touriste le plus audacieux ne s'aventure qu'avec précaution, la main sur la crosse du revolver, dans des coins déserts où les nourrices viennent changer les couches de leurs bébés, et où les femmes mariées peuvent assigner, sans appréhension, les plus tendres rendez-vous.
Quant à la critique, comme cet art hautain et fermé l'assomme, comme d'ailleurs elle n'y entend goutte, elle prend le parti d'en parler le moins possible. La dernière des inepties jouées à Dejazet, ou même au théâtre de Belleville, fait couler des flots d'encre; la réunion de vingt aquarelles dans un Cercle accapare une colonne de journal. Mais qu'un architecte gaspille dix ans de sa vie à étudier un monument, officiel, bien entendu, car l'architecture privée n'existe pas, paraît-il, et l'inauguration en sera racontée en quelques lignes par un reporter qui, en général,  citera les noms de tous ceux ayant collaboré ou assisté à la petite fête, depuis le poseur de linoléum jusqu'à l'officier de paix, mais qui oubliera l'architecte.
Peuh! qu'est-ce que c'est que ça, l'architecte? Un monsieur qui pose des pierres les unes sur les autres en les collant avec du plâtre, et qui s'offre des rentes faciles en faisant monter un devis de 2.178 francs jusqu'à 300.000 francs et des centimes? Pas intéressant du tout, cet être-là.



Eh bien, il me semble qu'il vient de prendre, l'architecte, une revanche éclatante sur ce mépris niais. C'est lui qui a tenu constamment la corde et qui est arrivé bon premier dans ce grandiose steeple-chase de l'Exposition universelle, où toutes les forces vives de la France ont donné dans une des plus puissantes, des plus extraordinaires, des plus admirables, des plus géniales poussées intellectuelles que l'humanité ait vu produire.
Sans crainte d'être contredit, je crois, en effet, pouvoir affirmer que cet entassement de palais, conçus et exécutés en moins de trois années, a plus contribué au colossal et foudroyant succès de l'Exposition universelle que l'exhibition des merveilles de l'industrie nationale et étrangère, et que la réunion des plus éclatantes manifestations artistiques du siècle, réunion unique, et combien attractive pourtant, d'incomparables chefs-d'oeuvre.
Ce résultat, il est intéressant d'en étudier les motifs.
L'engouement de la foule qui n'a d'ailleurs nullement cherché à ergoter sur l'esthétique, ni même à analyser ses impressions, a, selon moi, pour cause l'entente tacite, mais parfaite, qui règne cette fois entre le public et le constructeur: son bon sens et ses yeux sont également satisfaits, et, jusqu'ici, l'un ou l'autre, souvent les deux, étaient douloureusement déçus.
Après des tâtonnements énervants, des efforts héroïques que l'influence des coteries, celle de l'Académie comme celle des Monuments historiques, avait systématiquement tenté de stériliser, l'Architecture a enfin trouvé son chemin de Damas et paraît vouloir renouer les traditions de clarté et de logique qui sont les qualités inhérentes à notre race et qui ont enfanté tant d’œuvres immortelles dans cette France si injustement dédaignée par "nos Maîtres".
Les efforts épars se sont groupés, les préceptes un peu vagues se sont coordonnés, la scolastique un peu préhistorique de l'Ecole des Beaux-Arts s'est effondrée, les vieux moules ont éclaté sous la pression de la sève créatrice, et les artistes acceptent, à partir d'aujourd'hui, cette vérité de La Palisse qui consiste à affirmer qu'à des besoins nouveaux il faut des formes nouvelles.
Il importe, en somme, de comprendre qu'en Architecture le beau n'est pas basé sur une formule immuable et empirique. L'oeuvre n'est réellement grande que lorsque ses détails, son ensemble, son aspect, sa personnalité morale atteignent le but pour lequel elle a été créée, et accusent nettement sa destination. Pourquoi le Parthénon, par exemple, est-il un monument absolument parfait et digne de toutes les admirations? Parce que la marbre dont il est construit a été tiré du sol même sur lequel il s'élève; parce que sa simple et pure silhouette se découpe sur le ciel limpide de la Grèce; parce que c'est un temple dédié à une divinité imposante; parce qu'il exprime clairement ce qu'il est et ce qu'il veut être; parce qu'il obéit rigoureusement aux nécessités climatiques du pays, aux usages, aux mœurs, aux idées, à la religion d'une époque, et qu'il est la résultante superbe du génie d'un peuple. Mais si le Parthénon, construit en 1889, en plein Paris, à côté de l'Opéra, était destiné à l'installation d'une banque, d'une manufacture, d'un théâtre, d'une église, d'une station du Métropolitain, le chef-d'oeuvre deviendrait immédiatement grotesque et croulerait sous le ridicule. Le prix de ces matériaux précieux et amenés à grands frais atteindrait des millions, et bien inutilement, puisqu'en quelques hivers notre brumeux climat changerait en pierres grises le blanc Paros; N'ayant pas de recul, le passant ne pourrait jouir de la silhouette qui s'empâterait sous notre ciel nuageux et se fondrait dans la teinte maussade des bâtisses environnantes; la neige, accumulée sur le toit trop plat, tomberait en cascades dans l'intérieur; le portique ne préserverait ni de la pluie ni du soleil les allants et venants, qui exigeraient des stores; nos chapeaux de soie, nos redingotes étriquées, nos pantalons flottants, nos corps rachitiques, nos figures tourmentées et nerveuses offriraient un étrange contraste avec cette architecture épique et sereine qui n'a de raison d'être qu'à Athènes et sous le siècle de Périclés.



Le premier mérite des constructeurs du Champ de Mars, MM. Dutert, Bouvard et Formigé, est donc d'avoir mis au rencart des formules démodées et dangereuses, et de s'être soumis aux nécessités multiples et despotiques qu'impose une Exposition comme celle de 1889. Presque toujours, ils ont abordé de front les problèmes proposés et les ont loyalement résolus, sans essayer de tourner les difficultés, en employant de petits moyens ou d'enfantines fraudes. Parfois, chez M. Formigé surtout, on retrouve les traces de la néfaste influence de l'éducation première, quelques fâcheuses concessions aux relations du passé, comme de sourds regrets pour l'abandon forcé d'amitiés trop chères.
Mais, au résumé, ce sont là de rares défaillances, et, comme nous le verrons par l'étude détaillées des constructions, l'année 1889 sonnera pour l'Architecture moderne, l'heure des viriles revendications. En mettant fin à l'abrutissant sommeil dans lequel  le pauvre art s'atrophiait, le triomphe du rationalisme indiquera victorieusement aux jeunes la voie dorénavant à suivre.

                                                                                                                      Frantz Jourdain.


Revue Illustrée, Juin 1889-Décembre 1889.

samedi 29 mars 2014

Procédé pratique pour régler les pendules et les montres.

Procédé pratique pour régler les pendules et les montres.


