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mercredi 24 février 2016

Leçon naïve.

Leçon naïve.

Mlle Sublet, femme de chambre de la reine Marie Leckzinska, avait pour habitude de se coucher à sept heures et demie du soir. Heureusement que la reine ne faisait jamais de seconde toilette. Nous faisions quelquefois la partie de plaisir d'aller surprendre Mlle Sublet dans son établissement nocturne.
C'était certainement bien la plus familière et la plus étrange personne qui ait jamais été chargée d'attacher des pompons sur une tête couronnée.
Le roi Louis XV, qui ne demandait pas mieux que de faire des enfantillages, nous dit un beau soir: 
"Allons donc contempler Mlle Sublet.
- Vous la trouverez, lui dit la reine, avec un buste de Votre Majesté qu'elle a fait portraire en sucre d'orge.
- Voilà qui va le mieux du monde, et nous allons le manger, " répondit-il.
La reine me pousse dans cette chambre, et je m'écrie:
"Sublet, le roi m'envoie pour vous demander si vous n'avez pas attrapé un coup de soleil en vous déshabillant pour vous coucher?
- Quelle heure est-il donc? Est-ce que le roi va rester cette nuit auprès de la reine?" me dit cette bonne fille en se mettant sur son séant avec un sursaut de jubilation.
Le roi, qui était derrière moi, se tenait à moi par la pointe de ma manchette, et je répondis à Mlle Sublet avec assez d'embarras, qu'il était neuf heures sonnées, mais que je n'avais rien à répondre au surplus.
- Imaginez, reprit-elle, en faisant le signe de la croix, imaginez que le roi n'a pas couché céans depuis plus de six semaines.
- Mais, Sublet, repris-je, en m'empressant de l'interrompre, qu'est-ce donc que cette petite chapelle sur votre commode?
- C'est un portrait du roi, notre maître, avec toute sorte de petites choses, entre deux flambeaux garnis de leurs bougies, comme vous voyez, couleur de soie et chaperonnées à la sultane en soie parfumée. J'y mettais autrefois des bouquets superbes; mais, par ma foi, je suis trop en colère contre lui!... Je lui avais mis à l'automne passé deux pommes d'api tout à côté de son petit buste, mais le les ai retirées, je les ai fait manger à la petite Marchais, à cause de ce cordon bleu de Marigny,..."
J'étais sur les épines, ainsi qu'il est aisé de le penser.
"- Vous voyer bien cette belle orange, n'est-ce pas? Une orange que j'avais prise au grand buffet pour la mettre devant lui? Eh bien, dit-elle encore avec une expression de ressentiment passionné, je finirai par la manger à son nez et à sa barbe! Je te la mangerai ton orange!" poursuivit-elle en apostrophant le roi de sucre d'orge, et en serrant les dents et gesticulant à poings fermés...
Elle était si transportée d'exaspération, que je m'attendais à l'entendre nommer certain masque femelle, et que je me retournai précipitamment du côté de Leurs Majestés, qui m'avaient déjà devancée dans la chambre de parade, où je retrouvais la pauvre reine avec les yeux rouges et le cœur bien oppressé.
Le roi nous parut singulièrement triste, mais sans aucun air d'irritation.
"- Je vous demanderai la permission de me retirer dans mon oratoire, attendu que je voudrais communier demain matin." lui dit la reine avec un air de douceur ineffable...
Le roi lui baisa la main, qu'il appliqua sur son cœur en la regardant d'un œil attendri; il eut soin d'ajouter qu'il ne manquerait pas  de venir le lendemain souper chez elle, et puis il se rendit auprès de Mme de Pompadour, qui logeait au château depuis trois mois déjà.

                                                                                         (Souvenirs de la marquise de Créqui.)

Dictionnaire Encyclopédique d'anecdotes, Edmond Guérard, librairie Firmin-Didot, 1876.

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