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mercredi 10 février 2016

Le carnaval.

Le carnaval.


Chaque siècle a eu son quart d'heure de folie, et de tout temps les peuples ont éprouvé, vers la fin de l'hiver, le besoin de manifester leur joie par des mascarades bruyantes ou des processions burlesques. Les Égyptiens avaient les promenades sacrées du bœuf Apis; les Grecs et les Romains, leurs Lupercales, Bacchanales et Saturnales.
Au moyen âge, nous voyons les mascarades de la fête des Fous de de l’Âne; les processions de la Mère folle de Dijon, instituées en 1450, longue file de chariots chargés de masques et bouffons, qui disaient des injures à tout le monde.
Toutes les associations populaires célèbrent alors leur jour de fête. Bruges a la fête du Forestier; Valenciennes, le Prince des Étrilles; Cambrai, le Roi des ribauds; Bouchain, le Prévôt des Étourdis; Arras, l'Abbé de liesse; Douai, la procession du Géant Gayant et la fête des Ânes; Chalon-sur-Saône, le Gaillardon; Auxerre, la société des Ménétriers; Avallon, le Pape gai; Langres, la Danse aux sabots; Dôle, le roi de la Pie; Lille a la fête de l'Epinette, dont le roi s'appelle le Sire de la Joie. Cette célèbre mascarade a lieu le dimanche qui précède le mercredi des Cendres. Metz a le Graouilli; Pézenas, le Pailain; Tarascon, la Tarasque, etc. etc.
La Provence avait, comme divertissement de carnaval, la Danse des olivettes. Des jeunes gens, vêtus à la romaine, ayant à leur tête un roi, un prince et un maréchal, précédés d'un arlequin et d'un héraut, marchant sur deux rangs, parcouraient la ville au son des tambours, qui jouaient une marche guerrière. Pendant que le héraut se livrait à des entrechats, que l'arlequin imitait d'une manière bouffonne, les Olivettes simulaient un combat, en croisant et en frappant tour à tour leurs épées en cadence. Le roi et le prince essayaient de vider leurs querelles; mais les olivettes s'empressaient de mettre fin au duel en poussant de grands cris. Ils se séparaient ensuite en deux bandes, au milieu desquelles se plaçait arlequin, qui chantait le couplet suivant:

Je suis Arlequin, 
Monté sur des épées,
Comme un second Pompée,
Avec mon sabre en main;
Mettez bas Arlequin.