On croit communément que, dès l'on a acheté une montre et qu'on l'a mise à l'heure, il ne s'agit plus que de la remonter chaque jour, et qu'elle doit alors marcher avec une justesse constante, sans qu'il soit besoin d'y toucher. Quelques personnes même croient que ces machines doivent aller comme le soleil, et se trouver toujours d'accord avec lui. Ce sont autant d'erreurs qu'il importe de détruire avant d'exposer les règles pratiques qui font l'objet de cet article. 
La première se rattache particulièrement aux montres dont la meilleure est sujette à des variations qui trouvent leurs causes principales dans les changements de température, dans ceux qui résultent de la position de la montre, et dans les mouvements que le corps lui imprime. Telle montre marche régulièrement dans telle position et varie quand cette position change, ou quand les mouvements de la personne qui la porte ont telle direction plutôt qu'une autre; circonstances auxquelles il faut avoir égard lorsqu'on veut régler sa montre d'une manière convenable. Toutefois, nous devons ajouter qu'une bonne montre ne doit varier que très-peu, quels que soient les changements de position ou de température auxquels elle peut être soumise, et que les mêmes circonstances doivent toujours reproduire les mêmes résultats d'avance ou de retard.
La seconde erreur vient de ce que peu de personnes savent que le soleil n'emploie pas toujours le même temps pour revenir d'un midi à l'autre., et que par conséquent tous les jours de l'année ne sont pas exactement de 24 heures; car tantôt le soleil emploie 24 heures et quelques secondes, depuis le midi d'un jour jusqu'au suivant, et tantôt 24 heures moins quelques secondes, depuis le midi d'un autre jour jusqu'au midi suivant. Ainsi donc tantôt le soleil retarde, et tantôt il avance.
D'un autre côté, les pendules et les montres doivent diviser le temps d'une manière parfaitement régulière, et ramener midi exactement toutes les 24 heures.
On a donné le nom de temps vrai au temps mesuré par le soleil, et celui de temps moyen au temps réduit à une égalité constante par la marche régulière des pendules et des montres. On voit donc qu'une bonne montre ou une bonne pendule ne peut se rencontrer tous les jours à midi avec le midi du soleil indiqué par un cadran solaire, et que les habitués du Palais-Royal ou du Luxembourg sont dans une grave erreur lorsqu'ils s'empressent de mettre leurs montres à midi lorsque le canon de ces deux jardins leur annonce le midi vrai.
Les astronomes ont calculé une table qui indique, pour chaque jour de l'année, l'heure que doit marquer une bonne montre ou une bonne pendule, au midi vrai. Cette table se trouve reproduite dans le calendrier de l'Almanach royal et de l'Annuaire du bureau des longitudes. Nous allons toutefois indiquer ici la marche générale des différences qui doivent exister pendant le cour de l'année entre le midi du soleil et celui d'une pendule bien réglée.
Supposons que, le 23 décembre, on mette sa pendule ou sa montre en retard de 4 secondes sur le soleil; le 24 décembre le midi du soleil retardera de 30 secondes sur le midi de la pendule, et cet écart ira toujours en augmentant jusqu'au 11 février, jour auquel le midi du soleil retardera de 14 minutes 44 secondes sur celui de la pendule. Depuis le 11 février, ce retard ira en diminuant jusqu'au 14 avril. Ce jour-là, le midi du soleil et celui de la pendule seront ensemble. Le 15 avril, le midi du soleil avancera de 4 secondes, et il continuera ainsi à avancer jusqu'au 10 mai, où il sera en avance de 3 minutes 59 secondes. Le midi du soleil se rapprochera insensiblement de celui de la pendule jusqu'au 15 juin. Les deux midi seront ensemble ce jour là. Le 16 juin, le soleil retardera de 8 secondes sur la pendule, et continuera à retarder de plus en plus jusqu'au 25 juillet où son retard sera de 5 minutes 56 secondes. Ce retard ira en diminuant jusqu'au 31 août, jour où les deux midi coïncideront encore. Enfin, le 1er septembre, le soleil avancera de 27 secondes, et avancera de plus en plus jusqu'au 1er novembre, où il sera en avance de 16 minutes 9 secondes. Dès lors il avancera de moins en moins, de sorte que les deux midi seront de nouveau ensemble le 23 décembre.
On voit donc que, pour remettre une pendule ou une montre à l'heure, lorsque le soleil marque midi, il ne faut pas faire marquer midi à la pendule, mais l'heure indiquée par la table dont nous avons parlé plus haut.
Quand une montre ne fait qu'une minute d'écart par jour, soit en avançant, soit en retardant, on ne doit pas s'en plaindre.
Il n'en est pas ainsi des pendules, sujettes à moins de causes de variation.
Il faut remettre sa montre à l'heure tous les huit ou dix jours, avec une bonne pendule ou un bon cadran solaire. Si elle ne fait que huit minutes d'écart en huit jours, il faut simplement remettre les aiguilles à l'heure. Si l'écart est plus considérable, il faudra, en outre, toucher à l'aiguille de rosette vers la lettre A qui signifie avance. On désigne sous ce nom une aiguille placée sous un petit cadran dans l'intérieur de la montre auprès du balancier.
Si la montre avance, il faut faire marcher l'aiguille de rosette vers la lettre R marquée sur le cadran, et qui signifie retard; si au contraire la montre retarde, il faut faire marcher l'aiguille de rosette vers la lettre A qui signifie avance.
Il ne faut faire marcher chaque fois l'aiguille de rosette que d'une demi-division du cadran, à moins que la montre ne fasse un grand écart en 24 heures, comme 4 ou 5 minutes; alors on peut faire marcher l'aiguille d'une ou deux divisions, plus ou moins, selon l'écart.
Pour remettre une montre à l'heure, il faut se servir de la clef et faire tourner l'aiguille des minutes par son carré, jusqu'à ce que la montre marque l'heure et la minute qu'il est, en ayant soin de ne pas faire tourner l'aiguille des heures séparément de l'aiguille des minutes.
Lorsque les aiguilles d'une montre sont en avance ou en retard d'une heure ou deux, plus ou moins, il faut les faire tourner du côté où elles auront le moins de chemin à faire. C'est à tort que certaines personnes croient qu'elles gâteraient leurs montres en faisant reculer les aiguilles; elles la gâteraient beaucoup plus sûrement en faisant faire à celles-ci plus de chemin qu'il n'est nécessaire. Cette règle n'est applicable qu'aux montres ordinaires. Pour les montres à sonnerie et les pendules, il faut toujours faire tourner les aiguilles en avant.
Il faut remonter sa montre tous les jours à la même heure, parce que la force du ressort n'étant pas la même pendant les 24 heures, il arrive souvent que la montre avance ou retarde pendant les 12 premières heures, et retarde ou avance pendant les 12 suivantes. Elle est réglée en conséquence, c'est à dire que l'avance pendant un temps est compensée par le retard pendant un autre temps. Mais,  si on ne remontait pas régulièrement sa montre toutes les 24 heures, il arriverait souvent qu'elle continuerait à avancer ou à retarder sans compensation.
Il faut tenir sa montre toujours à peu près dans la même position, c'est à dire la pendre à un clou lorsqu'on la quitte pour aller se coucher, et avoir soin qu'elle appuie bien contre la muraille, pour que le mouvement du balancier ne se communique pas à la boite.
On doit tenir, le plus possible, sa montre à la même température. Ainsi l'hiver, lorsqu'on quitte sa montre, il vaut mieux l'accrocher à la cheminée qu'ailleurs.
On ne doit pas tourner les aiguilles d'une montre à répétition quand la pièce sonne.
Quand une montre à répétition sonne trop vite ou trop lentement, on corrige ce défaut en faisant tourner une seconde aiguille qui se trouve dans l'intérieur vers la lettre V qui veut dire vite, lorsqu'on veut la faire sonner plus rapidement, et vers la lettre L qui veut dire lentement, lorsqu'on veut qu'elle sonne moins vite.

