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lundi 27 novembre 2017

Les quatre phares d'Eddystone.

Les quatre phares d'Eddystone.


Sur le terrible rocher du tourbillon (Eddystone), situé dans le canal de la Manche, à 20 kilomètres au large de la baie de Plymouth, un magnifique phare s'élève, dont le feu a brillé pour la première fois le 18 mai 1882.
C'est le quatrième érigé en cet endroit, célèbre dans les fastes maritimes par les nombreux naufrages dont il fut témoin pendant si longtemps. Le premier phare d'Eddystone ne fut construit, en effet, qu'à la fin du XVIIe siècle.
Il y avait, sans doute, bien longtemps que la question de l'érection d'un phare sur ce dangereux écueil avait été agitée pour la première fois, lorsque  des sinistres répétés la firent reprendre à cette époque. Mais cette fois comme les autres, l'enquête aboutit à la constatation d'une impossibilité absolue. C'était folie, disait-on, que de vouloir élever sur l'Eddystone, abordable tout au plus quelques jours dans l'année, un phare dont la construction, d'ailleurs, s'il se trouvait quelqu'un d'assez audacieux pour l'entreprendre, exigerait plus de dix années de travail, étant admis que les flots ne le détruiraient pas à mesure, engloutissant du même coup les malheureux ouvriers qu'on y emploierait, supposé qu'on en trouvât pour cette dangereuse besogne.
Le plus clair de tout cela, c'est qu'il ne se trouvait pas un ingénieur qui osât assumer les responsabilités de l'entreprise.
Ce fut donc un gentilhomme campagnard, exerçant, en outre, la profession de marchand de soieries et très habile mécanicien à ses moments perdus, qui s'en chargea.
Comme mécanicien, Henry Winstanley, de Littlebury (Essex), ne s'occupait guère que de travaux amusants. Il semait son chemin de jets d'eau de toute forme et de toute dimension, et bourrait sa maison de trucs ingénieux, amusants pour lui seul et non pour ses hôtes mystifiés; mais rien dans tout cela qui pût le mettre sur la voie de la construction d'un phare sur un écueil à fleur d'eau. Son plan, toutefois, n'avait rien de déraisonnable, et puisque personne autre ne voulait s'en charger, l'amirauté l'autorisa à en tenter la réalisation.
Les travaux furent commencé dans l'été de 1696; et à la fin de la saison, il y avait douze trous percés dans la roche, et des crampons de fer scellés dans ces trous. L'année suivante, un tronçon de tour intérieure fut construit; c'était assez, déjà, pour abriter les ouvriers, c'était énorme; les ingénieurs n'en pouvaient croire leurs yeux! Pendant la troisième année, cette tour fut élevée à la hauteur de 80 pieds; la lanterne fut placée au sommet; des appartements furent préparés, et Winstanley s'y installa avec ses ouvriers, pour ne plus perdre de temps en allées et venues.
Il n'eut pas de chance pour sa première nuit: une effroyable tempête éclata; les vagues inondèrent les habitants du phare inachevé, noyèrent leurs provisions; et pour comble de calamité, les communications avec la terre furent interrompues pendant onze jours. L'audacieux architecte n'était pas homme à se décourager pour si peu. Il redoubla au contraire d'activité et, le 14 novembre de la même année (1698), un feu brillait pour la première fois à quatre-vingt pieds au-dessus du terrible écueil.
Il était temps, car une série d'interminables tempêtes se déchaîna aussitôt, et ne permit point aux habitants du phare qui n'y devaient point rester de le quitter avant le 22 décembre! Pendant ce séjour forcé, Winstanley constata quelques imperfections à son édifice et résolut d'y remédier pendant la saison suivante. D'abord, la lanterne avait été entièrement couverte par les vagues, malgré son élévation. Il suréleva donc la tour de 30 mètres, et l'élargit en l'entourant de constructions nouvelles.
L'édifice de Winstanley était une construction bizarre, en bois, ressemblant par sa forme à une pagode chinoise couverte d'ornements parasites dont quelques-uns donnaient prise au vent, bien mal à propos et d'inscriptions variées. 


Le phare de Winstanley.

Malgré ces défauts, il résista trois ans aux fureurs de la mer et des vents, grâce à des réparations incessantes par exemple.
Le 26 novembre 1703, Winstanley passait la nuit au phare. Une tempête épouvantable éclata cette nuit-là, qui ravagea les côtes de la Grande-Bretagne presque dans toute leur étendue.
Le lendemain, quand le jour se leva sur cette désolation, les habitants de Plymouth eurent beau interroger l'horizon: il n'y avait plus de phare sur l'écueil d'Eddystone. Il en avait été arraché d'un seul bloc, avec ses habitants, pendant cette nuit lugubre.
Trois années s'écoulèrent avant qu'un nouvel entrepreneur se proposât pour renouveler l'expérience; et ce ne fut pas davantage un ingénieur, mais encore un marchand de soieries, de Londres cette fois, appelé John Rudyerd. Le phare de Rudyerd fut construit de 1706 à 1709; comme le premier, il était en bois, ce qui ne l'empêcha pas de résister à tous les assauts pendant près d'un demi-siècle; mais il était mieux entendu, à coup sûr, que celui de Winstanley. 


