Carnet de la quinzaine.
Les sénateurs, les députés nous sont assez souvent par leurs méfaits, occasion de tristesse pour que nous leur sachions gré du quart d'heure de douce gaieté qu'ils nous ont fait passer la semaine dernière. Ces messieurs aiment les courses et nous nous gardons bien de le leur reprocher: pendant qu'ils sont penchés sur leur programme et en train de chercher le gagnant, ils oublies de dénoncer à la persécution du Défroqué de la place Beauvau le malheureux fonctionnaire dont le seul crime est de vouloir donner à ses enfants l'éducation chrétienne, ou bien le pauvre curé breton coupable de parler en chaire le seul langage que beaucoup comprenne dans le pays d'Armor. Laissons donc nos parlementaires fouler le gravier du pesage. C'est le droit de chacun.
- D'ailleurs, me dire-vous, c'est un droit qu'à la porte on achète en entrant...
Eh bien, c'est ici que je vous attendais. Ce droit que vous, moi, tout le monde, paie en effet un louis au guichet de l'entrée, les sénateurs, les députés seront les seuls à l'avoir gratis pro Deo, comme eût dit M. Combes voici quelque trente ans. Désormais, ils n'auront qu'à montrer leur médaille pour entrer là, aussi facilement que certains d'entre eux à Mazas, avant qu'on eut démoli la célèbre prison. C'est à tordre! Et comment la chose s'est-elle faite? Mon Dieu, comme tout se fait, sous ce régime. Il a suffit d'un léger chantage. Les sociétés de course sont toutes, vous le savez, quelque peu tributaires du gouvernement représenté, auprès d'elles par le Ministère de l'Agriculture. Déjà, il y a quelque temps, ce Ministère avait obligé le Jockey-Club à admettre dans son comité des courses des personnes étrangères au cercle et il avait fallu céder. Mis en goût par ce premier succès, le Ministère a réclamé l'entrée gratuite et à nouveau les sociétés ont dû s'incliner. La majorité aura ses petites distractions:
- Vous avez bien travaillé, vous avez bien voté pendant la semaine... eh bien, mes enfants, pour la peine, aujourd'hui dimanche, vous irez aux courses...
Je vous le disais, c'est du dernier comique. Les sociétés sportives sont les seules à ne pas rire. Cela pourrait bien, disent-elles, nous amener du drôle de monde!... en effet, les députés, ayant pour eux l'entrée libre, vont la réclamer pour leurs "dames" et leurs "demoiselles" et ils l'obtiendront: les commissaires recevront tout au moins la consigne de fermer les yeux, si muni de la médaille, Tartempion passe avec sa famille. Et c'est alors qu'au pesage nous en verrons et entendrons de belles.
Dans la Rome antique, c'est le peuple qui réclamait: panem et circenses. Dans notre société moderne, nos pères conscrits se moquent bien du peuple: ils ne prennent souci que d'eux-mêmes. Le panem, ils ont su se l'assurer par les pots-de-vin, les riches sinécures. Les circenses, ils n'ont qu'à les demander pour les obtenir. Mais déjà l'opérette les guette, nos parlementaires... L'opérette et aussi les revues de fin d'année. L'électeur, resté sur la pelouse, où il paie vingt sous, ronchonnera à l'idée que son élu, sans bourse délier, est au pesage où l'on voit de plus près si les chevaux sont bien en forme. Et l'élu n'aura, pour se faire pardonner, d'autres ressources que de traverser à tout instant la piste pour apporter le bon renseignement, le tuyau. Malheur à lui si le tuyau crève!
Par contre le pari mutuel sera d'un grand secours à qui voudra dissimuler l'origine d'une fortune suspecte.
- On s'étonne, citoyens, qu'avec neuf mille francs de traitement j'ai pu acheter un château qui en vaut trois cent mille. Rassurez-vous. Votre député est toujours honnête homme, toujours digne de vos suffrages! Cet argent-là,... il l'a gagné aux courses!
Dans sa prison, la pauvre Thérèse Humbert va surement s'arracher les cheveux en songeant que si "l'entrée gratuite" eût existé plus tôt, elle n'eût pas eu besoin d'inventer les Crawford.
- Les millions, mon çer, ze vous dis qu'ils existent... Entre nous, Frédéric, qui a de la chance, qui les a gagnés aux courses... Nous avions nous aussi de bons renseignements... Tous les jockeys sont nos amis... et quant aux propriétaires, ils n'ont rien à nous refuser...
***
Désormais au pesage, la majorité se retrouvera chez elle, comme au Luxembourg ou au Palis-Bourbon: les noms des chevaux deviendront prétextes à manifestation. Bon-juge sera l'occasion de crier: "A bas la calotte!" en souvenir des récents jugements de M. le président Magnaud, son propriétaire; le jour où courra Mademoiselle de Saint-Côme, on chantera: "Les aristocrates à la lanterne!..." sur l'air de la "Carmagnole", enfin M. Goyard devra débaptiser ses deux chevaux: le Châtelain et le Capucin qui, l'avant-dernière semaine encore, courraient à Saint-Ouen leur chance! Mais le bouquet, ce sera le cri de : "A bas l'armée!..." poussé par les soutiens de MM. Pelletan et André, le jour où nos officiers disputeront le "military"...
