La belle-mère explosible.
Moi qui vous parle, ou plutôt qui vous écris, j'ai obtenu, voilà plus de vingt ans (il y a prescription) , le trépas de mon infortunée belle-mère, grâce à un procédé qui, pour être rigidement scientifique n'en est pas moins des plus recommandables.
Beaucoup sans doute de ces messieurs les lecteurs puiseront en mon aventure la Profitable Indication.
Marié depuis peu de mois, je professais déjà à l'égard de ma belle-mère, une de ces aversions qui déchaînent au cœur du plus doux agneau, c'était mon cas, le Vésuve des âpres cannibalismes.
La tuer? Oh! depuis longtemps, je m'y sentais résolu, mais la tuer comment?
Sans positivement mépriser notre gendarmerie nationale, je recule toujours, au dernier moment, l'occasion de me trouver en conflit avec les braves militaires qui sont l'ornement de notre institution.
Or, le meurtre tant soit peu connu de n'importe qui, fût-ce d'une belle-mère, suffit à déterminer la visite chez vous d'un maréchal des logis ou parfois même d'un modeste brigadier de gendarmerie.
Il me fallait donc imaginer un mode de trépas écartant tout soupçon indiscret et défiant l'investigation de nos plus fins limiers.
Chimiste, ce fut à la chimie même que je fis un suprême appel. Pendant l'été, ma belle-mère avait coutume de se costumer uniquement, et des pieds à la tête, de tissus de coton. C'était sa marotte, le coton!
- Le coton, se plaisait-elle à répéter, il n'y a rien de plus sain.
... Comment cette idée vint-elle à germer dans mon cerveau, je ne me souviens plus, mais un beau jour... Je m'interromps pour rire encore.
Un beau jour, avec les ruses d'un Apache qui serait cambrioleur, je m'emparais de plusieurs pièces composant son habillement, bas, pantalon, chemise, jupes, blouses, etc.
Ce lot de vêtements, je l'emportais dans mon laboratoire et lui fis subir l'opération très simple et bien connue qui transforme la paisible coton en redoutable fulmicoton.
Je m'arrangeai ensuite, et diaboliquement, pour qu'elle endossât bientôt cette explosive et sémillante toilette. Un soleil terrible sévissait ce jour là.
Assise sur un banc de pierre, ma belle-mère savourait je ne sais quelle inepte littérature.
Moi, posté non loin de là, armé d'une forte lentille et décidé à tout, je projetai sur la pauvre femme un intense faisceau de rayons solaires.
Ce ne fut pas très long; un grand cri, une flambée comme de féerie, puis plus rien!
Le médecin légiste conclut que ma belle-mère était une alcoolique invétérée, et qu'il ne fallait voir dans cet accident qu'un cas assez curieux de combustion spontanée. Je ne jugeai pas nécessaire de contredire notre savant. Veuillez agréer...
X... Membre de l'Académie des Sciences.
S'il n'y avait pas aujourd'hui prescription, tout de même, quel scandale!...
Alphonse Allais.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 11 février 1906.
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