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mercredi 29 novembre 2017

Chronique du 28 mars 1858.

Chronique du 28 mars 1858.

Voici un duel que nous voudrions donner pour exemple à tous ceux qui ont envie de se couper la gorge; il n'y aurait pas beaucoup de sang répandu.
On sait que les zouaves de la garde ont quitté Paris pour tenir garnison à Versailles.
L'un d'eux se trouvait dans un petit cabaret de Sèvres en même temps qu'un jeune homme, artiste de profession, chasseur de circonstance, et ayant sa carabine en bandoulière.
L'artiste, pour avoir le plaisir d'entendre parler de ces mémorables batailles de Crimée, offre une bouteille au soldat, puis deux puis trois, et à chacune d'elles, celui-ci raconte des hauts faits, tous plus gigantesques que les autres.
Quand ils sont bien gris tous deux, vient l'instant de payer. L'artiste, enchanté de son nouvel ami, veut lui faire les honneurs; le zouave, brave jusqu'à la bourse, veut payer aussi. Ni l'un ni l'autre ne cède, ils se querellent, ils s'emportent.
- Ah! tu n'es pas content, dit le militaire, eh bien! écoute, tu as ta carabine, moi la mienne, nous allons nous rafraîchir d'un coup de fusil dans le bois.
- Ça me va! dit l'artiste.
Et ils s'en vont bras dessus, bras dessous chercher l'endroit favorable à leur combat.
Mais tout à coup, l'artiste se frappant le front:
- Je pense à une chose, dit-il. j'ai une carabine qui porte à peine à cent pas, tandis que la tienne porte à plus de mille.
- C'est pourtant vrai, dit le zouave.
- Comment diable allons-nous égaliser les chances?
- C'est bien simple... mais tu ne trouverais pas cela, toi, pékin!... Tu resteras à cent pas de moi, et moi j'irai me mettre à mille pas de toi.
- Tiens, c'est juste, dit l'artiste, approuvant ce moyen.
Arrivés dans une allée du bois qui leur parut convenable, ils choisissent la place et chargent leurs armes.
Puis ils se mirent à compter les pas. L'artiste en faisait cent, le zouave en faisait mille: mais ils n'arrivaient pas à se placer de manière à ce que l'artiste fût à cent pas du zouave, et celui-ci à mille de son adversaire. Ils recommencèrent dix fois sans y parvenir davantage.
Heureusement, il survint des agents de police qui les emmenèrent tous deux, sans quoi, ils chercheraient encore.

- Cet exemple de naïveté nous rappelle celle dont vient de faire preuve un marchand du boulevard.
Un individu s'étant présenté très-matin chez un chemisier, et lorsque les deux commis n'étaient pas encore à leur poste, le marchand ne voulut pas faire attendre l'acheteur et descendit en pantalon, manche de chemise, le visage à moitié rasé.
Il présente les chemises.
Le client les trouve bien, mais il voudrait savoir comment elles vont. Après en avoir longtemps causé, il dit qu'il lui vient une idée, et prie le marchand, qui est de la même taille que lui, d'être assez bon pour en essayer une, afin qu'il puisse juger de la coupe.
L'envie de vendre fait tout faire. Le malheureux marchand se déshabille et enfile la chemise.
le client examine le col, les manches, fait tourner le pauvre marchand comme une toupie; puis lui met enfin le dos face à la porte.
Alors, saisissant une pièce de très-belle toile posée sur le comptoir, il la glisse sous son paletot et s'esquive.
Mais le marchand a vu ce qui s'est passé dans une glace. Oubliant l'état dans lequel il se trouve, vêtu d'une toile légère, une joue rasée, l'autre pleine de savon, il s'élance sur les traces du voleur.
Celui-ci le voit venir, mais sans perdre la tête, il cours plus vite, en criant sur son passage:
- Ah! ce fou... ce misérable fou me poursuit encore... je ne sais comment le fuir!
Naturellement, on s'assemble autour du fou: les sergents de ville l'arrêtent et le conduise bon gré mal gré chez le commissaire de police.
Là il se fait reconnaître, tout s'explique, mais le voleur a eu dix fois le temps de disparaître.

-On se souvient encre que tout Paris s'est occupé, pendant quelque temps, de la mort et du convoi de la reine d'Oude*, mais on ignore un fait étrange qui se rattache à cet événement.
L'administration des pompes funèbres, en même temps que les autres objets nécessaires à la cérémonie, fournit le cercueil.
Pour cette reine d'Asie, elle en avait envoyé un fort beau, en chêne garni de clous d'acier.
Mais le culte indien proscrit tout métal dans la construction des cercueils; il fallait en faire faire un autre à chevilles de bois.
Le beau cercueil resta là dans la cour de l'hôtel.
Beaucoup de personnes ont pu le voir: mais nous avons appris, d'une manière positive, qu'un littérateur des plus distingués avait pris une extrême envie de ce dernier objet de toilette, si parfaitement confectionné, et en avait fait acquisition, enchanté de s'assurer pour lui-même ce cercueil destiné à une reine.

                                                                                                                        Paul de Couder.

Journal du dimanche, chronique du 28 mars 1858.

* Nota de célestin Mira:

Malka Kachwar, reine d'Oude, décédée à Paris  en janvier 1858, fut la première Indienne inhumée au cimetière du Père Lachaise.


Mausolée de la reine d'Oude et mosquée du Père Lachaise.


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