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dimanche 2 mars 2014

Comment se marient les jeunes filles de Saint-Guirec en Bretagne.

Comment se marient les jeunes filles de Saint-Guirec en Bretagne.

C'est au pays des ajonc et des rochers rouges, près de Ploumanac'h, en Bretagne. Si le roc de rose et de pourpre y est assez dur pour barrer la route à la mer envahissante, par revanche les filles, sous leurs légères coiffes blanches, rêvent d'un prince charmant qui serait même tout bonnement un pauvre matelot ou un simple pécheur. Mais les gars ne sont pas nombreux au village, où ils songent plus à tirer la bouffée de leurs pipes qu'à prendre femme. Les fillettes sont anxieuses. N'auront-elles pas de foyer? Ignoreront-elles toujours les douces joies de la famille? Vont-elles coiffer Sainte Catherine?
Non, elles ne resteront pas seulettes si le bon saint Guirec le veut! Et dans la petite chapelle sombre au seuil de laquelle vient mourir le flot mugissant de l'Océan, chaque candidate au mariage va planter une épingle dans le nez de la statue de saint Guirec, en l'implorant d'exaucer son vœu matrimonial.
Cela vous semble étrange, absurde, cocasse? Attendez la fin de l'histoire.
Il était une fois en cette région des Côtes-du Nord un excellent homme qui s'appelait Guirec et qui possédait un oratoire de granit construit sur un amoncellement de rochers quotidiennement battus et inondés par les vagues. Pour orner son modeste autel, il recourait à la piété de ses concitoyens. Or, un jour que son oratoire était bien dégarni, il s'avisa de demander quelque "menu affiquet" à une jeune pastourelle qui faisait paître sa vache sur la lande sauvage. La fillette, généreuse, lui offrit son plus beau joyau: une belle épingle d'argent que sa marraine lui avait donnée. Touché par tant de bonté, le saint lui promit d'accomplir son plus vif désir. La jouvencelle rougit et resta muette, mais dans son regard limpide le bon Guirec lit le petit roman de son cœur: elle a du penchant pour un beau pêcheur de vingt ans, le pauvre Ervoan et la mère de la petite bergère refuse le mariage de sa fille avec un fiancé qui n'a pour fortune que le produit de sa pêche. Alors, Mona, la pastourelle se désole.
"Ne pleure plus, dit Guirec à l'enfant attristée, je te promets de bénir avant peu tes épousailles en ma chapelle."
Il lui dit ces réconfortantes paroles, naturellement dans la langue celtique du sixième siècle, car cette légende remonte fort loin.

                                                      Et il en fut comme il était dit,
                                                      Et ils eurent dix beaux petits mousses.
                                       Et voilà pourquoi les jeunes filles qui veulent un époux
                                                     En faisant au saint leur demande,
                                                     Lui offre l'épingle d'un sou.

Il paraît qu'ordinairement le providentiel Guirec ne les fait pas trop attendre et que le mariage à lieu dans le cours de l'année même où il a reçu les prières. Cependant l'on chuchote tout bas, en certaines chaumières, que

                                                   Le saint, parfois, se bouche l'oreille:
                                                   Il a trop entendu de demandes pareilles...

Ainsi que chante le poète Albert Cloüard.
Peut-être sont-ce les désillusionnées qui répandent une pareille calomnie. Plus d'une fillette l'affirme autour de la petite anse bleue de Saint-Guirec.
Jadis, une statue de bois représentant saint Guirec perpétuait son souvenir sur l'autel de son oratoire. Mais depuis quatorze siècles, les intempéries, les paquets de mer et les coups d'épingles de plus en plus nombreux menaçant de défigurer complètement le saint exposé à leurs assauts, on a, en 1904, transporté la statuette dans une chapelle voisine où les jeunes filles continuent à solliciter sa bienveillance à l'abri des regards indiscrets.



L'oratoire demeure toujours à sa place primitive, bravant le courroux des flots déchaînés et les tempêtes. C'est un ravissant petit édifice porté sur quatre colonnes romanes, aux chapiteaux en corne de bélier, et bâti sur un roc que festonnent les goémons. On dirait un minuscule sanctuaire grec tant sont élégantes les lignes de son antique architecture. Une statue de pierre qui résiste aux pointes les plus acérées des jeunes filles à marier remplace l'ancienne figure de bois qui a déménagé dans une chapelle voisine située plus haut, à quelques mètres de là. J'ai vu récemment ce bon saint Guirec. Il ressemble à une pelote à épingles. Non seulement son nez est hérissé de petites tiges d'acier, mais tout son corps est aussi criblé de piqûres qui ne sont pas celles des vers dans le vieux bois.
Comme leurs aïeules du sixième siècle, comme les jeunes filles de tous les temps et de tous les pays, les petites Bretonnes de la côte aux rochers roses et des plaines d'ajoncs dorés rêvent de posséder un cœur et une chaumière, à défaut d'un château et d'un automobile.

                                                                                                          Gabriel Renaudot.

Le Journal de la Jeunesse, premier semestre 1913.

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