La "saison" bat son plein: les élégantes de Paris étonnent et charment le monde. N'est-il pas juste d'accorder une pensée aux fées gracieuses qui, de leurs mains adroites, ont établi le joyau de ces élégantes: le chapeau de Paris?
Le chapeau de la rue de la Paix est un personnage. Pour les étrangères ou les provinciales, il fait partie des grandes "attirances" de paris. On vient à lui du Michigan.
D'ailleurs, beaucoup de Parisiennes, non sottes, préfèrent à la contemplation des toiles de Vinci, la vue d'un simple canotier "créé par la bonne faiseuse"
Toute femme qui fait élection d'un chapeau se donne une figure nouvelle. Et depuis des siècles les modistes réalisent l'incessant miracle de corriger l'oeuvre de Dieu le Père, à la complète satisfaction d'une moitié du genre humain, celle qui se contente le moins aisément.
Édifier des coiffures féminines n'est donc pas faire oeuvre banale.
On va voir, par ces présentes notes que toutes les petites personnes qui collaborent à la naissance d'un chapeau vraiment parisien, ont, en effet, quelque originalité.
Presque toutes les femmes, pour se croire heureuses, se fabriquent des échelles de mépris. C'est en leur nature!
La modiste n'est pas une ouvrière, c'est une artiste. Elle méprise la couturière, laquelle dédaigne la corsetière, qui se moque de la confectionneuse.
Un atelier de modes, rue de la Paix ou bien sis autour de cette voie élégante, se compose de trente ou quarante femmes étiquetées: premières, garnisseuses, apprêteuses et "arpettes".
La "première" compose. Architecte, sculpteur, peintre, elle fait avec une "forme" vulgaire, du ruban, des fleurs, des plumes, cette oeuvre de haute imagination qu'est le chapeau de madame X... La semaine durant, elle crée trois modèles, puis veut bien les répéter à quelques exemplaires.
Elle se fait gloire d'être "un peu toquée", de ne travailler que sous l'influence de la Muse des chapeaux, mais sa patronne reconnaît son talent, et lui offre 500 francs par mois, ainsi que les honneurs de la table directoriale. Fine, très élégante, fleurie de bijoux "art nouveau", les hanches étreintes par une jupe noire correcte, chapeautée de sa dernière oeuvre, elle parle argot, sur le boulevard, pour étonner le bourgeois. On la rencontre partout, au Bois, aux premières, aux vernissages, aux courses, chez Colonne, et même à son atelier.
Elle parle l'anglais, déchiffre au piano la dernière chanson rosse, a presque lu Mallarmé. Rien ne lui est étranger de ce qui préoccupe la Bourse, le boulevard Montmartre et le Quartier latin. Par gaminerie, elle descend parfois d'un coupé de maître devant la porte de sa patronne.
Les "garnisseuses", premières en herbe, ou plutôt en bouton, reçoivent une mensualité de sept à dix louis, mais ne prennent place qu'autour de la table commune à tout l'atelier. Elles ont pour mission de reproduire les œuvres des premières. Toutes jeunes, elles attendent avec impatience l'heure d'étonner le monde avec leurs créations.
Les "apprêteuses" préparent les mousseline, les rubans, tous les matériaux de l'édifice qui demeure à peine une saison. Il leur faut un goût certain et ce "don" qui permet de métamorphoser les fragiles fanfreluches sans les marquer de l'effleurement des doigts.
Ces magiciennes gagnent cent cinquante francs par mois, déjeunent et dînent à la maison.
L'apprenti, l'"arpette" est le démon de l'atelier. Elle est partout: dans la rue, dans l'escalier, dans les salons de vente, à la manutention, chez les fournisseurs. Elle "apprend les chapeaux", dit sa mère; mais elle apprend surtout la vie. Elle porte des billets doux ou fait des emplettes chez les "soyeux" avec la même application. Parfois, rarement, elle chiffonne un ruban. Elle est nourrie par la maison.
La vertu, quoiqu'en ait dit jadis M. Henri Lavedan en une phrase malheureuse du Marquis de Priola, est appréciée comme il convient chez les modistes. Mais les modistes se laissent peu épouser. Chez telles bonnes faiseuses, on compte sur trente ouvrières, deux femmes mariées.
De plus, une coutume terrible bannit les vieilles femmes du cercle de jolies frimousses qui se penchent sur les feutres en création.
Que deviennent donc les premières, les garnisseuses, les apprêteuses, les apprenties, toutes les jolies fées qui assistent à la naissance du chapeau vraiment parisien? Elles s'exilent en province, ou, ce qui est pis, dans quelque vieille rue parisienne.
D'autres enfin se résignent à devenir simplement des clientes. Pauvres artistes.
Léon Roux.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 6 décembre 1908.
Nota de célestin Mira:
"Chez la modiste". Edgar Degas. |
"The hat shop". Henry Tonks. |
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