Manière de régler les pendules.

Pour faire avancer une pendule, il faut faire remonter la lentille du balancier, au moyen de l'écrou qui est dessous; pour la faire retarder, il faut faire descendre la lentille par le même moyen.
Si la pendule est dans un cartel, et qu'on ne puisse toucher à la lentille, on trouvera dans le cadran un petit carré d'acier qu'on fera tourner, au moyen d'une clef de montre, de gauche à droite pour avancer, et de droite à gauche pour retarder.
On ne doit pas faire rétrograder les aiguilles des pendules à sonnerie de plus d'une demi-heure; encore faut-il le faire avec précaution, et s'arrêter lorsqu'on sent une résistance; on ne doit pas non plus reculer l'aiguille des minutes lorsqu'elle est près de 28 minutes ou de 55 minutes, c'est à dire lorsque la sonnerie est près de frapper; car si alors on trouve l'aiguille en arrière, la sonnerie frappera, et lorsque l'aiguille reviendra de nouveau au même point, et passera à la demie et à l'heure, la sonnerie frappera encore en sorte que la sonnerie et les aiguilles ne seront plus d'accord, et la pendule sonnera l'heure à la demie. Lorsque cela arrive, il faut tourner l'aiguille des minutes jusqu'à  jusqu'à ce quelle soit à environ deux minutes de l'heure ou de la demie: alors on la fera rétrograder jusqu'à ce que la sonnerie frappe. On ramènera ensuit l'aiguille en avant, et la sonnerie frappera de nouveau; ainsi l'heure sonnera à l'heure et la demie à la demie; il ne faudra plus que tourner les aiguilles pour les mettre à l'heure et à la minute.
Lorsque la sonnerie d'une pendule n'est plus en accord avec les aiguilles, il faut tourner l'aiguille des heures séparément de celle des minutes et l'amener à l'heure de la sonnerie. On fera ensuit tourner l'aiguille des minutes jusqu'à ce que la pendule soit à l'heure. 
Pour poser une pendule, il faut avoir soin qu'elle soit bien d'aplomb, ce qu'on reconnaît lorsque les battements du balancier font entendre des coups parfaitement semblables, ce qui n'a pas lieu lorsqu'elle penche à droite ou à gauche.
Quand elle penche en avant ou en arrière, la lentille du balancier peut heurter ou la muraille ou le corps même de la pendule, et par conséquent en arrêter le mouvement.

                                                                                                                         N. B.

Journal des Connaissances Utiles, Avril 1833.

vendredi 28 mars 2014

Les chauffeurs en Normandie.

Les chauffeurs en Normandie à la fin du siècle dernier.


Au bois de la Fouillouse
                                                             Il y a vingt voleurs.

Ainsi chantaient, au temps passé, les paysans du Forez. Ainsi eussent pu chanter les paysans de tous les villages voisins de quelque forêt.
Les voleurs, ou plutôt les chauffeurs, dont il va être question, avaient pour centre de leurs opérations le bois de la Valette, dépendant de la forêt de Roumare, à deux lieues de Rouen.
Tout près de cette forêt, à Pissy, se trouvait , à la fin du siècle dernier, une ferme occupée par le citoyen Jaques Doury.
Le bois de la Valette avait alors la même célébrité que la forêt de Bondy. Il était en effet, hanté par une bande de chauffeurs conduite par un chef célèbre, appelé Duramé. C'était un ancien tisserand  du village de Bondeville. Ce nom de Duramé, en quelques années, était devenu la terreur du pays. Bondeville n'était éloigné de Pissy  que de 4 à 5 kilomètres.
Or, il arriva que le 16 germinal an 4 de la République (mardi 5 avril 1796), le nommé Jean-Baptiste Marie, charretier chez Jacques Doury, trouva, à son grand effroi, derrière un bâtiment de la ferme, un billet ainsi conçu:

"Non timet, nobis victoria. (1)
"Enfin, depuis plus de deux mois que tu perds patience, je t'apprendrai que c'est demain qu'il faut avertir la troupe pour le jour indiqué dans la précédente. J'ai averti Larose, Laviolette et Brûlemoustache, qui avertiront leur troupe pour se rendre à onze heures et demie à Pissy, pour entrer de front dans les six maisons que tu sais. Le feu suivra la victoire. Trouve-toi là où tu sais.
"Puniantur mortem.
                                                                                                                    Duramé."


Au nombre des six maisons désignées pour le pillage se trouvait vraisemblablement la ferme assez importante de Jacques Doury.

