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mardi 21 novembre 2017

Le carnet de Madame Elise.

Pourquoi le mari bat sa femme.


Le mari bat-il vraiment sa femme dans ce siècle de civilisation extrême?
Mais oui et la chose est plus fréquente qu'on ne le suppose; il y a certes des degrés depuis la brutalité sauvage de celui qui brise un meuble sur le dos de sa compagne, jusqu'à celui qui se borne à la saisir rudement par le bras et la faire pirouetter pour l'envoyer au loin ou celui qui, contenant ses poings frémissants, se limite à un regard furibond souligné d'un haussement d'épaules (double mimique insultante).
Quelle est l'origine de cette facilité à user d'un traitement aussi écrasant? La femme, elle, ne songe pas à l'employer; c'est le sentiment de sa faiblesse physique qui la retient, direz-vous; peut-être, mais il y a plus; car si on ose affirmer que son impuissance seule la maîtrise, il serait injuste de dire que tous les hommes qui ont... la main leste sont des lâches; il y en a parmi eux de très bons!
Il y a une autre cause qu'il faut chercher dans les caractères mêmes de l'homme et de la femme. Étudions-les quand ils sont jeunes, alors que la vie ne leur a point appris la science de la dissimulation; entre eux les petits garçons s'amusent également, bruyamment, sans phrases: quand, dans leurs jeux, un heurt se produit, ils élèvent vite la voix, après deux ou trois mots durs, ils lancent des coups de poings, des coups de pied, la bataille commence, ils demandent au hasard de la mêlée le triomphe de leur opinion.
Considérons maintenant des fillettes qui se querellent; leurs voix deviennent pointues, ironiques, méchantes; elles se lancent des pointes, elles ergotent, elles recherchent dans leur mémoire des souvenirs blessants; à bout de souffle, elles ne sont pas toujours à bout de rancune, elles conservent soigneusement leurs petits griefs pour les remettre au jour à l'occasion.
Garçonnets et petites filles sont entre eux de même force; il n'y a pas lieu d'invoquer ici l'inégalité des muscles pour expliquer la différence des procédés; cette différence tient aux caractères.
Quand l'enfant qui donnait des coups de poing pour remplacer une discussion est devenu mari, il n'a pas totalement changé et sa tendance naturelle le conduit toujours à cet expédient rapide; la petite fille devenue femme n'en reste pas moins raisonneuse, ergoteuse, elle se plait aux piqûres d'épingles, aux reparties blessantes.
Les deux adversaires emploient des armes très différentes; et même si le mari n'en arrive pas aux coups, il garde du moins l'habitude de clore brutalement la conversation et de ne point admettre les arguments multiples et variés; la femme au contraire se plait à ces joutes oratoires, à ce duel de phrases et de reproches, elle s'indigne et crie à la sauvagerie lorsqu'on l'empêche de se défendre par les seuls moyens qu'elle connaît.
Et cependant il serait si facile de s'entendre; que l'épouse aimante s'ingénie à cesser toutes les tracasseries, à résumer ses plaidoyers en quelques mots, que l'époux s'exerce à la patience et tâche d'accepter les discussions un peu longue sans colère; avec ces précautions la douce harmonie régnera, sans être troublée jamais ni par les coups, ni par les cris!

                                                                                                                  Mme Elise.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 17 mars 1907.

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