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vendredi 7 mars 2014

Une reine Berthe moderne.

Une reine Berthe moderne.

Il est des reines méchantes. Il en est aussi d'exquises. L'histoire est pleine des méfaits des premières; mais les actes des secondes n'ont pas tous passé inaperçus. Nous avons l'exemple de la bonne reine Berthe. Elle apprenait à filer aux filles de ses plus pauvres sujets.
Montée sur sa haquenée, elle parcourait les campagnes et s'informait de toutes les misères. Elle n'allait point en grand équipage, car elle savait que ses vertus, sa bonté, sa pitié, sa générosité sont, à une reine digne de ce titre, le plus beau cortège qu'on puisse rêver.
La bonne reine n'est pas morte. Elle a reparu sous les traits d'Hélène, la jeune reine d'Italie. Les parisien connaissent cette physionomie sympathique. Lors de son dernier séjour dans leur ville, ils ont fait une ovation continuelle à cette souveraine modeste et aimable. Leur cœur ne s'est pas trompé. La reine Hélène donne chaque jour de nouvelles preuves de son âme tendre et charitable. Elle est adorée des Romains, de tous les Italiens.
On la voit, en effet,  sans crainte aucune des anarchistes, du poignard stupide d'un assassin de reines, se mêler à la foule obscure et parfois sordide des plus pauvres femmes, faire arrêter sa voiture ou son auto, pour questionner, conseiller et prodiguer d'une main discrète secours et présents.

Les bas de la reine.

Il arrive cependant à cette reine Berthe moderne de se tromper d'adresse. Pour être royale, la charité n'en est pas plus infaillible. L'aumône de la reine est allée souvent à de faux pauvres, à ces lamentables mendiants professionnels dont nos grandes villes sont infestées et qu'entretient la sottise des gens qui se croient bons parce qu'ils leur donnent. Ses cadeaux aussi n'ont pas toujours apporté que la joie avec eux.
Il y a peu de temps, la reine Hélène eut notamment une aventure qui lui a montré que la chose la plus difficile au monde est de savoir faire plaisir.
Elle était descendue de voiture et se promenait dans la campagne. Elle avise une fillette d'une dizaine d'années qui tricotait avec un zèle extraordinaire.
- Et pour qui, ma fillette, tricotes-tu ces beaux bas? lui demanda la reine.
- Pour mes sœurs, répondit l'enfant.
- Sais-tu qui je suis?
- Oui, madame, tu es la reine.
- Serais-tu assez aimable pour me faire également une paire de bas?
- Sans doute, madame, avec grand plaisir.
- Eh bien, mon enfant, occupe-t-en dès que tu le pourras, et, ton ouvrage terminé, apporte-le au palais.
La fillette n'eût rien de plus pressé que de tricoter les bas de la reine. La quinzaine n'était pas écoulée qu'ils étaient terminés. Elle se rendit au Quirinal pour les livrer. Un laquais la reçut, pris de ses mains le petit paquet et, de la part de la reine, lui en donna un plus grand en échange.
L'enfant n'attendit pas d'être chez elle pour regarder ce que contenait le paquet. Elle l'ouvrit. Elle y trouva une paire de bas de soie rouge. L'un était bourré de sucreries, l'autre contenait une somme d'argent. La reine avait joint à l'envoi une petite lettre pleine de gentillesse.
Peu de temps après, Hélène d'Italie, reçut un billet couvert d'une écriture incertaine. C'était la fillette qui, en ces termes, accusait réception du cadeau:
"Chère madame la reine. Ton envoi était beau, mais il m'a fait verser bien des larmes. Car mon père a pris l'argent, mon grand frère toutes les sucreries, et les magnifiques bas rouges qui m'avaient causé une joie immense, c'est ma mère qui les a mis."

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 février 1906.

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