Culture et fabrication de l'indigo au Bengale.
Pour commencer par le commencement, nous paraîtrons sur le terrain au moment où, après la récolte, on procède à l'arrachage des souches abandonnées. A Tirhoot, ce travail est réservé aux Danghers, sorte de parias qu'on suppose descendants d'une tribu aborigène du voisinage de Chota Nagpore, et établis près de la factorerie, sur une concession gratuite. Les souches sont le profit des femmes et des enfants du village qui s'en servent comme de combustible.
Les Danghers sont des gens laborieux; la réparation des routes et des ponts entre également dans leurs attributions; on les dit plus indépendants et moins fourbes que leurs compatriotes des castes plus élevées. Par exemple, la propreté n'est pas leur vertu maîtresse; ils se nourrissent aussi de toutes sortes de choses que les autres dédaignent: de jaguars, de cochons, de rats, et s'abreuvent avec une certaine exagération des liqueurs indigènes.
Ce premier travail achevé, avec le secours d'espèces de houes à main, on procède au labour et au hersage. Ce sont des bœufs qui sont employés à ces opérations et quoique ces instruments, surtout la herse, soient de construction tout à fait primitive, ils sont parfaitement appropriés à la besogne qu'on réclame d'eux et au terrain qu'il s'agit de défoncer et de niveler.
La région qu'il s'agit de préparer ainsi peut varier en étendue, non de quelques arpents, mais de plusieurs milliers; on y cultive, outre l'indigotier, la canne à sucre, le maïs et d'autres céréales, mais rarement plus qu'il n'en faut pour les besoins de la factorerie.
Vers Noël, le terrain étant bien préparé, le planteur en fait exécuter le mesurage et détermine l'étendue qu'il entend consacrer à chaque sorte de culture, ce dont il prend soigneusement note. C'est un moment un peu rude à passer pour le planteur, qui, transporté en tom-jon, ou à cheval, ou même à pied, arpente le terrain depuis le lever du soleil jusqu'à la nuit, prêtant l'oreille aux cris des luggy wallahs (arpenteurs) qui l'accompagnent, ayant l’œil à ce qu'ils ne trichent pas dans le maniement du luggy, qui est un long bambou dont ils se servent pour prendre leurs mesures, enfin inscrivant ces mesures sur son carnet. Cela dure depuis quinze jours jusqu'à six semaines, suivant l'importance de la plantation.
Deux cents coolies dans le premier cas, six cents dans le second, accroupis à la mode du pays, et cognant à tour de bras les mottes de terre restées après le hersage ou formées depuis, à l'aide de grosses triques, donnent la dernière main à cette préparation de la terre à l'ensemencement. Après cela, sachant approximativement ce qu'il convient de semer de chaque graine par beegah (mesure équivalent à environ 40 ares et demi) de terrain, on pèse d'abord ces graines, et l'ensemencement commence.
En dix ou quinze jours, la graine de l'indigotier est germée. Alors le planteur est dans les transes; il appréhende le trop ou le trop peu de pluie, la grêle, le vent d'est, les chenilles, les sauterelles et cent autres calamités qui peuvent le contraindre à tout recommencer sans avoir la certitude absolue d'une meilleure réussite.
Au commencement de juin, dans le Bengale, au moins, la plante est bonne à couper. Elle présente alors un champ immense d'un vert sombre magnifique. L'indigotier atteint quelquefois six pieds de hauteur; mais ce n'est pas désirable car il est alors moins feuillu; et comme ce sont les feuilles qui fournissent la teinture pour laquelle on le cultive avec tant de labeur et de soin, on comprend qu'on les préfère plus épaisses, et les plantes hautes seulement de 4 à 5 pieds.
L'indigotier est une plante herbacée, de la famille des légumineuses, tribu des lotées, comprenant une centaine d'espèces dont quatre ou cinq seulement sont cultivées; il a une tige mince et droite et de petites feuilles ovales de couleur vert sombre; sa fleur rose pâle, à corolle papilionacée, n'est pas remarquable par sa beauté et ne se voit guère d'ailleurs qu'aux champs où l'on cultive cette plante ou dans les herbiers. Vers le milieu de juin, commence la saison des pluies: les rivières ne tardent pas à déborder, et, si l'on ne se hâte, des centaines d'arpents de culture peuvent être subitement noyés et perdus. Ainsi l'activité est-elle grande sur les plantations.
