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samedi 27 février 2016

Annam, Cochinchine et Tonkin.

Une conférence de M. Brau de Saint-Pol Lias.

M. Brau de Saint-Pol Lias a fait récemment, sous les auspices de la Société de géographie de Tours, une très intéressante conférence au cirque de la Touraine de cette ville, sur son voyage au Tonkin, dans l'Annam, la Cochinchine et le Cambodge, et dans laquelle nous choisirons quelques passages typiques.
Après l'agréable constatation de ce fait que Saïgon a déjà pris un air plus français que Singapour et Batavia n'ont l'aspect anglais et hollandais, l'éminent explorateur aborde la description de la faune de l'Annam.
"Le type annamite, dit-il, n'est pas beau. L'homme, auquel la barbe ne pousse que dans un âge avancé, se distingue à peine de la femme. Tous les deux, ils portent les cheveux longs, relevés en chignon sur le dessus de la tête; leurs vêtements se composent de robes ou tuniques et de pantalons de soie, à l'exception des bijoux, dont se pare seule la femme, leur costume ne diffère que par la façon de leur chaussure et du chapeau. Tandis que, en France, la mode varie de la chaussure à bouts carrés ou ronds à la chaussure à bouts pointus, ces deux modes existent simultanément en Cochinchine: l'homme porte le soulier à bouts ronds, la femme le soulier à bouts pointus. Le chapeau de l'homme est haut et conique, celui de la femme est plat, ressemblant assez à un fromage de gruyère. Le diamètre de ces chapeaux est d'environ 75 centimètres: les bords en sont rabattus et ils sont ornés d'une longue bride de soie qui descend jusqu'à la ceinture. Avec de pareils chapeaux, l'ombrelle, on le comprend, est un objet tout à fait inutile.
Les fauves sont nombreux et hardis en Cochinchine, ajoute l'éminent conférencier. Un tigre est, un jour, entré dans le bureau télégraphique du cap Saint-Jacques et l'employé qui, heureusement, avait une carabine à portée de la main, n'eut que le temps de se débarrasser de ce singulier expéditeur de dépêches. Un autre tigre, ayant forcé la paroi d'une paillote, tomba au milieu d'une famille de six personnes. Mais le visiteur, aussi étonné que ceux auxquels arrivait cette visite inattendue, repartit immédiatement par la même ouverture."
Nous passons le Cambodge, sur lequel il y a peu de choses à apprendre maintenant, et nous suivrons M. Brau de Saint-Pol Lias un peu plus loin, c'est à dire au Tonkin.
"La population du Delta est très dense, dit-il, c'est là que se sont accumulés pendant de longues années, et surtout dans les derniers temps, tous les habitants des territoires vastes et infertiles qui l'entourent. Les villes et villages se succèdent sans interruption le long des routes et des cours d'eau qui constituent parfois des agglomérations considérables. Le Tonkinois est plus industrieux que le Cochinchinois; il a aussi l'extérieur plus agréable. Le vêtement pour les deux sexes se compose d'un vaste pantalon et d'une tunique plus ou moins longue, à larges manches, boutonnée et croisée par devant. L'homme ne fait pas de commerce; il est cultivateur ou artisan. La femme est plus active, plus laborieuse, plus sérieuse et plus intelligente que l'homme; c'est elle qui traite les affaires. L'on peut dire que, à l'exemple de beaucoup de dames françaises, la femme tonkinoise, au figuré (comme aussi au propre), "porte la culotte..."
L'homme, au Tonkin, ne manque cependant pas d'intelligence. M. Brau de Saint-Pol Lias a vu des tirailleurs qui, après trois jours d'exercice et sans savoir un mot de notre langue, connaissaient le nom de toutes les pièces de leur arme, la démontant et la remontant très adroitement. Ils sont courageux et ils constitueront promptement une milice qui nous rendra, sans doute, les plus grands services.
Le Tonkinois du delta est patient, doux et inoffensif. Qu'un mandarin, passant dans la rue rencontre une figure qui ne lui convienne pas, il ordonne aux gens de sa suite d'infliger au misérable un certain nombre de coups de roye. Le patient est immédiatement étendu à terre, fustigé, et, quand il a reçu le nombre de coups auquel l'a condamné le bon vouloir de son maître, il se relève et va remercier le mandarin de ne pas lui en avoir fait distribué davantage. Il est pénible de l'avouer pour l'honneur de l'humanité: le roye, pour le moment, est, chez les peuples primitifs, un instrument dont on ne pourrait se passer. Dans les maisons européennes où la domesticité est nombreuse, l'on arrive à faire faire bon ménage à tous ces gens qu'en les frappant soi-même du roye ou en les faisant s'en administrer des roulées à tout de rôle.
Mais si, cependant, on y parvient par ce moyen, il ne faut pas encore trop en médire.

Journal des Voyages, dimanche 12 septembre 1886.

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