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mercredi 12 mars 2014

Ceux dont on parle.

Le Boulevardier.

Paris a eu ses bandits, ses lions, ses gandins, ses gommeux, pschutteux et grelotteux. Il a maintenant un type qui s'appelle "le faucheur".
Le faucheur est cet individu situé vers vingt-cinq ans, que vous rencontrez sur les boulevards, une canne à la main, et qui représente à vos yeux la quintessence du chic parisien.
Le faucheur est ainsi nommé à cause de sa façon de marcher et surtout de porter sa canne.
Il la tient par le petit bout, laissant traîner la pomme à terre. Le bras droit qui se balance énergiquement de gauche à droite, ou plutôt, du nord-ouest au sud-est, rappelle l'allure des gens de la campagne fauchant les blés mûrs et les foins odorants. De là le sobriquet.
Le faucheur porte les vêtements les plus collants possible: des complets à carreaux moulant le torse, des pantalons étriqués du bas, laissant paraître des pieds énormes à talons plats et bouts carrés.
Sur la tête du faucheur, vous remarquerez un chapeau toujours trop large, emboîtant le crane jusqu'aux oreilles. En été, le faucheur porte le chapeau de grosse paille, très vaste et entouré d'un large et haut ruban moiré qui fait ressembler le tout à quelque gigantesque mailloche autour d'une tête malade.



Le faucheur est marcheur, sans quoi il ne pourrait pas faucher. Il poitrine, il bombe, il se carre. Son allure est rapide. Il ne porte pas de gants, sa canne lui en tient lieu. Il ramène les coudes au corps et se balance en cadence.
Le faucheur est très rarement seul, les mouvements du faucheur ne valent que lorsqu'ils sont multipliés par cinq ou six. Ainsi réunis, les faucheurs fauchent militairement. Ils ne causent jamais entre eux, n'ayant généralement rien à se dire. Ils sourient et ne rient jamais.
Quand les faucheurs s'amusent, c'est régulièrement. Ils se contentent du cri: "Ohé! ohé!". Ce cri suffit à traduire leur joie intérieure.
Les faucheurs ont glorieusement accepté leur sobriquet, s'ils ne l'ont pas inventé. Ils se réunissent le soir dans le salon d'un restaurant parisien dont les murs sont tapissés de panneaux représentant des scènes de moissons.
Rien d'étincelant ne sort de ces réunions intimes.
Les faucheurs au repos ne sont plus des faucheurs.
Ils ont laissés leurs cannes au vestiaire. Figurez-vous l'immobilité des paysans de Millet, doublée de l'inutilité de jeunes Parisiens sans cervelles.
La canne du faucheur est solide. C'est un gourdin.
A partir de trente ans, le faucheur porte des badines, se marie et fait souche d'honnêtes gens.
Le "fauchage" est déjà supérieur à la gomme.
Le faucheur a de l'énergie dans le mouvement, et du biceps. On peut tout espérer du faucheur.

                                                                                                         Albert Millaud.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 18 février 1906.

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