Ces danses se terminaient par des manœuvres de cavalerie. Selon M. de Villeneuve, elles remontaient aux Romains et figuraient la querelle de César et de Pompée.
Toutes ces folies répercutent les longs éclats de rire qui retentirent dans les siècles passés, et dont les faibles échos viennent mourir avec le tintement des grelots agités par le carnaval du XIXe siècle. Cette gaieté, il faut en convenir, ne fut pas toujours saine: les superstitions païennes se mêlèrent trop souvent à ces fêtes et provoquèrent à bon droit les justes rigueurs du clergé. Aujourd'hui que le carnaval jette ses dernières lueurs, ceux qui le regrettent ne se souviennent peut-être pas assez qu'il mérita les plus sévères condamnations. Nous ne rappelons aujourd'hui que les inoffensives bouffonneries dont le carnaval marquait le retour. Sait-on que, dans certaines contrées, il replongeait, pendant une courte période, les populations chrétiennes dans les désordre du paganisme?
En cherchant l'origine de la promenade du bœuf gras, beaucoup d'écrivains ont cru la trouver dans la coutume qu'avaient les Gaulois d'adorer un taureau revêtu de l'étoffe sacerdotale et surmonté des trois grues prophétiques. Les Gaulois ne reconnaîtraient guère leur bœuf symbolique dans les bœufs placides qui parcourent encore maintenant nos rues. D'autres historiens font intervenir le bœuf Apis des Égyptiens; mais est-il besoin de faire remarquer que les riverains du Nil n'immolaient pas l'animal sacré? Les soldats de Cambyse seuls se permirent cette profanation, qui fut regardée comme tellement odieuse, que l'histoire l'a enregistrée. Cet étrange respect montre que le bœuf gras n'a rien de commun avec le bœuf Apis.
Les Chinois, en revanche, pour solenniser le printemps, promenait un bœuf gras, que l'on tuait après la fête. Faut-il évoquer ce précédent?
Nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire de remonter si haut dans l'histoire des folies carnavalesques. Il nous suffit de rapprocher de cette singulière coutume les réjouissances analogues que donnait, au printemps, la corporation des bouchers le jour qui précédait le carême- prenant. C'était le couronnement des fêtes et des festins qui se célébraient dans toutes les familles, depuis l’Épiphanie jusqu'au Carême. Le peuple disait alors un dernier adieu à la chair; quarante jours d'abstinence allaient succéder aux ripailles. Des lois rigoureuses forçaient les bouchers à fermer leurs boutiques depuis le mercredi des Cendres jusqu'à la veille de Pâques.
Les clercs de la Basoche plantaient à cette époque leur mai dans la cour du Palais de Justice; les bouchers avaient choisi la même échéance pour commémorer leur victoire sur les bouchers du Temple: victoire bien faite pour enthousiasmer la corporation! Il ne lui avait pas fallu, en effet, moins de deux siècles de procès pour reconquérir ses privilèges.
Le "bœuf viellé", ainsi nommé parce qu'il marchait au son des vielles, était conduit en grande pompe chez le roi et les premiers magistrats du parlement, couvert de housses, de tapisseries et de guirlande de feuillage comme le bœuf gaulois. Sur son dos siégeait un enfant nu, avec un ruban bleu en écharpe, un sceptre d'or d'une main, une épée de l'autre. C'était le roi des bouchers.
Dans certaines provinces de l'Est, on célébrait naguère encore, le dimanche gras, la fête du Quelo. Que signifie ce vocable? Il nous est impossible de le dire. Les fonctions du quelo étaient assez singulières. Le compère promu à ce grade avait pour mission de barbouiller les chaussures des étrangers qui sortaient de l'église, en criant: Quelo! quelo! Revêtu d'une blouse bleue, les reins entourés d'une ceinture tricolore, la tête couverte d'un bonnet de papier rouge surmonté d'une branche de laurier, le roi du jour, armé d'une gaule à l'extrémité de laquelle était attaché un torchon, courait sus à tous les étrangers qu'il rencontrait.
Un second dignitaire, nommé le maire de Chaty, porteur d'une hallebarde, était chargé de protéger le quelo, et, en cas de besoin, tous les jeunes gens de la commune prenaient fait et cause pour le roi de la fête.
La cérémonie instituée pour élire le quelo est assez singulière pour mériter d'être décrite.
Le jour du mardi gras, au commencement de la nuit et à la clarté de quelques flambeaux de paille, se réunissaient les jeunes mariés de la commune, en tête marchaient le quelo et le maire de l'année précédente. Puis les jeunes gens plaçaient un van contre un mur, et y jetaient alternativement une poignée de gros sous. Cette opération faite, ils s'empressaient de ramasser les pièces de monnaie; celui qui colligeait le plus grand nombre de sous tombés face était immédiatement proclamé maire de Chaty. A peine désigné, l'heureux élu, saisi par ses camarades, était installé tant bien que mal sur une hallebarde portée horizontalement. Soulevé par la bande, le nouveau dignitaire était de la sorte porté en triomphe jusqu'à son domicile. A la tête du cortège s'avançait un ménétrier, qui raclait du violon; puis venaient les porteurs de flambeaux, l'ancien maire, l'ancien quelo, et toux ceux qui voulaient faire partie du cortège. Arrivé chez lui, l'élu remplissait de vin tous les brocs alors en usage, en commençant par le double pot, et ainsi de suite, dans l'ordre décroissant, jusqu'à la chopine. Quand tous les hanaps, tous les récipients, étaient taris, la société se retirait en chantant. On procédait ensuite à l'élection du quelo. Pour cette fonction, la bande choisissait un individu courageux, qui avait conclu, l'année précédente, des marchés fructueux, soit en vendant, soit en achetant des vaches, des brebis, des poules et des porcs. Après s'être mis d'accord sur le choix du candidat, les jeunes gens composaient, en bout-rimés patois, trois discours nommés itèmes;  le premier était prononcé par l'ancien maire de Chaty; le second par le quelo, et le troisième par le nouveau maire.
Ces discours ou itèmes roulaient sur les marchés dont l'heureux quelo avait été le bénéficiaire et le héros.
A la nuit tombante, les trois orateurs, accompagnés de quelques jeunes gens, se rendaient auprès de la fontaine située au milieu du village. Un bûcher de javelles se dressait devant la piscine. A peine la première étincelle brillait-elle, que les trois personnages, montés sur les auges de la fontaine, criaient trois fois et par intervalles: Quelo! quelo! quelo! Tous les assistants répétaient la même clameur, puis chaque orateur débitait un discours qui finissait par ces mots patois: Ne mérite-t-il mé d'être quelo? Et les assistants de s'écrier encore en chœur: Quelo! quelo!

