Le témoin.
Autrefois, le témoin s'appelait second et venait dégainer à côté de son client. Naguère encore, le témoin était un ami qui accompagnait son champion sur le terrain, l'assistait, lui sacrifiait un peu de son temps et quelquefois de sa liberté, et, son devoir rempli, disparaissait complètement. Aujourd'hui, le témoin est un personnage qui signe un procès-verbal et qui a autant d'importance que s'il s'était battu lui-même.
Le témoin ne travaille plus qu'en vue du procès-verbal. Il recherche la correction, parce que ses procédés seront publiés et connus. Il soigne son style, perle ses phrases et semble dire: "S'ils se tuent, je veux tout au moins que ce soit bien rédigé."
Le témoin a par cela même cessé d'être un homme de cercle ou de salon, habitué aux choses de l'honneur, ayant le temps et le loisir de s'en occuper, comprenant combien les affaires de ce genre exigent de mystère, de discrétion et de délicatesse et avec quel soin il faut les tenir loin de la publicité et des commentaires de la foule. Il est devenu bruyant. On le choisit dans le monde des écrivains, des députés, des journalistes, des romanciers, tout gens habitués à ce que l'on parle d'eux et aimant assez à occuper le public de leurs affaires et de celles de leurs amis.
Le témoin en est arrivé à discréditer le duel et à en montrer la trop fréquente puérilité. Il a solennisé des niaiseries, et il a raconté des dénouements de duel tellement négatifs, qu'on a rien lu du tout quand on les a lus.
Cependant, il y a un bon côté à ce tapage fait autour d'un duel, c'est que les témoins, craignant les suites d'un tournoi malheureux, s'efforcent de préparer des rencontres inoffensives. Ils prennent des précautions infinies, posent des conditions salutaires et ne tiennent qu'à constater qu'une chose; c'est que, grâce à eux, l'honneur a été satisfait sans qu'il y ait eu mort d'homme ou blessure dangereuse.
Physiologies parisiennes, Albert Millaud, illustrations de Caran d'Ache, Job et Frick, à la Librairie illustrée, 1887.
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