La moustouire.
(Scène des Vendanges.)
(Scène des Vendanges.)
" Holà, voisin! ma vigne est mûre: qu'on se prête:
Aidez-nous, et demain, notre vendange faite
Nous irons vous aider de même à notre tour."
C'est pourquoi le coteau, dès la pointe du jour,
Est plein d'éclats de rire et de chansons alertes;
Cachés jusqu'à mi-corps parmi les vignes vertes
En groupe espacés, on voit les paysans
Se courber pour cueillir la grappe aux grains luisants.
Les fille qu'on lutine, ont la réplique franche;
Leur court jupon rayé, gros de plis sur la hanche,
Montre la fermeté de leur jambe, et vos yeux
Sont brillants de plaisir, ô travailleurs joyeux...
La serpe va et vient. Parfois, l'un d'eux se dresse,
Appelle, et dans sa main, prétexte à la paresse,
On admire un moment, lourde et pareille à l'or,
Une grappe où le pourpre en festons tremble encor,
Fruit rare et mieux venu qui se garde ou qu'on mange.
Tout courbés sous le poids des mannes de vendange,
Les porteurs, leur coussin à l'épaule, là-bas,
Gagnent avec lenteur, car voici qu'ils sont las,
La cuve où des enfants dansent, les jambes nues,
Sur le flots des raisins épanché des cornues.
La serpe va et vient. L'année est bonne: on rit.
Le soleil fait le vin, qui fait content l'esprit:
Merci, soleil! On chante, on s'appelle, on babille.
Cependant derrière elle, une oublieuse fille
Laisse un beau grappillon que, sous le pampre vert,
Un galant aux aguets a bientôt découvert.
"La moustouire!" dit-il, car la fille est jolie:
Il doit, ayant coupé la grappe qu'elle oublie,
L'en barbouiller d'abord pour l'embrasser après.
Déjà la fille court, mais il la suit de près,
La saisit par la robe et la belle s'arrête;
Dans ses bras repliés, elle a caché sa tête.
Il la prend par la taille; elle veut, de sa main,
Ouvrir les doigts pressants du garçon, mais en vain.
Son beau corps prisonnier se tord, se plisse et ploie.
Et le jeune homme ardent, qui palpite de joie,
Attire près du sien le visage charmant,
Et, changeant en plaisir le juste châtiment
Laissant à ses pieds choir la grappe redoutée
N'inflige qu'à demi la peine méritée.
O vendange! ô baisers! sur son visage pur,
S'il avait fait jaillir le jus du raisin mûr,
Vraiment la belle enfant n'en serait pas plus rose!
La serpe va et vient. On chante, on rit, on cause...
"On ne m'y prendra plus!" dit la belle, en rêvant.
Mais, n'importe! elle t'aime, ô jeune homme, et, souvent,
Troublée au souvenir des baisers de ta bouche,
Elle oublie à dessein des grappes à la souche.
Jean Aicard
de l'Académie française.
Les Annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 28 septembre 1913.
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