La remise du sabre à l'Ecole navale.
Le séjour à bord de l'Ecole navale n'est pas continuel, comme autrefois, alors que, pendant vingt-deux mois, aucun congé n'était accordé aux élèves. Outre les vacances, au mois de septembre, les sorties et les libertés de manœuvre tempèrent agréablement la monotonie de l'existence à bord.
La première sortie du mois de novembre donne lieu à une cérémonie traditionnelle appelée la Remise du sabre. Jusqu'à ce moment là, les sabres des fistots (élèves de première année) sont enfermés dans des armoires spéciales, au vestiaire, et les nouveaux élèves n'ont pu alors suspendre à leur côté ce qu'ils considèrent, avec juste raison, comme le plus bel ornement de leur uniforme.
Ce jour-là, à huit heures et demie du matin, à peine le déjeuné terminé, un coup de sifflet retentit tout à coup sur le pont, d'où les fistots sont expulsés par leurs anciens qui les force à descendre dans leurs batteries. Là leur major, qui dès le matin a reçu des instructions de son collègue ancien, fait ranger ses camarades sur quatre rangs, dans l'ordre de leurs numéros matricules, et à bâbord (côté gauche du navire en regardant vers l'avant).
Le silence le plus profond règne dans la batterie quand s'ouvre tout à coup la porte faisant communiquer l'étude avec l'amphithéâtre.
A cheval sur le sabre de leur fistot réglementaire, la casquette virée de bord, la jugulaire au menton, les anciens, leur major en tête, font irruption au galop dans la batterie et vont se ranger à tribord, face à leurs camarades de première année, de façon que chaque ancien se trouve placé devant son fistot réglementaire.
Le major des anciens commande alors:
- A droite alignement!
- Fixe!
- Sabre main!
- Portez sabre!
- Présentez sabre!
Le mouvement exécuté, le major adresse aux fistots une allocution, leur montrant brièvement l'honneur qui va leur être fait par la remise de ce sabre. Il les exhorte à se montrer dignes de le porter, imitant en cela, comme en toutes choses, l'exemple de leurs anciens (Applaudissements)
La remise de cet insigne les fait entrer définitivement dans la grande famille maritime, à laquelle ils doivent être fiers d'appartenir et ils doivent toujours avoir présente à l'esprit la devise: Honneur et Patrie, qui orne le pont de leur vaisseau.
L'allocution terminée, à un signal donné par le major, chaque ancien se précipite vers son fistot, tire le sabre et, tandis que découvert et à genoux devant lui, le fistot baisse la tête, il le frappe de trois coups du plat de la lame sur l'épaule droite.
Puis, il le relève en lui donnant l'accolade, lui passe le ceinturon et lui remet l'arme, insigne de son élévation définitive au rand de fistot. La cérémonie terminée, le nouveau chevalier offre le cigare réglementaire à son ancien.
Cette tradition, malgré l’exubérante gaieté qui l'accompagne, ne laisse pas d'être, au fond, respectable par le sentiment qui l'a créée et la fait vivre de promotion en promotion. L'importance attachée à la remise du sabre indique la saine compréhension des obligations qu'entraîne, pour tout officier, l'honneur qui lui est fait par le droit de porter à son côté une arme, insigne de son grade d'officier.
Défenseur attitré du pays, il doit tout sacrifier pour sa défense, et jusqu'au dernier soupir, il doit conserver intact le dépôt d'honneur qui lui a été confié.
La Remise du sabre est donc une des traditions du Borda que l'autorité, leur juge en matière de dignité personnelle et patriotique, voit d'un très bon œil; il ne serait pas étonnant que cette cérémonie fût un jour réglementée officiellement, pour lui donner par la présence de l'état-major, et par une allure plus grave, un cachet d'austère dignité plus en rapport avec son symbolisme touchant.
Un ancien officier.
La petite revue, premier semestre 1889.
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