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mercredi 17 février 2016

Ceux dont on parle.

Le senor Pédro Gailhard.


Quand on quitte le café de la Paix pour aller au café Riche, on passe devant un monument assez élégant, flanqué d'un buste doré du plus pur goût sénégalais. Au fronton de ce monument sont écrits les mots "Académie Nationale de musique" et plus d'un passant s'est imaginé que derrière les colonnes de marbre du portique des académiciens en habit vert tenaient séance.
Il est temps d'avertir le peuple français qu'on le trompe. Il n'y a pas d'académiciens dans l'Académie Nationale de musique. Ce titre n'est qu'une simple forme qui désigne une maison de commerce dirigée par M. Gailhard et sauvée tous les ans de la faillite à l'aide des excédents d'impôts dont comme chacun sait, le gouvernement n'a que faire.
Cette maison, plus connue sous le nom d'Opéra, tient les premières marques de musique française et étrangère et vend à l'abonnement. Elle dispose pour gérer la vente au détail d'un personnel considérable de garçons et de demoiselles de magasin presque tous sortis du Conservatoire, d'exécutants triés sur le volet, mais dont on entend le plus souvent que les doublures, de danseuses et de rats, d'employés, de figurants, de machinistes, d'ouvreuses, etc., etc. M. Gailhard commandait à cette armée, et, c'était la moindre de ses fonctions. Il devait choisir les artistes, faire prendre patience aux auteurs, et surtout, surtout équilibrer son budget.




Les frais de l'Opéra sont énormes. A chaque représentation, il ne faut pas prélever moins de onze mille francs sur les recettes pour couvrir les dépenses ordinaires, et avec les sommes consacrées au balayage il y aurait de quoi payer deux préfets.
L'Opéra est pourtant moins généreux avec ses artistes que la plupart des grands théâtres étrangers. M. Gailhard le déplorait, mais il criait misère et affirmait qu'il perdait cent mille francs par an. Ce sacrifice dura six ans et M. Gailhard accepta le renouvellement de son privilège pour une septième année. N'est-ce pas admirable? Et ce bienfaiteur des arts est discret. Il cherche à se faire oublier, il ne relève pas les attaques dont l'abreuvent des gens envieux qui le croit heureux. Il n'a même pas exigé, comme l'auraient fait tant d'autres à sa place, qu'on remplaçât le nom de l'Opéra par celui de Théâtre Gailhard.
Mais la République a de la délicatesse. Elle s'est résolue à mettre un terme aux libéralités de M. Gailhard avant qu'il soit tout à fait ruiné. Le difficile ne fut pas de lui trouver un successeur: les grands dévouements n'ont jamais manqué en France, MM. Isola, Raoul Gunsbourg, Albert Carré et combien d'autres, se déclaraient tous prêts à prendre la direction de l'Académie Nationale de musique.
La candidature qui avait le plus de chance était celle de M. Carré, parce que M. Porel désirait sa place et qu'on veut du bien à M. Porel.
Contre toutes les prévisions des gens bien informés, ce furent MM. Messager et Broussan, qui décrochèrent la timbale.
Et comme il faut que tout le monde vive, même les basses chantantes, on parle de nommer M. Gailhard organiste du Panthéon.

                                                                                                                              Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 24 février 1907.

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