L'exposition de Saint-louis et le centenaire de la Louisiane.
Il y a eu cent ans, le 30 avril, que la Louisiane a été cédée par la France aux Etats-Unis. Cession toute volontaire et presque gracieuse, car les 50 millions de francs que le Premier Consul demanda de la Louisiane devaient servir et servirent en effet, à indemniser un certain nombre de nos nationaux qui avaient des intérêts dans cette partie de l'Amérique.
Jaloux cependant de commémorer le centenaire d'un si grand événement, les Etats-Unis décidèrent d'ouvrir à Saint-Louis une exposition internationale, passant en étendue et en beauté tout ce qui s'était vu jusqu'ici. De fait, cette exposition qui vient de s'ouvrir, ne couvre pas moins que 500 hectares.
La France figure dans ce total pour 70.000 mètres carrés. C'est la plus importante des concessions qui aient été faites et ni l'Angleterre, ni l'Allemagne, qui viennent après nous, ne sont favorisés à ce degré.La concession française sera ainsi comme une petite exposition au milieu de la grande. Le palais français, calqué par nos architectes sur le modèle du grand Trianon, est isolé du reste de l'exposition par de magnifiques jardins à la française que le jardinier en chef de la ville de Paris est allé tout exprès dessiner là-bas. 1.500 de nos meilleurs artistes, répondant à l'appel de M. Michel La grave, notre commissaire général, ont envoyé à Saint-Louis les chefs-d’œuvres de leurs ateliers; pour décorer les murs on a pris aux Gobelains et à Beauvais leurs tapisseries les plus magnifiques, Sèvre a prêté ses porcelaines les plus fines, ses biscuits du XVIIIe siècle, d'un style tout à la fois si sobre et si délicat; le Garde-Meuble enfin a choisi dans le mobilier de l'Etat et de la ville de Paris les spécimens les plus réussis de l'art des Boulle et des Roubo.
Et, par parenthèses, l'admirable conservation des principales pièces de ce mobilier, ne laissera pas que de surprendre les Américains, comme tous ceux qui ignorent que les canapés et les fauteuils n'étaient, au XVIIe et XVIIIe siècles, que meublants et décoratifs, et qu'on avait garde d'en user pour s'asseoir. Mme de Genlis le dit expressément: "il y avait, dans les salons de Versailles et du Palais-Royal, une grande quantité de chaises d'étoffes rembourrées, galonnées, à long dos et très commodes. On ne s'asseyait que sur ces chaises et non sur les canapés ou dans les fauteuils, qui n'était que meublants et rangé autour des lambris où ils restaient toujours." Seuls, le roi et la reine usaient de fauteuils; les princes et princesse de sang eux-mêmes, à la cour, n'avaient droit qu'à des tabourets, voire des pliants. Qu'on y fût bien ou mal, il fallait s'en contenter. C'est ainsi qu'on lit, dans les Mémoires de Luynes, qu'en janvier 1745 "la Dauphine s'était plaint que les pliants sur lesquels elle était assise lui faisaient mal aux reins, Madame, à qui elle fit cette confidence, en parla à la reine et obtint pour elle un pliant avec un petit dossier fort bas"; mais c'est tout ce qu'elle obtint. On s'explique, à présent, que les sièges magnifiques dont s'honore notre Garde-Meuble, et qui proviennent presque tous des palais et des châteaux royaux, soient si bien conservés: ils n'étaient là que pour la montre.
Je reviens à l'exposition à Saint-Louis et à la place prépondérante qu'y doit occuper la section française. Cette prépondérance, accordée à notre pays sur tous les autres pays étrangers qui participent à l'exposition, n'est pas une preuve de l'excellence des sentiments des Etats-Unis à notre égard; c'est aussi la reconnaissance quasi-officielle du rôle considérable joué par la France dans la colonisation du pays auquel elle avait donné le nom de son plus grand roi. N'oublions pas que tout le cours inférieur et supérieur du Mississipi fut reconnu par un Français, Cavelier de la Salle; que Saint-Louis et la Nouvelle-Orléans, les deux principales ville de la Louisiane, furent fondées par un autre Français, Bienville. C'est à ce même Bienville qu'on doit le premier établissement scolaire qui ait existé en Louisiane, et qui était une école de filles. Les colons français qui avaient quelque fortune envoyaient communément leurs fils faire leurs études en France. Pour les filles, il ne fallait pas y songer. Bienville eut alors l'idée de s'adresser aux Sœurs grises du Canada. Le projet échoua. Bienville se retourna ver les Ursulines, qui acceptèrent. En effet, un contrat fut signé le 13 septembre 1726 entre la Compagnie des Indes et les religieuses. Bienville n'était plus gouverneur lorsque les Ursulines arrivèrent en Louisiane, mais c'est à lui que revient l'honneur d'avoir fondé la première école de filles à la Nouvelle-Orléans.
