La vie à bord: la lessive.
C'est dimanche, et il faut faire la toilette du navire. Si l'eau potable peut encore manquer à bord, dans des circonstances données, il n'en est pas de même de l'eau de lavage: il n'y a qu'à se baisser, voire se baisser n'est même pas nécessaire, pour en prendre; aussi ne l'épargne-t-on pas.
Hé! Ho! la pompe fonctionne, les baquets et les seaux se remplissent, le pont ruisselle: et en avant les balais et les torchons, je veux dire les fauberts! Il n'y a pas un plancher au monde, fût-ce un plancher flamand ou hollandais, qui reluis mieux que le pont d'un navire ainsi traité en conscience.
Et c'est un véritable plaisir, par beau temps, de barboter de la sorte, surtout si on peut le partager avec quelques-uns des passagers avec lesquels on partage tout et le reste, avec lesquels on peut en un mot, s'amateloter; tels je suppose, que ceux que l'on trouve infailliblement dans un détachement de fantassins retour du Tonkin, mais bien portants: les autres manquent trop de gaieté, et leur maladie morale, tout au moins, est désespérément contagieuse. Mais de joyeux compères qui se jettent étourdiment, comme c'est ici le cas, à travers cette mitraille liquide avec tout autant d'entrain, quoique d'une autre humeur, qu'ils se lançaient naguère au devant de la mitraille de fer que leur crachaient les Pavillons-Noirs... Quelle bosse!
- gare l'eau!
- Ah... Tu m'as fait perdre la respiration tout net... Oh! là! là!... Je croyais ne plus jamais remettre la main dessus!
- As pas peur! ça rafraîchi les idées et v'la tout.
- Pare à virer, mon camarade, ou...
- Tonnerre, je suis trempé comme une soupe.
Et de rire, mais de la bonne façon, en manière d'intermède musical.
Pourtant, tout finit en ce bas monde, ou plutôt tout se modifie et se transforme, même un pont de navire trempé d'eau. Après avoir mouillé, il faut sécher; il y a aussi des cuivres à astiquer, et rien n'est aussi grave en soi que l'astiquage des cuivres. Plus moyen de rire, il faut à une telle opération, se montrer aussi sérieux qu'à l'abordage d'un galion espagnol, s'il y avait encore des galions espagnols et que l'abordage fût toujours dans nos mœurs maritimes.
Mais on peut être sérieux sans être triste, et nos braves Tonkinois, qui se sèchent maintenant au soleil, ne semblent pas plus disposés que tout à l'heure à engendrer la mélancolie.
C'est si bon de revenir...
O. Renaud.
Journal des Voyages, dimanche 18 septembre 1886.
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