M. Paquin, couturier.
I
M. Paquin quand il n'était pas célèbre.
Rien ne pouvait alors faire soupçonner que ce personnage gauche, sans élégance, deviendrait un des maîtres de la mode. Il désespérait son tailleur par les plis disgracieux qu'il faisait prendre en quelques jours aux vêtements les mieux réussis, et, parce que ses costumes pendaient au hasard sur ses épaules, ses amis l'avaient surnommé "Porte-manteau".
Pourtant, un soir de première, M. Paquin entra aux Bouffes-Parisien, vêtu d'un frac irréprochable. Dans la loge où on l'attendait, ce fut un concert d'exclamation:
- Porte-manteau, tu es amoureux.
- Porte-manteau, je veux ton portrait dans cette tenue.
Pendant l'entracte, M. Paquin confia à l'un de ses camarades, simple employé de "nouveautés" qu'il mettait cet habit pour la première fois.
- Alors, vrai, il ne me va pas mal? J'étais inquiet. Il y a surtout ce devant de chemise empesé qui remonte continuellement et qui bombe. J'ai beau le rentrer, il s'obstine à sortir.
- Cher ami, si tu regardais le bas de ce plastron, tu y verrais une petite patte, munie d'une boutonnière, laquelle, attachée à un bouton de ton caleçon ou de ton pantalon, empêcherait ta chemise de remonter.
M. Paquin s'enferma dans un silence discret, et au bout d'un instant découvrit la petite patte!
- Oh! comme c'est ingénieux, s'écriait-il en rentrant dans la loge! Que c'est ingénieux.
Voilà comment M. Paquin fut initié par un calicot aux mystères de la toilette masculines, avant d'être l'arbitre des élégances féminines.
II
M. Paquin célèbre.
Lendemain de première.
LE DIRECTEUR DE THÉÂTRE.- Je suis très content, Monsieur Paquin. Vos toilettes ont fait sensation et je suis certain qu'une partie des applaudissements allait à elles.
M. PAQUIN, condescendant.- Vous me flattez, cher Monsieur.
L'ACTRICE, très fière d'exhiber sur la scène les costumes d'un grand tailleur, alors qu'elle se fâcherait tout rouge si le même tailleur lui proposait l'emploi de mannequin.- Mon cher Paquin, tous mes compliments. J'étais divine.
M. PAQUIN, sévère.- Sauf au trois. Vous ne savez pas porter la robe Directoire, Madame. Il faut à la fois plus de noblesse et plus de coquetterie.
L'AUTEUR.- Cher Monsieur, permettez-moi de vous adresser mes remerciements. Je suis persuadé que vous avez collaboré au succès de ma pièce.
M. PAQUIN, dédaigneux.- Mon cher ami, je vous donne les costumes, vous fournissez les mannequins: nous sommes quittes.
III
M. Paquin seul Paquin.
Il n'y a , il n'y a eu et il n'y aura jamais qu'un seul Paquin.
Toutes les fois qu'un autre Paquin s'avisera de vendre du drap, il se verra poursuivi devant les tribunaux et défense lui sera faite de continuer à s'appeler Paquin, à moins qu'il ne préfère fermer boutique.
Le directeur d'un grand magasin dont la clientèle n'est pas uniquement composée de matelots, comme pourrait le faire croire son enseigne, sait ce que ce nom illustre lui a coûté.
IV
M. Paquin, Mécène.
M. Lavedan, qui faisait habiller sa femme chez Paquin, entretenait avec son fournisseur des relations cordiales, mais banales.
Aussi est-ce avec quelque étonnement que, huit jours après son élection à l'Académie française, il reçut, pour Mme lavedan et pour lui, une invitation à dîner chez le grand couturier.
Pour ne pas le désobliger, ils se rendirent au dîner, qui fut royalement servi, en présence de convives de marque.
Comme quelqu'un venait de féliciter M. Lavedan,
- Est-il exact, demanda M. Paquin, que les Académiciens touchent un traitement?
- Ils touchent des jetons de présence, dit M. Lavedan.
- Et sans indiscrétion, peut-on en connaître le montant?
- Oh! peu de chose, dit l'aimable écrivain. On peut se faire, si l'on est très assidu, douze cents francs par an. Et négligemment, il laissa tomber, en coulant un regard vers son assiette: mais on est nourri.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 10 février 1907.
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