Le billet trouvé par le charretier, et déposé aux mains de la justice, amena l'arrestation d'une partie de la troupe, et, par suite, la condamnation à mort de Duramé et de sept de ses complices. Un magistrat rouennais, M. Thiessé, déploya dans le procès des chauffeurs un zèle d'autant plus justifié qu'il avait avec lui la population tout entière, qui ne désirait rien tant que de voir mettre fin au brigandage des chauffeurs. Faut-il ajouter que pour l'exécution de la sentence prononcée contre les huit brigands, on vit apparaître pour la première fois à Rouen le nouvel instrument de supplice, la guillotine? Mais une partie de la bande avait échappé à la justice; un nouveau chef en prit donc le commandement, et les exploits recommencèrent plus terribles.
Deux ans plus tard, en 1798, le grand-père avait quitté la commune de Pissy pour s'installer à 4 ou 5 kilomètres de là, au milieu des bois de Bondeville, dans une ferme plus considérable appartenant à M. de Radepont. Il occupait depuis deux ans cette ferme nouvelle, et l'on était en 1800, lorsque arriva une bien étrange aventure, que peuvent se rappeler encore les anciens du pays, au moins pour l'avoir entendu raconter, car l'affaire fit grand bruit.
Rien n'était plus connu à Rouen  que la ferme du grand père. On y allait le dimanche pour se promener au bois, faire la collation et danser, car on y tenait un bal de bonne compagnie. Jacques Doury, un très-brave homme, vigoureux, vif, pétillant, était, malgré sa bonne santé, d'une maigreur qui lui avait valu le surnom de Père Boisette.
Et puis, il y avait, dans toute sa personne, on ne sait quoi d'amusant et de sympathique. Il était dans l'aisance, mais on le croyait très-riche. Sa femme, Marianne Thirel, a laissé dans la famille une réputation de vaillance, de douceur et de bonté, telle que même ses petits enfants, qui ne l'ont pas connue, ne parlent d'elle qu'avec émotion et respect.
Un jour donc, au mois de mars 1800, Jacques Doury était à Rouen pour affaires; Marianne Doury à la ferme avec ses trois petites filles, qui ne comptaient encore que dix, douze et treize ans. Il avait bien un fils aîné, mais il était pensionnaire à l'excellente école de Fresquienne, village situé à deux lieues de distance.
Marianne était sur le point de mettre au monde un cinquième enfant. Un jour donc, qu'elle se trouvait seule avec ses trois fillettes, les charretiers et autres domestiques étant au dehors et le mari à la ville, voici qu'elle voit venir un mystérieux voyageur.
- Madame, ne vous effrayez pas, lui dit-il, je suis un gendarme déguisé, et je vais être suivi de douze camarades déguisés comme moi qui vont arriver les uns après les autres, chacun par un sentier différent. nous venons pour protéger votre maison et votre famille, qui doivent être attaquées cette nuit par une bande de chauffeurs; mais il faut que vous en sortiez avec vos enfants pour n'avoir à courir aucun danger dans la lutte qui doit s'engager à minuit précis. Ainsi, permettez que je vous enferme dans quelque autre bâtiment avec vos trois petites. Où est votre mari?
- A Rouen.
- Rentrera-t-il de bonne heure?
- Dans la soirée, je pense.
- Très-bien! nous aurons besoin de lui.
Voilà donc ma grand'mère enfermée dans le pressoir, entourée de ses fillettes; pleine de courage et de sang froid pourtant, elle s'arma du grand et terrible couteau à pressoir. Je vois encore ma mère me raconter cela: - Taisez-vous, nous dit-elle, et ne craignez rien; je saurai bien vous défendre.
Hélas! la pauvre femme, aussi bien que ses enfants, était persuadée que les prétendus gendarmes n'étaient autres que les brigands eux-mêmes. Depuis l'aventure du billet de Pissy, qui avait conduit à l'arrestation de Duramé, on avait toujours craint dans la famille que la troupe ne se vengeât.
Les domestiques, à mesure qu'ils rentrèrent, furent, l'un après l'autre, enfermés dans la grange; car il importait que l'on n'allât pas éventer l'aventure aux villages de Bondeville et de Maromme.
Jugez de la surprise et de l'épouvante du grand père lorsqu'en rentrant au soir il vit douze étrangers, pistolets sur la table et fusils en bandoulière, soupant tranquillement.
- Où sont Marianne et les petites?
- Citoyen Doury, votre femme, vos enfants et tous vos domestiques sont en lieu sûr. Mais, quant à vous, vous resterez avec nous, s'il vous plait, pour le moment décisif.
La nuit était affreuse, pluvieuse et glaciale.
Il importe ici de savoir que la maison avait deux entrées: une très-large, et l'autre très-étroite. Il s'agissait de faire entrer les brigands un à un par la petite porte. 
A minuit des cavaliers arrivent, font retentir le heurtoir.
 - Qui va là?
- Jacques Doury, mon ami, c'est le prince de Montmorency avec sa suite qui vous demandent pour quelques instants un abri.
- Je ne peux seul ouvrir la grande porte; voulez-vous bien, Monseigneur, entrer de l'autre côté, par le potuis?
L'entrée se fit, les gendarmes se précipitèrent sur les brigands; une lutte affreuse s'engagea; un des brigands reçut en pleine mâchoire un coup de feu qui le tua roide. Le grand père épouvanté prit la fuite, et, confondu par cette imprudence avec les brigands, fut légèrement frôlé par une balle; il courut en criant au feu jusqu'au village, d'où l'on accourut avec des seaux.
Cette attaque émut fort la contrée; la justice, dirigée par M. Thiessé, se remit à l'oeuvre, et, grâce à son zèle, la troupe ne tarda pas à être découverte, condamnée et décapitée sur la place du Vieux-Marché.
Il en fut donc des forêts de Normandie, comme de celles du Forez, et l'on y chante depuis lors:

Au bois de la Fouillouse
                                                             N'y a plus de voleurs.

(1) Détestable latin: "Ne crains rien; la victoire à nous". Et plus bas: "Qu'ils soient punis de mort".

Magasin Pittoresque, 1879.

jeudi 27 mars 2014

Une dot imprévue.

Une dot imprévue.

On connaissait à peine les événements de la vie de la Bruyère, lorsque l'abbé d'Olivet écrivait, dans l'Histoire de l'Académie française, parue en 1729, tout ce que la tradition lui en avait appris. Il s'y est borné à quelques lignes renfermant des erreurs reconnues aujourd'hui, et qui sont le seul fond cependant où les biographes postérieurs ont puisé...
On en sait quelque peu davantage maintenant, d'après des correspondances, des actes publics et divers passages de livres publiés depuis l'histoire d'Olivet.
Le plus curieux de ces documents est celui que l'on trouve dans les Mémoires de l'Académie de Berlin pour 1787, qui parurent en l'année 1792. Nous le reproduisons ici textuellement.
"M. de la Bruyère venait presque journellement s'asseoir chez un libraire nommé Michallet, où il feuilletait les nouveautés, et s'amusait avec un enfant fort gentil, la fille du libraire, qu'il avait prise en amitié. Un jour, il tira un manuscrit de sa poche, et dit à Michallet: "Voulez-vous imprimer ceci? Je ne sais si vous y trouverez votre compte: mais en cas de succès, le produit sera la dot de ma petite amie." Le libraire, plus incertain de la réussite que l'auteur, entreprit l'édition; mais à peine l'eut-il exposée en vente, qu'elle fut enlevée, et qu'il fut obligé de réimprimer plusieurs fois de suite ce livre, qui lui valut deux ou trois cent mille francs. Et telle fut la dot imprévue de sa fille, qui fit par la suite le mariage le plus avantageux, et que M. de Maupertuis a connu."
Ce récit est de Formey, membre de l'Académie de Berlin, qui le tenait de Maupertuis.
Le manuscrit remis au libraire était bien loin de l'ouvrage complet que la Bruyère nous a laissé. Cette première édition, qui porte la date de 1688, du format in-12, avec approbation du 8 octobre 1647, contient à peine plus du tiers des Caractères, au nombre de 1119, qui se trouve dans la neuvième édition, sous presse en 1696, à l'époque de la mort de l'auteur.
Sur la foi de l'abbé d'Olivet, nous avons écrit, comme les précédents biographes, que la Bruyère était né à Dourdan en 1639. Or, l'acte de décès, dans lequel figurait un des frères de la Bruyère, énonce que le défunt était âgé de cinquante ans ou environ, ce qui excluait l'année 1639. Un portrait donnait aussi une autre date, et Paris pour lieu de naissance. D'après ces indices, un chercheur consciencieux et infatigable, M. Jal, historiographe de la marine, s'est mis à feuilleter successivement les registres de deux paroisses à Paris (il y en avait soixante).
Après cinq mois de patience, il a fini par mettre la main sur l'acte de baptême de Jean de la Bruyère, daté du 17 août 1645.
Un autre savant du même ordre, M. Edouard Fournier, a découvert, il y a une vingtaine d'années, que le mari, jusqu'alors inconnu, de la fille de Michallet s'appelait Charles-Rémi de July ou de Juilly, d'abord secrétaire "du Roy et de ses finances", puis plus tard fermier général. Ce financier eut cette bonne fortune que, dans un écrit satirique du temps, il fut signalé comme étant "de grande probité, et l'homme du monde le plus droit et le plus uni." La dot de la Bruyère a porté doublement bonheur à sa protégée.
On pourrait croire que si la Bruyère eût prévu le succès, il n'eût point fait son généreux abandon. Non; il a persisté dans son désintéressement. Il eût pu recouvrer ses droits lorsque, avant l'expiration du privilège, Michallet s'occupa de le faire renouveler; mais il s'employa pour obtenir le maintien du privilège au libraire, et ne voulut rien reprendre de sa parole; il se montra moraliste en action comme en écrit.

Magasin Pittoresque, 1879.

Les mémoires d'une aiguille.

Les mémoires d'une aiguille.