Le phare de Rudyerd.

Il fut détruit par un incendie le 2 décembre 1755. Les gardiens furent recueillis par des pêcheurs, mais l'un d'eux, nommé Henry Hall, vieillard de quatre vingt-quatorze ans, affreusement brûlé par le plomb fondu qui coulait de la lanterne, mourrait peu de jours après dans des souffrances horribles; on lui trouva dans le corps, assure-t-on, un lingot de plomb pesant près de 170 grammes.



Destruction du phare de Rudyerd.

Après quarante-six ans de bons services, le second phare d'Eddystone, n'aurait pas fait une longue carrière, même s'il n'avait pas été dévoré par un incendie, car il était attaqué par les tarets. Lorsqu'il fut question de le remplacer, la commission chargée de préparer les voies tomba à peu près d'accord que le nouveau phare devait être construit en pierre, pour prévenir le double danger d'être abattu par la vermine ou détruit d'un coup par le feu. La Trinity-House n'était pas de cet avis; mais l'éminent ingénieur John Smeaton, membre de la Société royale de Londres, qui avait accepté la mission de construire ce phare, insista avec une opiniâtreté qui fut à la fin couronnée de succès. La première pierre fut donc posée le 12 juin 1757, et la lanterne allumée le 16 octobre 1759. Même en tenant compte des travaux préliminaires, l'oeuvre de Smeaton n'exigea pas plus de temps pour sa construction que les édifices en bois qui l'avaient précédée.
Ce phare en pierre avait seulement 28 mètres de hauteur, lanterne comprise, de sorte que les vagues couvrirent celle-ci plus d'une fois; mais il a résisté pendant plus d'un siècle et demi, et ce n'est pas lui, mais l'écueil qui le portait, qui menaçait de céder. En conséquence, on décida de le remplacer par le phare actuel, élevé sur un rocher éloigné de 45 mètres de celui qui servait de base au phare de Smeaton. Quant à celui-ci, il a été transporté (sa partie supérieure au moins) à Plymouth, et réédifié sur le Hoe: il était aussi sain que le jour de son érection.
Le nouveau phare d'Eddystone, construit sous la direction de l'ingénieur Edmond Douglas, dans l'espace de quatre ans, la question du temps étant cette fois tout à fait secondaire, puisque l'écueil n'a pas cessé d'être éclairé, fut allumé le 18 mai 1882, par le duc d'Edimbourg en personne.
Dans ce nouveau phare, la forme extérieure est bien la même que dans l'ancien, qui ressemblait de même à la tour en bois de Rudyerd: la forme ne change guère, mais il reste, malgré cela, quelques différences à signaler, tant dans l'ensemble que dans les détails. C'est d'abord la hauteur de la tour notablement augmentée, ainsi que la portée des rayons lumineux, qui atteignent près de 4 milles marins plus loin. La lanterne, à feu blanc tournant, est éclairée par deux lampes, dont une seule est mise en réquisition par le beau temps. 


La chambre de la lanterne du phare d'Eddystone.

En outre, de la troisième chambre au-dessous, brille une lumière spécialement chargée de signaler le récif intérieur appelé Hands Deeps. De chaque côté de la plate-forme qui supporte la lanterne, une grosse cloche est installée, qui sert utilement par temps de brouillard.
A la base de l'édifice règne un grand réservoir d'eau. Entre ce réservoir et la lanterne, il est intérieurement divisé en neuf étages qui sont en commençant par le bas: le vestibule d'entrée, deux dépôts d'huile, le magasin aux provisions, la cuisine, la chambre contenant la lumière spéciale des "Hands Deeps", les chambres à coucher des trois gardiens et la chambre de service. Un arbre tournant, en fer, traverse le centre de la tour de bas en haut, à partir du vestibule, faisant tourner les lumières de la lanterne et le battant des cloches du brouillard (fog bells).
Il n'est pas nécessaire d'entrer dans les détails de la construction. Dire que l'ingénieur a su profiter de tous les perfectionnements introduits dans l'art des constructions maritimes, depuis Smeaton, peut même passer pour une constatation à peu près superflue, et nous n'y insisterons pas.

                                                                                                              J. Bourgoin.

Journal des Voyages, dimanche 27 mars 1887.

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