Une histoire sentimentale et véridique.
Aimez-vous les histoires idylliques, douces, sentimentales?
La littérature actuelle est volontiers si épicée que, lorsque la réalité offre une aventure à la Berquin*, on peut sans doute la relever.
Voici donc le récit, appartenant au genre "touchant" que nous font les journaux anglais. Ce qui la rend curieuse, c'est que, en Angleterre, il y a encore, comme on sait, une noblesse fort entichée de ses privilèges, qui y tient beaucoup et qui se révolte à l'idée seule d'une mésalliance.
Donc, tout récemment, un jeune lord de vingt-quatre ans se promenait sur les bords d'un canal profond.
A quoi songeait-il? Toujours est-il qu'il était distrait, qu'il ne voyait rien devant lui et qu'il fit tout à coup un terrible faux pas...
Il venait de tomber dans le canal, à cet endroit particulièrement dangereux et profond.
Or, encore que les Anglais se piquent d'être adroits à tous les exercices du corps, celui-ci ne savait pas nager.
Cette grave lacune dans son éducation allait sans doute lui jouer un fort mauvais tour. Il se débattait vainement dans l'eau, songeant peut-être qu'il était bien désagréable de quitter ce monde lorsque la vie était pour lui si agréable, lorsqu'un secours inespéré lui arriva.
Un brave paysan avait entendu ses cris désespérés.
Sans calculer le péril, qui était grand, il ne songea qu'à venir au secours du noyé.
En homme soigneux qu'il était, il prit le temps cependant de se débarrasser de ses vêtements. Mais cela fait, il plongea bravement, et fut assez heureux pour arriver à retirer de l'eau le jeune homme.
Cependant celui-ci était inanimé. Le paysan ne se découragea pas. Il frotta et frictionna le noyé avec une si robuste poigne que celui-ci, sous l'effet de ces énergiques pressions, finit par revenir à lui.
Puis, comme l'endroit était solitaire, que personne n'était accouru, qu'il avait été, par un hasard providentiel, le seul témoin de l'accident, il chargea tranquillement, pour achever son sauvetage, le lord sur ses épaules et le transporta dans son château, où des soins habiles achevèrent l'oeuvre de salut.
Le paysan, cependant, s'était retiré et n'avait pas seulement voulu dire son nom.
Mais le sauvé n'entendait pas rester ingrat à l'égard de son sauveteur. Il se mit à sa recherche, et finit par le découvrir dans une pauvre masure.
Le brave homme était dans une condition fort misérable. Toutefois, il refusa énergiquement d'accepter une récompense pécuniaire.
- Mais non, répétait-il, ce que j'ai fait est simple..., puisque je sais nager.
Il fut impossible de le décider à recevoir une somme d'argent.
On lui proposa de lui acheter une petite ferme. Avec la même fermeté, le paysan s'obstina à ne pas vouloir de récompense.
C'était, décidément, un homme antique.
Mais le lord, de son côté, s'obstinait aussi. Il voulait trouver un moyen de prouver sa reconnaissance à celui qui avait exposé sa vie pour lui. Il y tenait absolument.
Tous les jours, il allait le trouver, et lui offrait quelque combinaison par laquelle il pût acquitter sa dette de gratitude, sans jamais réussir.
Il avait résolu, à la fin, d'avoir le dernier mot.
- Eh bien! lui dit une fois le paysan, puisque vous tenez tant à m'être agréable, il y aurait bien un moyen, après tout.
- Lequel?
- Voici: j'ai une sœur, qui est bonne d'enfants à Londres, et qui est fort malheureuse avec les mioches dont elle a la garde, qui la tourmentent sans cesse...
- Qu'à cela ne tienne! Je lui ferai une autre condition.
- Oh! mais ma sœur est une honnête fille qui ne veut pas qu'on puisse rien dire sur son compte... Pour qu'elle ait un prétexte honorable de quitter sa place, épousez-la.
- Hein! fit le jeune lord interloqué.
Mais, quelque paradoxale que lui parût la chose, il déclara aux siens qu'elle valait au moins la peine d'être étudiée.
Il se rendit à Londres, vit la jeune fille qui se trouvait être charmante, s'éprit d'elle et demanda sa main.
La petite servante est aujourd'hui duchesse.
Dans les contes de fées, on voyait souvent des rois épouser des bergères. Cette authentique histoire prouve qu'il y a toujours des aventures merveilleuses.
Le Petit Moniteur illustré, 7 octobre 1888.
* Nota de Célestin Mira: Arnaud Berquin, fut le premier éditeur, en 1783, à faire paraître un périodique de 144 pages destiné aux enfants: "L'ami des enfans".
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