Il y a soixante ans, le carnaval, dans les Vosges, ne faisait pas, comme aujourd'hui, piteuse mine. Il était le bienvenu du riche et du pauvre, chacun l'acclamait, le fêtait, le choyait à qui mieux mieux. Quel ébaudissement, quels cris, quels rires, quand, le jour du mardi gras venu, Carnaval, sous les traits de quelque rubicond et mafflu compère, faisait son entrée dans un village, au milieu d'un essaim bariolé de masques de toutes vestes et de toutes les couleurs! Quand les vieillards de Rupt, de Masonchamp et vingt autres lieux parlent de ces grandes réjouissances, ils ont encore, ou peu s'en faut, la larme à l’œil.
Le cortège se composait de plusieurs groupes distincts, dont un au moins à cheval. Le plus intéressant, sinon le plus admiré de ce groupe, avait pour mission d'assurer le service des vivres, en d'autres termes d'approvisionner copieusement la table autour de laquelle la bande joyeuse toute entière devait se réunir le soir pour banqueter. Munis, qui d'un sac, qui d'un panier, des masques pourvoyeurs ne s'arrêtaient guère à la porte des chétifs ou des loqueteux, si ce n'est pour y débiter de temps à autre quelque patenôtre salée; mais avisaient-ils une ferme cossue, d'où s'échappait un franc fumet de ripaille, ils n'avaient garde d'en manquer l'entrée, très capables à l'occasion de s'introduire par la fenêtre pour arriver plus vite dans la place.
"A votre générosité, madame la bourgeoise," disait en reluquant la cheminée le compagnon le plus déluré, celui qui avait la langue la mieux pendue.
Et il fallait voir comme il se trémoussait, comme il savait se montrer habile, aimable, persuasif, pour que sa requête ne fût point repoussée. Rarement la maîtresse du logis se faisait tirer l'oreille, et, pendant qu'elle détachait quelque pièce de viande fumée, voire même un appétissant jambon, les quêteurs chantaient, en faisant force gambades:



Carnaval n'a pas soupé,
Mardi gras lui a donné.
Coupez bas, coupez haut.
Si vous n'avez pas de couteau,
Donnez-lui tout le morceau.

