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mardi 14 novembre 2017

Au feu, voici les pompiers de Paris.

Au feu, voici les pompiers de Paris.





Au feu! au feu!
Quel est celui qui ne ressent pas un frisson d'effroi lorsque retentit ce cri lugubre? L'épouvante s'empare de tous, même des plus intrépides, et la simple évocation d'un incendie voisin suffit pour plonger dans la consternation ceux qui auraient pu se croire à l'abri de toute émotion. Les plus énergiques perdent la tête. On court, on va, on vient, sans avancer...
Et pendant ce temps-là, l'incendie fait des progrès effrayants, les flammes jaillissent de toutes parts, menaçant de tout anéantir avant que l'on n'ait rien tenté pour enrayé la marche du sinistre...
Seuls, les hommes familiarisés avec le danger, ayant l'habitude d'affronter le fléau avec la presque certitude de le vaincre, conservent leur sang-froid et, au milieu du désarroi général, prennent leurs dispositions avec une rapidité merveilleuse, pour entamer la lutte. Je veux parler des sapeurs-pompiers, ces soldats d'élite qui sont si souvent à la peine et que les Parisiens ne manquent jamais d'acclamer chaque fois que l'occasion s'en présente. J'ai voulu étudier leur vie au repos et assister aussi à une alerte. Et il me semble que ce sont là choses intéressantes, au moment surtout où de violents sinistres viennent d'étonner et d'effrayer la population parisienne.

Le poste de pompe à vapeur.

Avec l'autorisation du chef, pénétrons donc dans un poste de pompe à vapeur et vivons quelques instants parmi ces braves gens qui risquent si souvent leur vie pour conserver aux Parisiens leurs personnes et leurs biens.
Mais, tout d'abord, il nous faut faire un peu de description, et je vous assure que cela en vaut la peine; vous verrez quelle idée pratique a présidé à l'agencement du poste et comme tout y a été compris de façon à éviter, en cas d'alerte, la moindre perte de temps.
Le poste se compose d'un rez-de-chaussée et d'un premier étage, et la façade du rez-de-chaussée, sur la rue, n'est guère constituée que par d'énormes portes cochères. On en compte pas moins de quatre, en effet, qui, sauf une seule, s'ouvrent toutes du dedans au dehors.
Derrière chacune de ces portes se trouve l'un des appareils de secours contre les incendies: 1° le dévidoir, qui porte plusieurs centaines de mètres de tuyaux; 2° la pompe à vapeur; 3° le chariot supportant la grande échelle de sauvetage. La quatrième porte donne accès au bureau du poste-vigie, où se tient le sapeur télégraphiste.
C'est un émerveillement, lorsqu'on pénètre dans le poste, de constater avec quel soin méticuleux de propreté est entretenu tout ce matériel. Les cuivres brillent comme de l'or et je crois bien qu'il serait impossible de découvrir la moindre tache sur la peintures des voitures. Le pavé du sol, lui-même, est d'une blancheur dont serait fière plus d'une ménagère pour le carrelage de sa cuisine. On devine, rien qu'au premier coup d’œil jeté à l'intérieur du poste, que le sapeur aime sa pompe et l'entretient avec un soin jaloux.
Nous venons donc de pénétrer dans la remise. Chacun des trois principaux engins qui servent à lutter contre le feu est préparé de façon à pouvoir être attelé en quelques secondes et sortir par sa porte, qui s'ouvre automatiquement, pour se rendre au triple galop sur le lieu de l'incendie. Sur chaque siège sont disposés les casques des hommes qui n'auront qu'à les coiffer au moment du départ.
Derrière la remise sont les stalles des chevaux au nombre de six. Ceux-ci, prêts à être harnachés, ont la tête tournée du côté des voitures et un sapeur-conducteur de service se tient toujours près d'eux. Vienne une alerte et les chevaux vont s'atteler, pour ainsi dire d'eux-mêmes, à la voiture derrière laquelle ils se trouvent, sans qu'il puisse en résulter la moindre confusion.
Les pauvres bêtes, qui sont aussi souvent à la peine, sont relevées toutes les vingt-quatre heures. Passons au premier étage.
Tout d'abord, le logement du sergent-mécanicien, chef de poste, lequel est composé de trois pièces; puis le réfectoire et la cuisine. Enfin, sur la rue, deux grandes pièces, l'une servant de dortoir, l'autre de salle de repos.
Dans le dortoir, neuf lits de camp sur lesquels les hommes du poste se reposent tout habillés. Les sapeurs doivent, en effet, rester constamment équipés pendant la durée de leur service.
A l'extrémité de la chambre, une ouverture est pratiquée dans le plancher et laisse passer un mât qui part du sol de la remise. C'est par là, au moindre signal, que se laisseront glisser les hommes afin d'être rendus plus vite à leur poste de combat. Un autre mât semblable fait communiquer la remise avec le réfectoire.
On voit que rien n'a été oublié pour permettre d'accélérer les secours an cas d'alarme.

