Madame Dieulafoy.
Homme de lettre et femme de sciences.
Homme de lettre et femme de sciences.
A quoi tient la célébrité? Mme Dieulafoy a consacré sa vie à la science, elle a collaboré à des découvertes remarquables, elle a fait des explorations longues et périlleuses et en a donné d'attachants récits. Elle est, cela est indéniable, fort connue. mais à peine saurait-on son nom si elle n'avait eu l'idée de s'habiller en homme.
Un travesti a fait les trois quarts de sa gloire, un travesti qu'elle a adapté d'abord pour le confort de ses expéditions, puis par dédain des futilités de la parue féminine. C'est en quelque sorte un défi que Mme Dieulafoy a jeté à la coquetterie en renonçant à ces riens qui préoccupent tant ses pareilles, et, par un effet que nous devons croire inattendu, cette décision mit sa personne en vedette mieux que ne l'aurait pu faire aucun artifice de coquetterie.
Mme Dieulafoy en robe, était simplement la compagne intelligente et hardie d'un archéologue distingué. Or, s'il est une science qui présente peu d'attraits pour les foules, c'est bien l'archéologie. La femme d'un archéologue ne doit pas aspirer à une renommée bien bruyante. Mais en obtenant de la Préfecture de Police* la permission de porter ce vêtement que dans quelques ménages dit-on, la femme porte sans autorisation, en revêtant la culotte, Mme Dieulafoy a modifié les idées courantes sur l'archéologie. Une science qui s'accorde avec de telles audaces ne pouvait pas être revêche et rebutante autant qu'on se l'imaginait.
Encore qu'imprécises, ces idées suffirent à inspirer à Mme Dieulafoy, une notoriété très enviable, et à lui donner même la première place dans son ménage. Le savant qui avait révélé Suze et ses ruines, le palais de Darius et d'Artaxercès, ne fut plus que le mari de Mme Dieulafoy; et, comme il était, lui, dépourvu de toute fantaisie, on le laissa à ses études maussades, on l'oublia. En homme de bon sens, il comprit l'impossibilité de contrarier l'opinion publique et accepta son effacement.
N'aurait-il pas provoqué des sourires en appelant en public, sa femme déguisée en larbin "ma petite chérie" et en lui offrant le bras lorsqu'elle allait dans son accoutrement masculin, parler à l'Odéon des classiques Grecs? Sans doute un moyen s'offrait à lui de dérouter les curieux et les mauvais plaisants, c'était de revêtir la jupe et le corsage dédaignés par Mme Dieulafoy: mais nul ne s'étonnera qu'il n'y ait pas songé.
En excellente épouse, Mme Dieulafoy s'efforça d'abord d'associer son mari à la gloire qu'elle s'était attirée. Ses premiers livres: La Perse, La Chaldée et la Suziane (1886), A Suze, journal de fouilles (1888) exposaient les travaux qu'ils avaient fait en commun et qui avaient abouti à des exhumations d'ouvrage d'architecture, de sculpture, de céramique qui remplissent actuellement trois salles du Louvre.
Pour son dévouement à la science et à son époux, Mme Dieulafoy reçut à trente-cinq ans la croix de la Légion d'honneur.
Alors lui vinrent des ambitions plus personnelles; elle rêva d'illustrer son nom par ses travaux propres; elle écrivit un roman historique couronné par l'Académie: Parysatis, un roman moderne: Déchéance, d'autres encore; elle fit des conférences, elle fut enfin, avec toute la vigueur de son cerveau d'élite et de tout l'obstination de son sexe, ce que désignerait si bien le mot de bas-bleu, s'il n'était pas incorrect de l'appliquer à une dame qui n'en porte ni de bleus ni d'aucune autre couleur.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 17 mars 1907.
* Nota de célestin mira:
Pour s'habiller en homme, l'ordonnance du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800), imposait à une femme l'obtention d'une permission de travestissement délivrée par la Préfecture de Police.
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