Jamais, pensez-vous, de pareilles gamineries ne seront possibles... Hélas, les hommes, quels que soient leur âge, leur culture, leur situation sociale, sont capables de tout lorsqu'un mauvais esprit les anime. Je n'en veux pour preuve dernière que cette mauvaise querelle, querelle d'Allemands, cherchée, l'autre jour, à l'Institut, par ces messieurs de l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres aux membres de cette mission Lenfant dont notre excellent collaborateur M. Le Goffic a vanté, à plusieurs reprises, et éloquemment, les courageux efforts, pour ouvrir à la civilisation une voie nouvelle et développer sur le sol africain l'influence française.
Le vaillant explorateur faisait en séance publique le récit de son voyage. Au cours de ce récit, il fut amené à raconter comment, dans une certaine contrée, se trouvant privé de moyens de transport, il avait dû contraindre un chef de tribu à lui fournir des porteurs. Aussitôt un académicien, que nous n'aurons pas la cruauté de nommer, de crier à l'humiliation! ajoutant que ce sont là des procédés barbares dont un explorateur français, en aucun cas, ne devrait user.
Vous jugez de l'émoi que causa cette sortie: plusieurs collègues de l'interrupteur approuvèrent ses paroles cependant que d'autres au contraire protestaient? Cependant le capitaine Lenfant et ses compagnons attendaient immobiles que cessât le tumulte, sans que rien dans leur attitude révélât la moindre émotion devant l'algarade. Lorsque le calme fut revenu, le chef de la mission Chari-Tchad continua son récit.
Niaiseries que tout cela! les nègres porteurs de bagages ne sont pas plus malheureux que nos coltineurs. Tous les jours aux Halles de braves gens déchargent des voitures cependant que, sur les quais de la Seine, d'autres gens déchargent des bateaux. Le sensible académicien voit tout cela tous les jours en allant à l'Institut. A-t-il jamais poussé le cri de l'indignation. En vérité les coloured gentlemen qui ont porté la valise du capitaine Lenfant et ses provisions n'ont pas été plus humiliés que le domestique à qui notre savant confie, chaque matin, le soin de cirer ses chaussures, car je ne pense pas qu'il les cire lui-même.
***
Et cela me remet en mémoire le cas de feu M. Joffrin qui fut conseiller municipal voici quelques quinze ans. M. Joffrin était un pur parmi les purs, le plus farouche ami du peuple. "Tous les hommes sont frères!" criait-il dans les meetings. Partant de là, cette idée qu'un homme pourrait abuser de sa fortune pour avoir des domestiques le faisait bondir. Pourtant il arriva qu'un jour quelqu'un sonna à la porte de M. Joffrin.
Un homme en tablier blanc vint ouvrir:
- Monsieur n'est pas là.
- Rentrera-t-il?
- Certes, car Monsieur m'a dit de préparer son dîner pour huit heures. Si monsieur veut laisser son nom...
- Vous êtes au service de M. Joffrin?
- Oui, monsieur, je suis son gouvernant.
Ainsi, Joffrin avait un valet de chambre, ce qui était son droit, seulement, ce valet de chambre, il l'appelait son gouvernant.
Pour en revenir à l'incident de l'Institut, j'ai dit que ceux qui le soulevèrent étaient animés d'un mauvais esprit. A travers les nègres, ils cherchaient à atteindre notre armée représentée par le capitaine Lenfant et ses compagnons.
Rien ne trouve grâce devant nos "intellectuels". N'est-ce point demain que les libres-penseurs vont tenir à Paris un meeting en vue de salir Jeanne d'Arc, l'une des plus pures gloire de notre pays? Vaine tentative. Sixte-Quint a dit de l'Eglise qu'elle pouvait supporter les plus rudes assauts parce qu'aussi bien, elle est éternelle: patiens quia oeterna. Le culte de Jeanne d'Arc, lui aussi, sera éternel.
Ce n'en est pas moins une grande pitié de voir des Français rabaisser l'héroïne dont l'étranger lui-même a vanté les vertus. Alfred Austin, poète lauréat du Royaume d'Angleterre, avant lui, Sousthey, également lauréat du Royaume, ont célébré la bonne Lorraine. Mark Twain, l'humoriste Américain si peu respectueux d'ordinaire des reliques du passé, à écrit le plus gravement du monde une vie de Jeanne d'Arc consacrée à sa louange.
Mais pour M. Combes, Jeanne d'Arc n'est qu'une étrangère, étant née en Lorraine.
Et puis elle priait Dieu!!!...
Gaston Royel.
L'Ouvrier, Journal illustré paraissant le mercredi et le samedi, n°2, 7 mai 1904.
Rien ne trouve grâce devant nos "intellectuels". N'est-ce point demain que les libres-penseurs vont tenir à Paris un meeting en vue de salir Jeanne d'Arc, l'une des plus pures gloire de notre pays? Vaine tentative. Sixte-Quint a dit de l'Eglise qu'elle pouvait supporter les plus rudes assauts parce qu'aussi bien, elle est éternelle: patiens quia oeterna. Le culte de Jeanne d'Arc, lui aussi, sera éternel.
Ce n'en est pas moins une grande pitié de voir des Français rabaisser l'héroïne dont l'étranger lui-même a vanté les vertus. Alfred Austin, poète lauréat du Royaume d'Angleterre, avant lui, Sousthey, également lauréat du Royaume, ont célébré la bonne Lorraine. Mark Twain, l'humoriste Américain si peu respectueux d'ordinaire des reliques du passé, à écrit le plus gravement du monde une vie de Jeanne d'Arc consacrée à sa louange.
Mais pour M. Combes, Jeanne d'Arc n'est qu'une étrangère, étant née en Lorraine.
Et puis elle priait Dieu!!!...
Gaston Royel.
L'Ouvrier, Journal illustré paraissant le mercredi et le samedi, n°2, 7 mai 1904.
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