Vous êtes-vous jamais demandé comment naissait une aiguille? d'où venait la petite pointe d'acier qui brille et court dans la toile et dans la soie, transformant comme une fée tout ce qu'elle touche? Sans l'aiguille nous en serions réduits aux vêtements sommaires des sauvages; sans l'aiguille, il n'y aurait ni confort, ni élégance: elle fait de nos appartements des intérieurs délicieux, de nos femmes de petites poupées charmantes, et elle nous rend nous-mêmes des être supportables à la vue. Elle a aussi cet avantage de donner à un simple croquant l'allure d'un grand seigneur. L'aiguille fait vivre des milliers de femmes. Son histoire les intéresse toutes. Toutes seront curieuses de savoir d'où vient et comment naît la petite aiguille qu'elles tiennent entre leurs doigts diligents.

Simple minerai de fer, j'étais si tranquille! Pourquoi me déterre-t-on?... 



Est-ce pour me chauffer à ce feu d'enfer? Grâce à ces 1/4 à 2 1/2% de carbone qu'on veut bien me laisser, je deviens de l'acier. Puis on m'étire à froid; opération que je dois subir 20 à 30 fois, détail à noter. Les filières sont d'ailleurs au nombre de 55.
Ci-dessous vous pouvez voir comment on m'étire. Après que les lingots ou barres ont été réduits en tige d'environ 6 millimètres de diamètre, la machine que voici les fait passer, à une vitesse de 30 à 112 centimètres à la seconde, à travers des trous pratiqués dans une plaque de métal. On est parvenu à étirer ainsi, sans le casser, un fil de 300 kilomètres.




Il ne faut pas moins de 22 opérations pour me fabriquer, moi qui suis si petite... Il est vrai que ma finesse est incomparable. On commence, prenant un faisceau de 30 à 40 fils, par les couper en brins ayant la longueur de deux aiguilles, puis on me dégrossit. 



Après quoi, on me fait recuire. Mais je ne suis toujours qu'un morceau de métal, tant que je n'ai pas d'"œil".
Ici vous pouvez voir l'opération du pointage



Comme j'ai une longueur double de celle que j'aurai finalement, j'ai besoin de deux pointes. Aussi mes deux bouts sont-ils successivement présentés à une meule actionnée par un moteur. Cette meule, dont la rotation est très rapide, taille en pointe les fils d'acier qui sont mis convenablement en contact avec elle.
Quand mon milieu, où doivent être percés les deux yeux, a été aminci, on procède à l'estampage, qui a pour but de préparer le perçage. Cet estampage, on pourrait dire cette frappe, s'opère avec une estampeuse que met en mouvement soit un moteur mécanique, soit une pédale actionnée par l'ouvrière elle-même.



Encore un moment de patience, et chacune de mes moitiés va avoir un œil. Le fil, saisi sur un plateau par un appareil spécial, est emporté sous deux minuscules emporte-pièce, qui ont exactement la forme et le calibre des coins d'estampage. Ces emporte-pièce font chacun un œil. Une bonne ouvrière peut estamper 30.000 aiguilles par jour.



Nantie maintenant de mon petit œil, je commence à mieux voir ce qui se passe. Je note que le limeur se saisit de moi sans cérémonie, et enlève les bavures qui entourent mon œil. Il commence par emprisonner dans deux étaux les deux bouts de l'aiguille, pour qu'elle demeure rigide. 



Après le limage des bavures, il me brise en deux par le milieu: et c'est alors que je deviens deux aiguilles séparées, au lieu d'une aiguille double. Ma tête, alors, est à son tour limée. 
Ensuite on me recuit. Et pour cela, après que mon œil ait été poli intérieurement, je passe dans les ateliers de recuit et de trempe. On me met au feu et, quand je suis recuite, on me trempe en me plongeant dans un bain d'huile. 



Au sortir de ce bain, on me lave à l'eau de savon, puis on me sèche avec de la poudre. Jusqu'à présent, je n'avais été qu'un morceau détaché d'une matière plus ou moins compacte; maintenant je forme un tout d'une très grande dureté.
Mais ce n'est pas fini. Pour me fourbir, on me met sous des frotteurs mécaniques, qui me donne un aspect blanchâtre. 



Cette opération est suivie par celle du triage, qui a pour but de séparer les bonnes et les mauvaises aiguilles. Puis on met ma tête à sa place... ce qui consiste tout simplement à tourner du même côté toutes les têtes ou, si vous voulez, toutes les pointes. 



Viennent ensuite trois opérations, qui sont les suivantes: repassage de ma tête, affilage de ma pointe, adoucissement des bords.
Maintenant c'est le tour du finissage, c'est à dire qu'on me polit à la main ou à la machine. Après quoi, on me met en paquets et on m'étiquette; et enfin on me tient en magasin, prête à être employée. Ma longueur varie entre 12 millimètres et 55 centimètres. Certaine manufacture anglaise ne fabrique pas moins de deux millions d'aiguille par jour. L'acier dont je suis faite se vend de 1.500 à 2.500  francs la tonne, et la tonne d'aiguille se vend de 6.500 à 555.000 francs. Mon origine remonte à plus de 4.000 ans, et j'occupe à ma fabrication seule 20.000 ouvrières en France.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 18 mars 1906.

mercredi 26 mars 2014

Une ligue contre le baiser.

Une ligue contre le baiser.

Dans la capitale du Mexique, un bon nombre de dames jeunes, vieilles, mariées ou célibataires, toutes femmes du meilleur monde, portent sur la poitrine une charmante petite rosette. Celle-ci indique un changement ou pour mieux dire un progrès dans les relations entre les deux sexes.
Cette petite rosette est l'insigne des membres d'une association qui a pour but d'abolir le baiser. Les membres de cette ligue jurent solennellement de n'embrasser personne parce qu'un baiser se fait l'intermédiaire des maladies contagieuses.
Ce serait une très bonne habitude, en Europe, de faire porter cette rosette aux enfants, afin que les parents soient autorisés à prier les tantes, cousins, cousines et autres amis de l'enfance de ne pas embrasser leurs chers petits. C'est une grande imprudence qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses d'embrasser les enfants sur la bouche.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 18 mars 1906.

Les quatre vins.

Les quatre vins.

Au moyen âge il était d'usage en Allemagne et en France, lors de l'entrée solennelle de quelque personnage important, de lui offrir les "vins de ville".
L'hôtel de la mairie de Langres possède encore quatre vases d'étain, ou cimaises, qui servaient jadis en pareille occurrence. Il y en avait: 1° une pour le vin de lion; 2° une pour le vin de mouton; 3° une pour le vin de singe; et 4° une pour le vin de cochon.
Ces quatre symboles représentaient les caractères moraux qui correspondent aux qualités des divers crus; ils indiquaient aussi les différents degrés qui conduisent de l'usage à l'abus.
Le "vin de lion" rend le cœur généreux; le "vin de mouton" est un vin mou; le "vin de singe" a du bouquet, il rend le buveur espiègle et facétieux. Nous ne parlerons pas du quatrième.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 18 mars 1906.

Le coin des gourmands.

Le coins des gourmands.
Chocolats au lait, chocolats fondants.


