Le premier prix.
Il ou Elle est l'espoir de son professeur, du Conservatoire et de l'Opéra. Il ou Elle a été choyé, dorloté, encouragé, pistonné en vue du premier prix. Le concours a eu lieu. Le jury a été attentif; il s'est ému, il s'est emballé; Il ou Elle a obtenu le numéro un. Fête sur toute la ligne. Embrassades, compliments, visites: "Vous serez Malibran, Duprez, Lablache ou Patti! Il y a un million dans ce gosier-là. Il ne s'agit plus que l'en faire sortir."
Le rouge-gorge se rengorge. Il ou Elle attend un bel engagement. Les journaux ont déjà chanté son nom et annoncé sa bienvenue. Les directeurs vont bientôt sonner à sa porte. Cependant les jours se passent et la sonnette reste immobile.
Enfin des offres sont faites; cinq mille francs la première année, six mille la deuxième, sept mille la troisième. Pas plus? Non, non. Et encore est-ce à la sollicitation de tel ou tel gros bonnet du ministère ou de la société parisienne. Qu'importe, il faut débuter, réussir, triompher. Après on exigera d'autres conditions. Les débuts sont annoncés, ils ont lieu.
La presse est froide, le public indifférent, le directeur s'aperçoit que son premier prix ne fait pas le sou, il le fourre dans les reprises perdues du répertoire.
De colère, le premier prix déchire son engagement et va à Bruxelles. On parle d'Il ou Elle dans les journaux comme coup de tête, pas comme artiste. Les années sonnent, on se décourage.
"Puisque l'Opéra ne veut pas de moi, puisque l'Opéra-comique me repousse, je serai la reine de l'opérette et je les narguerai tous."
En effet, le premier prix débute aux Menus-Plaisirs dans un joyeux vaudeville où les trilles et les gargouillades font long feu. C'est désolant. M. Ambroise Thomas lui avait pourtant dit qu'il enfoncerait la Krauss, et M. Ambroise Thomas ne peut pas se tromper.
Dix ans plus tard, le premier prix chante des romances sentimentales à l'Eden d'Abbeville ou au casino des Sables d'Olonne, et où les abonnés ne sont pas contents.
Elle a beau mettre sur ses cartes: "Premier prix du Conservatoire" le public n'en éprouve qu'un découragement plus profond.
Physiologies parisiennes, Albert Millaud, illustrations de Caran d'Ache, Job et frick, à la Librairie illustrée, 1887.
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