Les Anglais en Afghanistan.
L'horizon se gâterait-il du côté de l'Asie centrale? Il y avait plusieurs mois déjà qu'Abdour-Rahman souffrait de la maladie qui vient de l'emporter. L'état de l'émir d'Afghanistan était devenu si grave, le 2 octobre dernier, que son fils aîné et héritier présomptif, Habiboullah-Chan, fit publiquement dire des prières dans toutes les mosquées de Kaboul. Des messagers spéciaux apportèrent enfin à Peshawar la nouvelle du décès d'Abdour-Rhaman et l'Angleterre fut prise d'un grand trouble.
C'est qu'Abdour-Rhaman, qui recevait du Foreign-Office une pension annuelle de 160.000 livres, jouait le rôle de tampon entre les possessions russes et les possessions anglaises. Aussi sa disparition, dans un moment de crise comme celui qui traverse l'Angleterre, engagée contre les boers dans une guerre aussi épuisante qu'interminable, a-t-elle paru à nos voisins de la plus fâcheuse inopportunité.
Si la Russie allait mettre à profit les embarras de John Bull pour attirer dans son orbite Habiboullah Chan? Puis ledit Habiboullah verra-t-il tous les Afghans s'incliner devant l'article du testament paternel qui l'institue héritier du trône? Nous ne devons pas oublier qu'Habiboullah est né d'une esclave et qu'il a des frères d'une naissance plus noble.
D'ailleurs, aux termes du Coran, ce n'est pas le fils aîné qui est apte à recueillir la succession au trône mais le frère du monarque défunt. Or, on ne sait encore si cet héritier légitime, Ishak-Khan, est disposé à renoncer aux droits successoraux que lui confère la loi musulmane.
J'avouerai franchement à mes lecteurs que la pénible situation où se trouve jetée l'Angleterre, du fait de la mort prématurée d'Abdour-Rhaman ne me cause qu'un désagrément relatif. Albion se débrouillera comme elle pourra dans le nouveau casse-tête indo-transcapien: ce ne sont pas les français, j'espère, qui l'aideront à s'en tirer.
Tiburce.
Les veillées des Chaumières, 5 novembre 1901.
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