Durant cette cérémonie, les masques restés au dehors s'ingéniaient, inventaient mille singeries de haut goût, ou faisaient les délires de la foule collée à leurs trousses, avec des coq-à-l'âne, des propos burlesques et d'étourdissants quolibets.
Une autre coutume, et celle-là n'a pas disparu complètement, comme on peut s'en assurer à Rupt, est la suivante:
Dans toutes les maisons où se trouve une jeune fille, on dit là-bas une demoiselle, c'est mieux, les jeunes garçons du voisinage qui ont du savoir-vivre, s'entendent entre eux pour aller lui rendre visite dans la journée du mardi gras.
Après les salutations et les compliments d'usage, le plus dégourdi de la bande requiert la mignonne, en lui présentant un bassin d'eau claire dont il s'est muni, de lui permettre de prendre sa main gauche et de la plonger doucement, doucement, dans l'eau. Cette ablution, comme toute chose qu'on ne veut pas faire à demi, s'accomplit avec une sage lenteur. Quand elle est enfin terminée, un nouveau garçon s'avance et réclame à son tour une grâce, celle d'essuyer les deux doigts mouillés avec une serviette, qu'il a demandé à cette intention à la maîtresse de maison.
En fille bien apprise, la jeune fille ne se contente pas de payer en remerciements d'aussi galants procédés; elle offre à ses visiteurs des pommes, des poires et surtout des noisettes. Encore peut-elle se dire qu'elle est devenue leur débitrice; car, en agissant ainsi qu'ils l'ont fait, ils ne lui ont pas donné seulement une marque de haute estime dont elle peut être justement fière, ils l'ont mise à l'abri, pour tout le reste de l'année, des piqûres des fourmis.

Dans la Meuse, les jeunes garçons promenaient, le lundi gras, le plus beau coq du village, et dansaient devant chaque maison en chantant les singuliers couplets que voici, mêlés de latin et de patois:

Volucres cœli
Et pisces maris
Stila qu'à perdu sa pouille
Onêt bien marri,
Esse qu'on bon bon.
Donnez-nous ce bon jambon;
S'il e petit, nous l'pernons;
S'il e gras, nous l'rendrons.
Quand les blés sont en verdeure;
Dieu nous donne bonne aventure.
Vive le roi
François!

A Mirecourt, dans les Vosges, la cantilène est plus terre à terre et moins touchante:

Mardi gras n'a pas soupé,
S'il vous plait de lui donner?
Coupez haut, coupez bas!
Donnez-lui c'qu'il vous plaira,
Si vous n'avez pas d'couteau,
Donnez lui tout le morceau.

An Alsace, d'après le folkloriste Auguste Stœber, les jeunes garçons, après avoir allumé un grand feu, comme à la Saint-Jean, et exercé leurs gamineries tout autour, se répandaient dans les villes ou villages en demandant des beignets. Ils ajoutaient:

Dank i Gott ihr liawe Lit.
Lawe wohl und zruc nitt,

c'est-à-dire: "Dieu vous le rende, braves gens; portez-vous bien et excusez-nous."
Quand on ne leur donnait rien, ils criaient:
"Une fourchette est plantée dans votre mur; vous n'avez rien donné, c'est une honte."
Celle leçon avait naturellement des variantes selon la localité. A. Stœber reproduit celle qui suit, que nous traduisons du dialecte alsacien:


Des violettes, des rose!
Nous chantons pour les beignets!
(bis)
Les beignets sont frits,
Nous entendons pétiller le poêlon.
Des beignets! des beignets!
Bonheur et bénédiction dans votre maison!


Des violettes, des rose!
Nous chantons pour les beignets!

(bis)
Le seigneur a une belle demoiselle,
Elle a les cheveux bien tressés.
Des beignets, des beignets!
Nous entendons résonner les clefs,
La dame va apporter les beignets
Des beignets! des beignets!
Bonheur et bénédiction dans cette maison.