Sous l'influence particulièrement des fabricants de Suisse, l'industrie du chocolat ayant pris une importance extraordinaire dans ce pays, on voit maintenant se vendre chez les confiseurs toute une série de bonbons au chocolat fort appétissants et de fort bon goût. Tels sont, par exemple, les chocolats au lait et les chocolats fondants.
Les chocolats au lait, qui constituent par excellence une des spécialités des fabricants suisses, sont préparés soit avec du lait frais, soit avec du lait desséché; qu'on ne s'étonne pas trop de l'emploi de ce lait desséché, car, même quand on fait usage de lait frais, il faut d'abord concentrer le lait avant de l'employer dans la préparation des chocolats au lait. Dans ce cas, on fait évaporer le lait pasteurisé dans un vide partiel, à basse température, et en y ajoutant du sucre. Cela donne une sorte de sirop épais, que peut fournir tout aussi bien le lait desséché additionné d'eau. Ce sirop est malaxé avec de la poudre de cacao dé-beurré, et on arrive de la sorte à préparer une pâte bien homogène; on la lamine en lames très minces que l'on fait sécher à bonne température. Le succès de la préparation de ces chocolats au lait, qui doivent être eux-même fondants à la bouche, moelleux, tient aux précautions particulières que l'on prend pour les broyer, les mélanger, les pulvériser, les malaxer, et à la durée de ces opérations. Le broyage commence sur des tables circulaires, sous l'action de galets, et il se continue dans une sorte de récipient où tourne un rouleau animé d'un mouvement alternatif; il faut que l'opération dure environ deux jours et à une température comprise entre 40 et 50 degrés. On peut obtenir des variétés de chocolats au lait en modifiant la teneur en sucre, ou en y ajoutant des noisettes pulvérisées, etc.
Pour les chocolats fondants, qui servent à préparer les croquettes, à entourer certains bonbons ou même à former le corps de bonbons très fins, ils doivent être eux-aussi préparés et broyés longuement; mais on ajoute toujours à la première pâte obtenue, soit un peu de beurre de cacao supplémentaire, soit une graisse tirée de l'huile de coco, de palmier; il faut encore broyer pour bien rendre homogène le mélange. Parfois aussi, dans les chocolats fondants, on ajoute une faible quantité de miel à la place d'une partie de sucre, et l'on obtient des bonbons à arôme très spécial et très apprécié.
Qu'on ne s'étonne pas si nous avons parlé de la Suisse à propos du chocolat et de bonbons en chocolat: la Suisse à une industrie chocolatière formidable. Chaque année elle fait venir quelque 9 millions de kilogrammes de fèves de cacao des pays producteurs; elle les transforme en poudre de cacao, en pâte de chocolat, en bonbons variés, chaque année, maintenant les usines spéciales suisses vendent à l'étranger 10 millions de kilos de produits en chocolat pour environ 39 millions de francs.

                                                                                                                        Pierre de Mériel.

Le Journal de la Jeunesse, premier semestre 1913.

Comment les émigrants sont reçus à New-York.

Comment les émigrants sont reçus à New-York.

Les Etats-Unis ont tiré un étrange profit de l'émigration européenne: c'est en effet cette population qui a formé une bonne partie de l'énorme population de la Confédération Américaine, en lui donnant certaines caractéristiques nationales. De 1821 à 1900, les Etats-Unis n'ont pas reçu moins de 19 millions d'immigrants, envoyés pour 5 millions par l'Allemagne, pour 3 millions pour l'Angleterre, pour 1.250.000 par la Scandinavie, pour 1 million par l'Autriche, autant pour l'Italie, etc. Cependant aujourd'hui les Américains du Nord ne sont plus aussi satisfaits que jadis de voir venir à eux des Européens quittant leur pays natal: l'ouvrier américain en particulier craint la concurrence, sans se rendre compte que ce courant énorme de bras permet seul la mise en oeuvre des immenses territoires américains.
Précisément à cause de cette hostilité, au moins relative contre les immigrés venant d'Europe ou même d'ailleurs, la réception des immigrants ne se fait plus comme jadis. Elle a lieu dans ce qu'on appelle "l'antichambre de la terre promise", en langage familier; tout simplement l'île d'Ellis: petite île située au sud de l'île du Gouverneur, dans la baie de Gravesend, à New-York. Tous les immigrants, c'est à dire les passagers de troisième classe, sont débarqués sur cette île. On y aperçoit de loin une énorme construction en briques et en fer; c'est le bâtiment des immigrés; c'est au quai construit le long de ce bâtiment que les bateaux transatlantiques débarquent tous leurs passagers de troisième classe.
Nous n'avons pas besoin de dire que c'est une véritable scène de Babel que ce débarquement simultané d'une cohue d'hommes, de femmes, d'enfants, appartenant à toutes les nationalités, et parlant chacun, bien entendu, leur langue nationale. Ces centaines d'individus, en arrivant dans le grand bâtiment dont nous venons de parler, se partagent en deux courants, et suivent deux escaliers différents. L'un est destiné aux immigrants qui sont attendus par quelque membre de leur famille habitant déjà les Etats-Unis ou par un patron avec lequel ils sont en relation. L'autre escalier livre passage aux immigrants qui ne connaissent personne. Et encore, dans chacun de ces escaliers, ménage-t-on deux courants parallèles, suivant qu'il s'agit de personnes devant rester à New-York ou ayant déclaré vouloir se diriger vers une autre région des Etats-Unis.
Pour éviter les erreurs chez les gens qui ne connaissent point généralement l'anglais, chaque immigrant porte à son chapeau un papier vert épinglé, et de plus un numéro d'ordre attaché à sa poitrine. On a toutefois installé tout une série de salles différentes, chacune affectée à une nationalité, où les malheureux à peine débarqué du bateau, et encore fatigués par le long voyage, trouvent les interprètes pouvant répondre à leurs questions.
Mais ce sont surtout des questions qu'on va leur poser et auxquelles ils auront à répondre. Tout d'abord on leur fait subir une visite médicale: car les Américains entendent ne plus recevoir chez eux des individus qui ne sont pas bien portants, et qui soient susceptibles de tomber à charge des bureaux de bienfaisance. Cette visite générale et rapide est faite par un médecin; et s'il soupçonne une maladie un peu sérieuse, on envoie l'individu dans une autre salle où il passera une visite plus détaillée. Ensuite l'immigrant est conduit auprès d'un employé qui va lui poser une série de questions, destinées à s'assurer que les indications données par la compagnie de navigation ayant transporté l'émigrant sont bien exactes. Il faut que le malheureux dise s'il va rejoindre un parent, s'il connait véritablement bien le nom et l'adresse de celui vers lequel il va se diriger; il faut qu'il fasse connaître s'il n'a jamais été en prison ou dans un asile, s'il est déjà venu aux Etats-Unis; qu'il indique quelle est sa profession, s'il est marié ou célibataire, où il résidait avant de s'embarquer; qui lui a payé son billet, s'il ne l'a pas payé lui-même. Il doit avoir en poche au moins 50 dollars (150 francs).
Si l'immigrant n'est pas à même de répondre de façon satisfaisante à toutes ces questions, il sera gardé dans une des salles, jusqu'à ce que des renseignements précis parviennent à son égard. Si d'ailleurs on a jugé que son état de santé n'est pas suffisant pour être admis sur le territoire de la Libre Confédération Américaine, on le gardera dans l'île Ellis jusqu'au prochain départ d'un paquebot; il sera rembarqué d'office pour son pays, et aux frais de la compagnie de navigation qui est responsable des individus qu'elle transporte. Si on lui accorde l'entrée définitive aux Etats-Unis, il devra payer 2 dollars pour cela. Du reste, tout enfant de moins de 16 ans non accompagné d'un de ses parents, se voit refuser l'entrée sur le territoire des Etats-Unis. Pour les gens qui ne possèdent pas 50 dollars, s'il s'agit d'un homme bien portant de 20 à 25 ans qui ait une profession qu'on juge convenable, on lui permettra d'entrer sur le territoire de la Confédération, parce qu'on estime qu'il pourra facilement y gagner sa vie.
L'immense hôtel de l'île d'Ellis comporte dans une de ses grandes salles un buffet, où toutes sortes de matières alimentaires sont mises à la disposition des immigrants à un prix très bas; dans une autre salle, ils trouvent un bureau de change, qui leur permet de convertir leur argent en monnaie américaine (qu'ils n'acceptent pas toujours avec une très grande confiance). Il y a également dans le bâtiment deux dortoirs de 500 lits chacun, où les refusés, comme l'on dit, ceux que l'on entend faire revenir dans leur pays d'origine, vont être logés gratuitement en attendant le départ du prochain paquebot.