Au deuxième âge de la colonie, pendant la domination espagnole, le nouveau gouvernement tâcha d'établir en Louisiane des écoles espagnoles. Mais celles-ci ne prospérèrent guère, à cause de l'attachement des colons pour la langue française.
"On raconte même, dit M. Alcée Fortier, professeur à l'université de la Nouvelle-Orléans, et la chose est tout à l'honneur de leur patriotisme, que les Ursulines refusèrent d'accepter parmi elles les religieuses espagnoles ne sachant pas le français. Leur école est la seule dont il soit fait mention pour les filles, sous les dominations française et espagnole. Quant aux garçons, on ne sait trop où ils reçurent leur instruction. Beaucoup d'entre eux furent sans doute élevés en France, et les autres réussirent à s'instruire d'une manière quelconque, car tous les voyageurs parlent d'une manière favorable des colons français de la Louisiane."
Dès que la Louisiane fut devenue américaine, les législateurs du territoire s'occupèrent d'établir un collège à la Nouvelle-Orléans (1805). D'autres établissements furent créés dans la suite, parmi lesquels le collège Jefferson, le collège Centenary, le collège des Jésuites et l'école militaire.
Mais c'est à partir de la fondation Tulane que l'enseignement secondaire et supérieur a vraiment pris son essor en Louisiane. Or, la fondation Tulane est encore une fondation d'origine française. Fils de Louis Tulane, né à Rille en 1767, dont le père et le grand-père avaient été magistrats à Tours, Paul Tulane qui, par son activité, son intelligence, ses stricts principes d'économie, s'était élevé au premier rang des négociants louisianais, légua par testament 1.100.000 dollars à la Nouvelle-Orléans pour fonder une université qui, vieille aujourd'hui d'une vingtaine d'années, compte parmi les plus prospères des Etats-Unis. Il existe à l'université Tulane et au collège Newcomb, des cours avancés de langue et littérature françaises; il s'est également formé à l'université Tulane un cercle français qui est très florissant et qui sert de complément à l'Athénée louisianais. Des cours de français ont été fondés dans les trois écoles publiques supérieures, ou High Schools, de la Nouvelle-Orléans. De plus, la Société du 14 juillet a établi une école gratuite de garçons où l'on donne l'instruction en français et en anglais à cent cinquante enfants, et l'Union française a fondé une école parallèle pour les filles.
On voit que les descendants des colons français dans la Louisiane ne cessent de donner des preuves de leur attachement à notre pays.
"Nous croirions, dit M. Fortier, que l'éducation de nos enfants est incomplète s'ils n'apprenaient pas le français, qui fut la langue de nos pères. Nous y somme passionnément attachés et nous le laisserons pas éteindre dans notre Louisiane, fondée par des Français." Nobles paroles, qu'il convenait d'enregistrer et qui iront au cœur de tous nos compatriotes, au moment même où ils s'apprêtent à franchir l'océan pour aller fêter sur place le centenaire de l'entrée de la Louisiane dans la grande confédération américaine.
Charles le Goffic.
L'Ouvrier, Journal illustré paraissant le Mercredi et le Samedi, n° 3, 11 mai 1904.
