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mercredi 22 novembre 2017

Jardins de la Loire.

Jardins de la Loire.

La vallée de la Loire moyenne, après Orléans et avant Angers, région centrale et bien abritée, la Touraine, avec les plaines environnantes, a été appelée le Jardin de la France.
Terre molle et plantureuse, engraissée du limon du fleuve, jadis pays de châteaux royaux et de riches abbayes, et qui a conservé la physionomie des temps disparus, ce "pays du rire et du rien faire", patrie du rieur Rabelais, a, dit-on, une population qui lui ressemble. Avec un climat très doux, un peu humide, une verdure toujours fraîche, des eaux paisibles où se mirent les tourelles, des rideaux de peupliers et de trembles le long des canaux, des îles qui sont des corbeilles de fleurs, des coteaux en pente ménagée qui sont des potagers, ce serait bien le plus heureux coin de terre de la France et du monde si la Loire sournoise n'avait de soudaines et méchantes colères.
Pourquoi ne jouirait-il pas de la paix que le ciel lui verse, le brave Tourangeau? La vie lui est facile, le sol productif; il semble que savoir se borner, prendre le bon temps qui vient, c'est sagesse. Modéré, tempérant, exempt d'ambition, point avare du reste, point prodigue non plus, ni aventureux, il se tient dans une moyenne tranquille; liant, affable, spirituel cependant et railleur quand il veut, sans amertume. Labourer rudement, s'exténuer pour rompre la glèbe, sa terre n'exige pas cela de lui; il jardine. Pour une seule chose, la nature lui a été quelque peu parcimonieuse: le vin. Il n'a pas le grand soleil qui cuit la grappe, et le raisin laisse couler un jus abondant, mais assez vert. Le bonhomme, qui du reste est sobre, s'en console et fait du vinaigre. En somme c'est en toute chose ce que doit être un pays du milieu.
Une fête rustique commune à toute cette région, et que l'on rencontre aussi en Bretagne, avec quelques variantes, et bien ailleurs encore, j'imagine, c'est la fête de la dernière gerbe, quand la moisson est tout entière rentrée et battue. La dernière airée étant étalée, une place est réservée au milieu; le maître ou la maîtresse de maison, ailleurs une jeune fille parée de fleurs, apporte en grande pompe, une belle gerbe réservée, entourée de guirlandes et de feuillages; les gens de la ferme, les ouvriers, les voisins suivent en procession, comme un cortège de noces, en chantant des chansons locales, conduits par un violon ou une cornemuse, si l'on peut en avoir. La belle gerbe est dressée au milieu de l'aire, déliée, étendue; la troupe des batteurs, frappe en cadence le sol de ses fléaux. Alors une table est apportée sur l'aire même, couverte d'une nappe blanche, avec du pain, des verres, un pichet de cidre ou de vin; on boit à la ronde en l'honneur de la gerbe, à la santé du fermier et de la fermière. Puis l'airée est battue, au milieu des chants, des cris joyeux des enfants; la fête se termine par des rondes et des amusements bruyants, par un festin, des rires, des chansons qui se prolongent assez tard dans la nuit. Cette solennité paysanne, qui est un souvenir des Thalysies antiques (fêtes de la moisson et du battage), se célèbre un peu partout dans les pays à blé.
Avez-vous remarqué que les régions tempérées et faciles offrent rarement des coutumes originales et des costumes bien curieux à observer? C'est ce qu'on pourrait dire aussi à l'occasion du terrien berrichon, dont George Sand a fait de si poétiques portraits: c'est le paysan français moyen, paisible, aimant sa terre, assez intéressé, passablement défiant, n'ayant rien de bien saillant, ni dans les usages, ni dans la physionomie, ni dans le costume. Ils ne sont pas, ni les uns ni les autres, très imaginatifs; leurs chansons, leurs légendes se réduisent à peu de chose.
Pour trouver des traits énergiques et une poésie plus forte, des mœurs plus tranchés, il faut s'avancer vers l'ouest, entrer en Bretagne, par les marches du Maine et de l'Anjou, coupées de haies et de chemin creux, semées de pierres levées, vers la terre maigre et les genêts; pays triste et rude, autrefois pays des sorciers, ses sabbats et des loups-garous...
Une des curiosité de cette dernière région, qui fait si violent contraste avec la vallée de la Loire et ses châteaux, ce sont les habitations souterraines, refuges creusés au temps des guerres atroces du moyen âge, et dont beaucoup sont encore occupées. Sur les bords du Loir, il existe tout un village, les Roches*, uniquement formé de plus de deux cents caves servant de maisons, creusées dans une paroi à pic; demeures, granges, étables, tout est sous la terre. Il y a de vastes salles communes où, pendant les soirées d'hiver, les familles de ces hommes des cavernes se réunissent pour faire ensemble la veillée autour des cheminées qui sont des puits s'ouvrant au ras du sol. Les hommes causent des travaux, des récoltes, les femmes filent, babillent, et racontent aux enfants effrayés les histoires du terrible Barbe-Bleue, qui avait, comme on sait, des châteaux dans le pays. Ces légendes à faire dresser les cheveux sur la tête, racontées au fond de sombres souterrains, aux lueurs vacillantes des feux, cela doit faire, j'imagine, une scène d'un fantastique tout à fait saisissant et extraordinaire.

Les Peuples de la terre, Ch. Delon, 1890, Librairie Hachette et Cie.


* Nota de Célestin Mira:



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