                                                                                                                 L. Viator.

Le Journal de la Jeunesse, premier semestre 1913.

L'exportation horlogère.

L'exportation horlogère.

L'exportation horlogère suisse en 1888 représente une somme totale de 80.099.779 francs; le nombre de montres exportées est de 3.451.038.

Journal des Voyages, Dimanche 31 mars 1889.

Tremblement de terre à Smyrne.

Tremblement de terre à Smyrne.

Les journaux de Smyrne annoncent qu'une nouvelle et terrible secousse de tremblement de terre a derechef épouvanté les habitants de Sparta et ceux des environs de cette ville.
Cinquante maisons, dix boutiques, un bain, ne sont plus aujourd'hui que des amas de décombres. Grand nombre d'autres constructions ont également souffert de ce nouveau mouvement sismique. Il n'y a heureusement cette fois aucune perte humaine à enregistrer.
Le même jour, une secousse également très violente a été ressentie à Boudrown et ses environs.

Journal des Voyages, Dimanche 31 mars 1889.

Les illettrés dans l'armée prussienne.

Les illettrés dans l'armée prussienne.

Il ressort de documents publiés  récemment que le nombre des illettrés est plus grand dans la partie orientale de la Prusse que dans les autres partie de ce royaume. En 1887-88, le nombre des recrues ne sachant ni lire ni écrire a été de 4,16% dans la province de la Prusse orientale, de 4,06% dans la province de la Prusse occidentale, et de 3,43% dans la province de Posen.

Journal des Voyages, Dimanche 31 mars 1889.

La famine en Chine.

La famine en Chine.

Une lettre de Chefoo à l'Evening standard donne des détails sur la terrible famine qui règne actuellement dans la province de Shantung. Cette famine a été causée par la répartition anormale des pluies dans le courant de l'année qui vient de s'écouler. Au printemps dernier, il n'y a pas eu de pluies du tout, ce qui a fait baisser de  plus de la moitié le rendement ordinaire du froment; toutefois, les habitants espéraient que la fève et le sorgho donneraient de meilleurs résultats en automne. Aux pluies d'été, la partie méridionale de la province, ne reçut pas une goutte: dans le nord, au contraire, l'abondance des pluies fut telle, qu'on en avait jamais vu de pareille de mémoire d'homme.
C'était un vrai déluge. Toutes les rivières sortirent de leurs lits et la plaine entière fut couverte d'une vaste nappe d'eau. Un grand nombre d'habitants ont péri; presque tous les villages de la région sont détruits. Quant à la récolte d'automne, elle est entièrement perdue. Il s'en est suivi une misère effroyable. Les habitants en sont réduits à se nourrir d'une sorte de gâteau fait avec de la balle de sorgho mélangée à une herbe sauvage; on craint même que cette nourriture ne vienne à manquer. Dans un grand nombre de localités, on mange les jeunes pousses de blé, en détruisant ainsi par avance la récolte future. Les habitants meurent par milliers.

Journal des Voyages, dimanche 31 mars 1889.

Dansons.

Dansons.