Dans les provinces de l'Ouest, les enfants ont conservé l'habitude de chanter à travers les rues certaines formulettes auxquelles il serait parfois difficile d'attacher un sens quelconque. Voici, par exemple, ce qui se dit à Yvetot, dans le pays de Caux (Seine-Inférieure):

Haguignettes à fleur de lys!
C'est ma sœur Madeleine
Qui est la plus certaine.
Donnez-moi mes haguignettes
En l'honneur de Jésus-Christ!

Haguignettes est synonyme de guilanée et signifie étrennes.
A Fontaine-le-Dun, dans le même pays de Cau, l'antienne est ainsi conçue:


Haguignettes à fleur de lys!
Quand nous serons en paradis,
Il y fait si bon, si bel
Entre Pâques et Noël!
C'est ma sœur madeleine
Qui est la plus certaine.
Elle y roule sa brouette,
Tout le long du paradis.
Donnez-moi mes haguignettes

Pour l'honneur de Jésus-Christ!

Evidemment ce couplet informe doit être le débris de quelque légende du moyen âge.
Le carnaval disparaît en basse Normandie comme partout; mais, il y a vingt ans, on voyait encore beaucoup de mascarades dans les principales villes du département de la Manche. Edouard Le Hérichet, le regretté président de la Société d'archéologie d'Avranches, relate, dans les Mémoires de la Société, ce qui se passait à Valognes, jadis ville de plaisir, ville de noblesse, appelée "le Versailles du Cotentin", et de laquelle on disait "qu'il ne faut que trois mois de Valognes pour former un gentilhomme". Tout le succès du mardi gras allait à deux masques qui ne se trouvaient guère ailleurs, et qui paraissaient être des types normands: le Jeannot, personnification du paysan niais, et la Pie, bobèche bavarde et perfide, coiffé d'un bonnet de magicien et vêtu d'un justaucorps mi-partie blanc, mi-partie noir, dans le sens de la longueur. Les héros  de la fête lisaient une lamentation burlesque sur Carnaval, brûlaient un mannequin représentant Mardi gras, et chantaient:

Mardi gras est mort;
Sa femme en hérite
D'une cuiller à pot
Et d'un'vieille marmite.
Chantez haut! chantez bas
mardi gras ne r'viendra pas!

Dans le sud du département, à Villedieu-les-Poêles, les gamins suivent les masques en hurlant à pleins poumons ce refrain d'allure moderne:

Carnaval n'est pas mort, (bis)
car il existe encor. (bis)
Vive, vive le Carnaval!
C'est le temps de la folie; 
Du plaisir, c'est le signal
Vive, vive le Carnaval!

Dans un très curieux livre intitulé la Brie d'autrefois, dû à la plume élégante de Jules Grenier, l'ancien directeur de la Gazette sténographique, l'auteur consacre tout un chapitre aux réjouissances carnavalesques. Il paraît que les Briards profitaient de la fête pour monter sur un âne et les "charivariser" les gens notés pour leur inconduite. Un mois avant le mardi gras, huit ou dix jeunes gens se réunissaient et désignaient les voisins qui devaient être "carillonnés". Le choix opéré, on se rendait chez le chansonnier de l'endroit, et celui-ci recevait mission de composer les couplets de circonstance sur les censurés, qu'on gratifiait généreusement du titre de "marquis". Le dimanche de la Sexagésime, un tribunal, en robes et en toques, jugeait les prévenus et ratifiait la sentence du premier aréopage. Enfin, le mardi gras, la mascarade , à cheval et à pied, se rendait vers la principale place du village. En tête marchaient les sonneurs de cornet à bouquin, les violons, puis, derrière, les victimes à califourchon sur un âne et placés nez à nez; puis finissant la marche, les pleureurs et pleureuses, vêtus de robes sombres et le visage voilé. Arrivé sur la place, la cavalcade s'arrêtait et formait le cercle autour des héros du jour: le véritable charivari commençait. Batterie de cuisine et cornet criards, tambours et grelots, faisaient rage. Un signal imposait au bout de quelque temps, silence à l'infernal concert. Les différents morceaux terminés, le "marquis" et la "marquise" s'embrassaient tendrement; le carillon reprenait aussitôt de plus belle, et fantassins et cavaliers se rendaient dans les villages voisins, en chantant à tue-tête les couplets suivants.

