Mardistes, vendredistes, samedistes.
Dieu a créé les sept jours de la semaine en bloc. En détail, M. Perrin a créé le mardi du Théâtre français; M. Vancorbeil le vendredi de l'Opéra, et M. Carvalho le samedi de l'Opéra-Comique. De là une nouvelle espèce de spectateurs, appelés mardistes, vendredistes et samedistes. Celui qui écrit ces lignes les qualifie du terme d'entr'actistes. Le mot s'explique de lui-même.
Le mardiste, vendrediste ou samediste est un même individu, bipède, bimane et vertébré. Il appartiennent aux classes dirigeantes, fait partie du high-life parisien, et représente une aristocratie; ou celle de la naissance ou celle de l'argent.
Sa fonction principale consiste à être abonné à une loge ou un fauteuil dans un des théâtres mentionnés plus haut, pourvu que cet abonnement porte sur le jour de Mars, le jour de Vénus ou le jour de Saturne.
Le mardiste, vendrediste ou samediste ne va pas au théâtre pour le spectacle qu'on y joue. En s'abonnant, il ignore s'il assistera à une tragédie, à un opéra de Gluck ou à la dernière oeuvre de Massenet; il prend loge ou fauteuil pour être spectacle lui-même. Ne pas voir, mais être vu, c'est à la fois la devise, le principe et le but du mardiste, vendrediste ou samediste.
Aussi le type en question ne va-t-il pas au théâtre pour s'amuser. Aux fauteuils, il est assis de trois quarts pour examiner les loges; quand il sourit, c'est à une dame ou à un voisin; quand il regarde la scène, c'est par hasard, c'est en se retournant pour lorgner les avant-scènes de droite, après avoir examiné les avant-scènes de gauche.
L'entr'acte est le moment idéal, attendu par le mardiste, le vendrediste ou samediste. Délivrés d'un spectacle odieux, les mardistes, vendredistes et samedistes s'appartiennent. Ils se voient, se parlent et constatent réciproquement qu'ils sont là tous, bien vivants, toujours Parisiens, toujours raffinés et pas encore dans la dèche.
Les privilégiés se précipitent dans les loges des duchesses à la mode ou des bourgeoises à millions. Plus un samediste fait de loges dans une soirée, plus il est chic. Le comble de l'orgueil, c'est d'être tout à la fois mardiste, vendrediste et samediste, et de se répéter trois fois par semaine dans les mêmes loges. Un mardiste qui n'est pas en même temps vendrediste ou samediste n'est pas grand chose.
Dans les loges, les dames se regardent entre elles et épluchent leurs toilettes. Quand elles daignent jeter les yeux sur la scène, c'est pour étudier la toilette de la grande artiste ou de la jeune première. Pour le surplus, il serait impossible à ces spectatrices de dire si elles voient jouer le Misanthrope ou le Chapeau de paille d'Italie.
Physiologies parisiennes, Albert Millaud, illustrations de Caran d'Ache, Jog et Frick, à la Librairie illustrée, 1887.
Aussi le type en question ne va-t-il pas au théâtre pour s'amuser. Aux fauteuils, il est assis de trois quarts pour examiner les loges; quand il sourit, c'est à une dame ou à un voisin; quand il regarde la scène, c'est par hasard, c'est en se retournant pour lorgner les avant-scènes de droite, après avoir examiné les avant-scènes de gauche.
L'entr'acte est le moment idéal, attendu par le mardiste, le vendrediste ou samediste. Délivrés d'un spectacle odieux, les mardistes, vendredistes et samedistes s'appartiennent. Ils se voient, se parlent et constatent réciproquement qu'ils sont là tous, bien vivants, toujours Parisiens, toujours raffinés et pas encore dans la dèche.
Les privilégiés se précipitent dans les loges des duchesses à la mode ou des bourgeoises à millions. Plus un samediste fait de loges dans une soirée, plus il est chic. Le comble de l'orgueil, c'est d'être tout à la fois mardiste, vendrediste et samediste, et de se répéter trois fois par semaine dans les mêmes loges. Un mardiste qui n'est pas en même temps vendrediste ou samediste n'est pas grand chose.
Dans les loges, les dames se regardent entre elles et épluchent leurs toilettes. Quand elles daignent jeter les yeux sur la scène, c'est pour étudier la toilette de la grande artiste ou de la jeune première. Pour le surplus, il serait impossible à ces spectatrices de dire si elles voient jouer le Misanthrope ou le Chapeau de paille d'Italie.
Physiologies parisiennes, Albert Millaud, illustrations de Caran d'Ache, Jog et Frick, à la Librairie illustrée, 1887.
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