Depuis un demi-siècle, les pays civilisés sont atteints d'une manie qui se manifeste sous une triple forme, et offre ce caractère remarquable qu'elle sévit sous les latitudes les plus différentes, en Russie comme en Italie, en Allemagne comme en France. C'est la manie des Expositions, des Ligues et des Congrès.
Sans parler des colossales foires internationales dont Paris a vu , en 1900, le spécimen dernier, espérons-le, tout est prétexte à exposition de détail: la cuisine et les chiens, les fleurs et les oiseaux, les beaux arts et les instruments. 
Toute idée, bonne ou mauvaise, dans n'importe quelle sphère, réunit autour d'elle quelques adhérents qui se forment aussitôt en Ligue: ligue contre l'alcoolisme, ligue en faveur des boissons, ligue contre et pour l'usage du tabac, ligue des droits de l'homme et ligue des revendications féminines. Nous aurons, un de ces jours, la ligue des potaches et celle des nourrissons.
De même on fait des congrès à propos de tout et même de rien. Deux personnes qui exercent le même métier ou le même art, l'un à San-Francisco, et l'autre à Lille en Flandre, se mettent en correspondance, convoquent leurs confrères des autres pays, et un nouveau Congrès voit le jour et honore de sa réunion annuelle successivement les différentes villes d'Europe.
Il n'y a certainement pas grand mal à cela. Je ne sais pas trop si ces congrès multiples favorisent beaucoup le progrès dans les différentes branches des arts, des sciences et de l'industrie. Mais ils ont toujours un avantage, celui de procurer la satisfaction d'un petit voyage aux délégués, généralement aux frais d'une association qui se considère comme très honorée d'être représentée au congrès des dentistes de Genève, ou des pédicures de Rotterdam. On se réunit, on cause, on banquette, on fait des discours et des toasts, et les gouvernements généreux répandent, sur les étrangers, une pluie de décorations multicolores, ce qui vaut mieux à coup sur que de leur envoyer une pluie d'obus. Puis chacun rentre chez soi, et ajoute fièrement à ses titres, celui de "ancien délégué de Fouilly-les-deux-canards, au congrès international de Francfort." Somme toute, si cela ne fait pas de bien, cela, comme dit l'autre,  ne fait de mal à personne.
La dernière manifestation de ce genre vient d'avoir lieu à Berlin et avait pour objet la danse. Le congrès de la danse avait pour président d'honneur, excusez du peu!, S. M. l'Empereur Guillaume II. Ce souverain, dont l'omniscience s'étend à toutes les branches de l'activité humaine, partage, sans doute, l'opinion du maître à danser de M. Jourdain: "Il n'y a rien qui soit qui soit si nécessaire aux hommes que la danse. Tous les malheurs des hommes, tous les revers funestes dont les histoires sont remplies, les bévues des politiques et les manquements des grands capitaines, tout cela n'est venu que faute de savoir danser."
L'Empereur d'Allemagne ne se borne pas à une sympathie platonique pour l'art chorégraphique. Le président du congrès en question a rappelé, dans son discours, qu'à un récent bal de la Cour, Sa Majesté, avisant un officier qui ne dansait pas dans les règles le pas du menuet, l'appela et lui montra, lui-même, la manière dont ce pas devait être dessiné. L'officier, honteux et confus, courut au cours de danse, et ne reparut au palais que quand il sut le salut du menuet aussi bien que l'exercice du fusil.
La France était représentée, à ce congrès,  par le président de "l'Académie internationale des auteurs et maîtres de danse". Voilà un beau titre que vous ne connaissiez pas et que je suis heureux de vous apprendre. Ce n'est pas un mince sujet de gloire, pour notre patrie, que de compter, parmi ses enfants, le président des professeurs de danse de tous les pays. Sous sa direction, le congrès de Berlin a pris des décisions qui vont combler d'aise un grand nombre de personnes, en France et à l'étranger. Il a d'abord proscrit les contorsions simiesques connues sous le nom de cake-walk et boston des fous, et cette sévérité ne mériterait que des applaudissements sans la solennité avec laquelle elle s'est exprimée et qui fait un peu sourire: "Les programmes des maîtres de danse, dit l'arrêt, doivent rester dignes de l'art qu'ils servent." Cette phrase mémorable fait forcément songer au professeur de M. Jourdain, dont nous parlions tout à l'heure.
"Lorsqu'un homme a commis un manquement dans sa conduite, soit aux affaires de sa famille, ou au gouvernement d'un Etat, ou au commandement d'une armée, ne dit-on pas toujours: un tel a fait un mauvais pas dans telle affaire? Et faire un mauvais pas peut-il procéder d'autre chose que de ne pas savoir danser?"
Je ne suis aucunement un ennemi de la danse: c'est une distraction qui en vaut une autre, et une gymnastique favorable au développement de la force et de la grâce de la jeunesse. Je trouve seulement un peu exagéré qu'on élève à la hauteur d'un pontificat le professorat de cet exercice. Mais, cette légère critique faite, je reconnais que MM. les maîtres de danse ont fait preuve de bon goût et de bon sens en repoussant les grotesques grimaces épileptiformes qui constituent les danses américaines nouvellement importées, et auxquelles, malheureusement, avaient fait accueil en Europe non seulement les tréteaux de foires, mais quelques salons de haut parage.
Sur ce point donc, complète approbation au congrès chorégraphique. Mais voici où je prends l'humble liberté de blâmer complètement ses décisions. Il a banni, en termes fort durs, la formalité qu'il appelle "absurde et surannée" et qui consiste dans les bals mondains, à imposer aux jeunes gens l'obligation de se faire présenter avant d'inviter une danseuse. Il n'y a pas, a dit le congrès, de coutume plus nuisible au développement de la danse. C'est cette formalité, ajoute-t-il, qui fait faire tapisserie pendant tant d'heures dans les bals à tant de jeunes filles et jeunes femmes, et qui empêche  les trois-quarts des danseuses de danser.
Là, MM. les maîtres de danse semblent avoir un peu outrepassé leur rôle. Ils sont chargés d'apprendre les belles manières extérieures et la façon dont on doit faire aller ses bras et ses jambes en cadence, pirouetter en mesure ou battre un entrechat. Mais ils se mêlent de choses qui ne les regardent pas, en voulant imposer aux pères et mère de famille une mode d'éducation de leurs enfants. Ce qui distingue et distinguera toujours le monde de bon ton du monde vulgaire, ce sont précisément ces usages que les congressistes appellent surannés, et qui constituent la politesse délicate. La présentation est une des rares bonnes choses qui nous soient venues d'Angleterre. Sans doute, il ne faut pas aller jusqu'à l'excès. Un jour, un Anglais avise sur un bateau un voyageur nonchalamment adossé à la chaudière. Il appelle le capitaine du navire. "Je vous prie, lui dit-il, de me présenter à ce gentleman." Les deux voyageurs nommés l'un à l'autre, l'Anglais dit avec calme à son nouvel ami: "-Monsieur, j'ai voulu vous être présenté pour vous dire que, depuis un quart d'heure, vous brûlez votre paletot à la chaudière."
Poussé à ce point le formalisme est excessif. Mais il ne me semble pas l'être quand, dans une réunion, un jeune homme ne sera admis à danser avec une jeune fille qu'après avoir été présenté à ses parents. Il y a là une garantie, bien légère encore, mais qui vaut mieux que l'absence de toute garantie. La personne qui présente est un répondant qui atteste l'honorabilité du présenté, et plus le cercle des relations s'étend, plus cette formalité apparaît nécessaire. Les invitations à une fête mondaine se font souvent fort à la légère. Un jeune homme y est prié sur la demande du cousin d'un ami du fils de la maison, sans compter que, dans les grandes villes, nombre de jeunes gens ne se font pas faute d'aller à des bals où ils n'ont pas été invités le moins du monde. Et c'est à ces inconnus que les mères confieraient leurs filles dans des tête-à-tête d'un quart d'heure, alors que, dans la rue, elles ne leur permettraient pas d'échanger deux paroles ensemble!
La présentation se fait, sans doute, comme l'invitation, légèrement, trop légèrement. Si l'on veut faire des réformes sur ce point, il faudrait non pas la supprimer, mais la rendre plus sérieuse; en faire non une formalité banale, mais une garantie réelle. Les congressistes prétendent que cette coutume est contraire aux bons usages et au bon ton. C'est exactement le contraire, et la science chorégraphique ne suffit évidemment pas à apprendre toutes les délicatesses sociales. Les bons usages ne consistent pas plus à envoyer une jeune fille pirouetter avec un inconnu, qu'à dire aux gens: "Comment vas-tu, ma vieille?"  au lieu de leur serre la main. Le vœu des maîtres de danse est un effort de démocratisation et, grand Dieu! nous en avons assez ailleurs de la démocratie! Gardons encore quelque chose des bonnes manières et des mœurs distingués d'autrefois.
Que les maîtres de danse consultent sur ce point leur auguste président d'honneur, S. M. l'Empereur Guillaume: ils verront sa réponse.

                                                                                                                     H. du Plessac.

L'Ouvrier, journal illustré paraissant le mercredi et le samedi, 25 mai 1904.


mardi 25 mars 2014

L'émigration belge.

L'émigration belge.

Le prince de Chimay, ministre des affaires étrangères de Belgique, va adresser aux gouverneurs des provinces, copie d'une communication mettant en garde les populations contre certains dangers de l'émigration, et les invitant à prendre des renseignements aux sources officielles avant de quitter la Belgique. Cette communication faite sous forme d'affiche sera placardée sur tous les points du pays.

Journal des Voyages, Dimanche 31 mars 1889.

L'émigration italienne.

L'émigration italienne.

Le bureau de l'émigration institué au ministère de l'intérieur d'Italie commence à fonctionner. Des demandes d'émigrants italiens sont arrivés ces jours-ci du Paraguay et du Brésil.
Ces demandes sont appuyées officiellement et parviennent directement des autorités gouvernementales.
Le Brésil désirerait non moins de 500.000 émigrants italiens à qui il garantirait 15.000 hectares de bons terrains à accorder gratuitement, et 14.000 autres à accorder contre paiement d'une légère redevance. Les frais de voyage seraient remboursés et quelque têtes de bétails seraient accordés.
Le Paraguay, de son côté, fait de considérables et pressantes demandes d'émigrants.
Le bureau d'émigration à lancé des circulaires pour informer de cela les plus gros centres d'émigration d'Italie. Il est probable que si l'envoi a lieu, le gouvernement enverra sur les lieux des fonctionnaires chargés de veiller à l'accomplissement exact des promesses faites et à la protection des intérêts de nos émigrants.

Journal des Voyages, Dimanche 31 mars 1889.