L'alerte.

Mais redescendons au rez-de-chaussée pour assister à une alerte et pénétrons dans le poste-vigie, qui se trouve à droite, au bout de la remise. C'est là que se tient le sapeur-télégraphiste. Sur la table, un appareil télégraphique à cadran; au dessus, à portée de la main, un levier qui n'a l'air de rien mais qui, à lui seul, remplit une foule de besognes des plus importantes.
Soudain une dépêche arrive. Le sapeur la suit des yeux. Elle commence ainsi: "Grand feu". Sans quitter du regard le cadran, où se continue la dépêche, le télégraphiste étend le bras et tourne le petit levier dont je viens de vous parler.
Instantanément, tous les becs de gaz du poste, qui brûlaient en veilleuse, s'ouvrent en grand; les timbres d'alarme qui se trouvent dans le logement du chef de poste, dans le dortoir, dans l'écurie, se mettent à résonner; le gros timbre extérieur, qui avertit les passants que les pompes vont sortir au galop et qu'ils aient à se ranger, est également mis en mouvement; un contre-poids, qui maintient le robinet du tuyau faisant communiquer la pompe avec un réchauffeur placé dans le sous-sol, se déclenche et l'eau s'élance aussitôt dans la chaudière; enfin les trois grandes portes cochères s'ouvrent automatiquement. On voit quelle est l'utilité du petit levier qui permet d'effectuer d'aussi multiples besognes sans l'intervention de personne.
Dès que le timbre d'alarme résonne, le sapeur qui est de service dans l'écurie, prend un cheval par la bride, lui passe le mors, et vient l'atteler; chacun des autres sapeurs, qui accourent aussitôt, en font autant.
Le mécanicien allume le feu qui est tout préparé sous la chaudière de la pompe. Les cochers prennent place sur leurs sièges. Les sapeurs escaladent les voitures dès qu'elle sont attelées et au moment même où elles partent au grand galop, le télégraphiste, qui est resté à son poste, crie l'adresse du sinistre.




Arrivée d'une pompe à vapeur au triple galop dans une rue fréquentée.



Et savez-vous combien il a fallu de temps pour tout cela? Entre le moment où l'appareil télégraphique s'est mis à fonctionner et celui où la dernière voiture a quitté la remise, il s'est écoulé exactement cinquante-trois secondes!
On peut donc dire qu'avec une telle rapidité bien des sinistres seraient évités si, au lieu de perdre la tête les gens prenaient le soin de prévenir immédiatement les pompiers du poste le plus proche.

Les progrès réalisés.

Tout d'abord, l'effectif du corps des sapeur-pompiers a augmenté dans de notables proportions. Cet effectif, qui n'était encore que de 1.743 hommes, y compris les officiers, il y a moins de vingt ans, est actuellement de 52 officiers et 1.803 hommes de troupe; en 1860, il était de 1.238 sapeurs. Le régiment, qui se compose de deux bataillons à six compagnies, est réparti dans douze casernes et douze postes centraux disséminés à la surface de Paris et qui ont chacun une portion de cette surface placée plus directement sous leur protection. Il y a, en outre, cinq petits postes chargés plus spécialement de la défense d'établissements ou monuments publics.
Tous ces postes sont mis en communication permanente avec la population, si je puis m'exprimer ainsi, à l'aide d'avertisseurs téléphoniques, au nombre de 522, situés sur la voie publique, en moyenne à 400 mètres les uns des autres. Cette création, qui n'est vieille que de quelques années, serait une de celles appelées à rendre les plus grands services si, en matière d'incendie, les sinistrés ou les passants, conservant leur sang-froid, y avaient recours dès la première alerte, sans la moindre perte de temps.
Tout le monde connait cette boîte d'alarme, qui nous vient d'Amérique et qui, peinte en rouge et placée sur le bord du trottoir, se voit de très loin. Vous brisez la glace et vous vous parlez dans le téléphone qui vous relie au poste le plus proche. Quelques minutes plus tard, les pompiers sont là.
Puis sont venues les améliorations du matériel: les pompes automobiles qui transportent 15 hommes et le matériel nécessaire au sauvetage et à l'attaque du feu, la pompe débitant 2.000 litres d'eau à la minute et permettant la mise en manœuvre de six lances; l'échelle aérienne automobile; les fourgons de protection, etc.
Sur la voie publique, les bouches d'incendies, dont la création remonte à 1872 étaient, à la fin de 1907, au nombre de 7.535: lorsqu'elles seront toutes placées, elles seront à environ cent mètres les unes des autres.
Je m'en voudrais de ne pas consacrer quelques lignes à l'organisation du service de protection, le salvage-corps, créé en 1904 et destiné à limiter le plus possible les dégâts occasionnés aux vapeurs de toutes natures, par l'eau ou le feu dans les incendies. Il est assuré par le personnel du régiment, tous les gradés et sapeurs étant instruits sur la "protection" et pouvant être appelés à coopérer à ce service. La valeur de la protection, en 1907, s'est élevée à 210.780 francs.