(A suivre)
Journal des Voyages, dimanche 19 septembre 1886.
Les Danghers sont des gens laborieux; la réparation des routes et des ponts entre également dans leurs attributions; on les dit plus indépendants et moins fourbes que leurs compatriotes des castes plus élevées. Par exemple, la propreté n'est pas leur vertu maîtresse; ils se nourrissent aussi de toutes sortes de choses que les autres dédaignent: de jaguars, de cochons, de rats, et s'abreuvent avec une certaine exagération des liqueurs indigènes.
Ce premier travail achevé, avec le secours d'espèces de houes à main, on procède au labour et au hersage. Ce sont des bœufs qui sont employés à ces opérations et quoique ces instruments, surtout la herse, soient de construction tout à fait primitive, ils sont parfaitement appropriés à la besogne qu'on réclame d'eux et au terrain qu'il s'agit de défoncer et de niveler.
La région qu'il s'agit de préparer ainsi peut varier en étendue, non de quelques arpents, mais de plusieurs milliers; on y cultive, outre l'indigotier, la canne à sucre, le maïs et d'autres céréales, mais rarement plus qu'il n'en faut pour les besoins de la factorerie.
Vers Noël, le terrain étant bien préparé, le planteur en fait exécuter le mesurage et détermine l'étendue qu'il entend consacrer à chaque sorte de culture, ce dont il prend soigneusement note. C'est un moment un peu rude à passer pour le planteur, qui, transporté en tom-jon, ou à cheval, ou même à pied, arpente le terrain depuis le lever du soleil jusqu'à la nuit, prêtant l'oreille aux cris des luggy wallahs (arpenteurs) qui l'accompagnent, ayant l’œil à ce qu'ils ne trichent pas dans le maniement du luggy, qui est un long bambou dont ils se servent pour prendre leurs mesures, enfin inscrivant ces mesures sur son carnet. Cela dure depuis quinze jours jusqu'à six semaines, suivant l'importance de la plantation.
Deux cents coolies dans le premier cas, six cents dans le second, accroupis à la mode du pays, et cognant à tour de bras les mottes de terre restées après le hersage ou formées depuis, à l'aide de grosses triques, donnent la dernière main à cette préparation de la terre à l'ensemencement. Après cela, sachant approximativement ce qu'il convient de semer de chaque graine par beegah (mesure équivalent à environ 40 ares et demi) de terrain, on pèse d'abord ces graines, et l'ensemencement commence.
En dix ou quinze jours, la graine de l'indigotier est germée. Alors le planteur est dans les transes; il appréhende le trop ou le trop peu de pluie, la grêle, le vent d'est, les chenilles, les sauterelles et cent autres calamités qui peuvent le contraindre à tout recommencer sans avoir la certitude absolue d'une meilleure réussite.
Au commencement de juin, dans le Bengale, au moins, la plante est bonne à couper. Elle présente alors un champ immense d'un vert sombre magnifique. L'indigotier atteint quelquefois six pieds de hauteur; mais ce n'est pas désirable car il est alors moins feuillu; et comme ce sont les feuilles qui fournissent la teinture pour laquelle on le cultive avec tant de labeur et de soin, on comprend qu'on les préfère plus épaisses, et les plantes hautes seulement de 4 à 5 pieds.
L'indigotier est une plante herbacée, de la famille des légumineuses, tribu des lotées, comprenant une centaine d'espèces dont quatre ou cinq seulement sont cultivées; il a une tige mince et droite et de petites feuilles ovales de couleur vert sombre; sa fleur rose pâle, à corolle papilionacée, n'est pas remarquable par sa beauté et ne se voit guère d'ailleurs qu'aux champs où l'on cultive cette plante ou dans les herbiers. Vers le milieu de juin, commence la saison des pluies: les rivières ne tardent pas à déborder, et, si l'on ne se hâte, des centaines d'arpents de culture peuvent être subitement noyés et perdus. Ainsi l'activité est-elle grande sur les plantations.
(A suivre)
Journal des Voyages, dimanche 19 septembre 1886.
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