Je reviens à l'exposition à Saint-Louis et à la place prépondérante qu'y doit occuper la section française. Cette prépondérance, accordée à notre pays sur tous les autres pays étrangers qui participent à l'exposition, n'est pas une preuve de l'excellence des sentiments des Etats-Unis à notre égard; c'est aussi la reconnaissance quasi-officielle du rôle considérable joué par la France dans la colonisation du pays auquel elle avait donné le nom de son plus grand roi. N'oublions pas que tout le cours inférieur et supérieur du Mississipi fut reconnu par un Français, Cavelier de la Salle; que Saint-Louis et la Nouvelle-Orléans, les deux principales ville de la Louisiane, furent fondées par un autre Français, Bienville. C'est à ce même Bienville qu'on doit le premier établissement scolaire qui ait existé en Louisiane, et qui était une école de filles. Les colons français qui avaient quelque fortune envoyaient communément leurs fils faire leurs études en France. Pour les filles, il ne fallait pas y songer. Bienville eut alors l'idée de s'adresser aux Sœurs grises du Canada. Le projet échoua. Bienville se retourna ver les Ursulines, qui acceptèrent. En effet, un contrat fut signé le 13 septembre 1726 entre la Compagnie des Indes et les religieuses. Bienville n'était plus gouverneur lorsque les Ursulines arrivèrent en Louisiane, mais c'est à lui que revient l'honneur d'avoir fondé la première école de filles à la Nouvelle-Orléans.
Au deuxième âge de la colonie, pendant la domination espagnole, le nouveau gouvernement tâcha d'établir en Louisiane des écoles espagnoles. Mais celles-ci ne prospérèrent guère, à cause de l'attachement des colons pour la langue française.
"On raconte même, dit M. Alcée Fortier, professeur à l'université de la Nouvelle-Orléans, et la chose est tout à l'honneur de leur patriotisme, que les Ursulines refusèrent d'accepter parmi elles les religieuses espagnoles ne sachant pas le français. Leur école est la seule dont il soit fait mention pour les filles, sous les dominations française et espagnole. Quant aux garçons, on ne sait trop où ils reçurent leur instruction. Beaucoup d'entre eux furent sans doute élevés en France, et les autres réussirent à s'instruire d'une manière quelconque, car tous les voyageurs parlent d'une manière favorable des colons français de la Louisiane."
Dès que la Louisiane fut devenue américaine, les législateurs du territoire s'occupèrent d'établir un collège à la Nouvelle-Orléans (1805). D'autres établissements furent créés dans la suite, parmi lesquels le collège Jefferson, le collège Centenary, le collège des Jésuites et l'école militaire.
Mais c'est à partir de la fondation Tulane que l'enseignement secondaire et supérieur a vraiment pris son essor en Louisiane. Or, la fondation Tulane est encore une fondation d'origine française. Fils de Louis Tulane, né à Rille en 1767, dont le père et le grand-père avaient été magistrats à Tours, Paul Tulane qui, par son activité, son intelligence, ses stricts principes d'économie, s'était élevé au premier rang des négociants louisianais, légua par testament 1.100.000 dollars à la Nouvelle-Orléans pour fonder une université qui, vieille aujourd'hui d'une vingtaine d'années, compte parmi les plus prospères des Etats-Unis. Il existe à l'université Tulane et au collège Newcomb, des cours avancés de langue et littérature françaises; il s'est également formé à l'université Tulane un cercle français qui est très florissant et qui sert de complément à l'Athénée louisianais. Des cours de français ont été fondés dans les trois écoles publiques supérieures, ou High Schools, de la Nouvelle-Orléans. De plus, la Société du 14 juillet a établi une école gratuite de garçons où l'on donne l'instruction en français et en anglais à cent cinquante enfants, et l'Union française a fondé une école parallèle pour les filles.
On voit que les descendants des colons français dans la Louisiane ne cessent de donner des preuves de leur attachement à notre pays.
"Nous croirions, dit M. Fortier, que l'éducation de nos enfants est incomplète s'ils n'apprenaient pas le français, qui fut la langue de nos pères. Nous y somme passionnément attachés et nous le laisserons pas éteindre dans notre Louisiane, fondée par des Français." Nobles paroles, qu'il convenait d'enregistrer et qui iront au cœur de tous nos compatriotes, au moment même où ils s'apprêtent à franchir l'océan pour aller fêter sur place le centenaire de l'entrée de la Louisiane dans la grande confédération américaine.
Charles le Goffic.
L'Ouvrier, Journal illustré paraissant le Mercredi et le Samedi, n° 3, 11 mai 1904.
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