Les incendies se multiplient.

A ce propos, il nous faut faire un peu de statistique et constater, non sans étonnement, que malgré toutes les améliorations apportées à l'organisation et au fonctionnement du corps de sapeurs-pompiers, les incendies suivent une progression réellement effrayante.
En 1888 (non compris les feux de cheminées), on comptait 923 incendies; en 1890, 1.052; en 1895, 1.370; en 1900, 1.507, en 1905, 1553, et en 1907, 1.748. Ce dernier chiffre de 1.748 sinistres peut être décomposé ainsi: 1.335 petits incendies, 372 moyens incendies et 41 grands incendies.
Puisque nous faisons de la statistique, disons, ce qui n'étonnera personne, que c'est, en général pendant les mois d'hiver que les incendies sont les plus fréquents; les mois de novembre, décembre, janvier et février sont ceux qui donnent les plus forts chiffres.
Les causes en sont les plus variées: 401 sont attribuées au mode d'éclairage, 110 au chauffage, 106 à des vices de construction, 12 à l'imprudence d'ivrognes ou de fumeurs, 10 à des enfants jouant avec des allumettes, etc.
Le quartier où il y eut le plus d'incendies, en 1907, fut celui de Sainte-Marguerite, au 11e, qui tint la tête avec 52 feux, puis vinrent ceux des halles (1er) et de Plaisance (14e) avec chacun 46 feux. Enfin, un quartier on l'on brûla peu, cette année-là du moins, fut celui de Notre-Dame (4e), où les pompiers ne furent appelés que deux fois au cours de l'année;

Les héros.

On n'en plus à compter les actions d'éclat dans le corps des sapeurs-pompiers parisiens.
Faut-il citer les noms du lieutenant-colonel Froidevaux, du caporal Thibault qui succomba après avoir sauvé neuf personnes au cours d'un incendie du faubourg Saint-Antoine, des sapeurs Vergnes, Maret, Brun, Guillot, Beaufils et de tant d'autres encore?
Faut-il rappeler la mort du caporal Bellet, enseveli sous les décombres, à l'incendie de l'Opéra, en 1873?
Monté sur un pan de mur tout chancelant Bellet tenait la lance, inondant l'immense foyer qui achevait de consumer les dessous de l'Opéra. Les flammes venaient lécher ses vêtements et il disparaissait parfois aux yeux de tous, au milieu d'épais tourbillons de fumée. Un moment, il enleva la jugulaire de son casque qui lui brûlait le menton. Malgré tout, il restait là, attendant qu'on lui donnât l'ordre de la retraite.
Tout à coup, un craquement formidable se fait entendre. Le mur vient de se fendre. Le clairon sonne le rappel, mais il est trop tard. Bellet a perdu l'équilibre et, rampant sur le faîte du mur, il cherche a gagner l'échelle que la secousse a fait glisser. A ce moment, une seconde détonation terrifie les spectateurs impuissants de ce drame. Une nouvelle crevasse vient de s'ouvrir sous les pieds même du caporal, qui disparaît dans la fournaise en jetant un grand cri.
Combien d'autres payèrent ainsi de leur vie leur dévouement?

                                                                                                                   G.-C. de Luçon.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 13 décembre 1908.


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