Mardi gras,
N't'en va pas!
J'ferons des crêpes, j'ferons des crêpes!
Mardi gras,
N't'en va pas.
J'ferons des crêpes
Et t'en mang'ras.

La cérémonie terminée, les voisins apportaient à pleine cruches du vin du cru, que les carillonneurs ne se faisaient pas faute de fêter.
Le soir, l'antienne était légèrement modifiée. La voici:

Mardi gras s'en est allé
J'ons fait des crêpes, j'ons fait des crêpes!
Mardi gras s'en est allé
j'ons fait des crêpes,
Y g'na pas mangé!

La matinée du lendemain était employée à quelques promenades, et, vers trois ou quatre heures de l'après-midi, la joyeuse mascarade se massait sur la place, où un bûcher était dressé. L'âne s'approchait docile, et, tandis qu'on lui enlevait son fardeau, un huissier lisait à haute voix la sentence et signifiait aux coupables "qu'il ne leur était accordé aucune grâce." En conséquence, le couple était hissé sur les fagots, auxquels dix personnes, munies de briquets d'amadou, s'empressaient de mettre le feu. Les flammes s'élevaient ardentes, et, pendant qu'elles léchaient l'homme de paille et sa compagne (car les victimes avaient été remplacées par des mannequins), la gent carnavalesque exécutait autour du bûcher une ronde endiablée.

Un voyageur, l'abbé Charles Berthon, nous fournit quelques notes sur les fêtes dont est annuellement le théâtre cette petite ville de Malte, qui donna jadis tant de preux chevaliers à l'Europe.
"Impossible, dit le voyageur,  de décrire toutes les excentricités auxquelles se livre ce bon peuple en ce jour de folie. Ce ne sont que processions grotesques, promenant des mannequins, exécutant des danses, se groupant parfois autour d'un bouffon qui pérore..."
Athènes, cette ville antique où l'on croirait qu'il n'y a de place que pour les souvenirs de sa splendeur, a, elle aussi, son moment d'extravagance. Mais là le Carnaval ne commence à s'égayer qu'au moment de sa mort.
Chaque année, le clergé condamne cette fête. Elle se tient dans l'un des plus beaux lieux du monde, entre le stade et l'arc d'Adrien, au pied du temple de Jupiter Olympien, en face de l'Acropole. Les longs replis de la chaîne des danseurs se déroulent au son de la lyre et du tambour. Après la danse, les Athéniens inaugurent la Carême par un maigre repas d'olives, de caviar et de grains de maïs grillés.
Si nous passons d'Athènes à Ivrée, petite ville d'Italie, située au pied des Alpes, nous y trouvons encore une autre manière de célébrer le carnaval: les mœurs ont conservé dans ce coin de terre toute la simplicité et la naïveté des temps anciens.
Dès le premier jour de la semaine, un banquet réunissait à la même table les autorités administratives et communales, et, à côté d'elles, une autorité toute spéciale, à savoir; "le général du Carnaval" nommé à vie par la population, et autour duquel se groupent douze officiers dont deux aides de camp, tous également élus. Au début de la réunion, le sous-préfet déclare le carnaval ouvert; de quoi le "notaire du carnaval", notaire sérieux et assermenté, prend acte en bonne et due forme dans un acte authentique, qui est inscrit chaque année sur un registre spécial. A dater de ce moment, tout ce qui concerne la police du carnaval, l'organisation des fêtes, et même, dans une certaine mesure, l'autorité municipale et administrative, est placé sous la direction, sous contrôle, du général de circonstance.

Les fêtes de nos pères, Oscar Havard, Touts, Mame , 1898.



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