Vues de nez.
Quel est le meilleur nez? demande plaisamment un vieux manuscrit du moyen âge. Et, se faisant à lui-même la réponse, il ajoute: ce sont les grands nez.
Un bon avocat présente seulement les arguments propres à soutenir sa thèse. Ainsi fait ensuite l'auteur en question:
Tout d'abord, il réclame l'appui de cette morale élastique qu'on appelle les proverbes.
"Les hommes prudents sentent de loin."
"Les sots n'ont point de nez."
Puis vient la théorie des nez longs qui furent remarquables:
Homère, Lycurgue, Solon, Tite-Live, Ovide, qui possédaient en effet un nez magistral. Par contre Socrate, qui les valait bien, en avait aussi peu que possible.
Les médailles de l'ancienne Rome vous représentent à peu près toutes, des rois ou des césars munis de très grands nez. Numa, deuxième roi de Rome, portait avec orgueil son surnom de "Pompilius" qui indique la possession d'un nez superlatif. Tarquin le Superbe, au contraire, se trouvait mal servi sous ce rapport, et ce défaut fut cause, dit la légende, de sa chute du pouvoir. Mais il est probable que la légende en question vise moins le manque de développement du cartilage que l'absence de flair qui fit si longtemps ignorer, au dernier des Tarquin les menées républicaines qui le détrônèrent.
Toutefois, il apparaît clairement que les grands nez furent en honneur dans l'antiquité. Tous les peuples, sauf les chinois et les Tartares, rendirent hommage aux dimensions prépondérantes de cet appendice que l'on supposait synonyme de bravoure. Et ce parallèle était si bien passé à l'état d'axiome qu'un gentilhomme russe, grand admirateur de la famille des Montmorency, se désolait que l'illustre lignée qui donna le vainqueur de Bouvines et tant d'autres héros, fût affligé d'un nez camus à peu près héréditaire.
En revanche, Bayard, François 1er, Henri IV, Condé, Marceau avaient des nez de bravoure.
Louis XI avait aussi le nez fort long, aussi grand que sa ruse qui n'était nullement brave.
Après un si grand éloge des longs nez, il semble indispensable de plaider un peu la cause des petits.
Un contemporain de Mme de Sévigné nous apprend que "les petits nez sont signe d'esprit et de bonté". Les Françaises de tout temps le prouvent; en effet le développement peu excessif de leur nez ne les a jamais empêchées d'être remarquables par le cœur et l'intelligence.
Mme de Genlis qui, selon Jules Janin, avait l'esprit aussi vif que les yeux, possédait un petit nez retroussé, dont elle était bien fière. Un jour, un peintre qui était chargé de faire son portrait, avec la ferme intention de l'embellir, l'avait affublé d'un nez aquilin. Mme de Genlis protesta beaucoup, renia ce nez d'emprunt et déclara que le sien était délicat et le plus joli du monde... et qu'il n'y fallait rien changer.
Toutefois trop de petitesse ne vaut rien, disent les physiologistes. Les Chinoises ont un rien de nez et cette disposition physique semble coïncider avec une moralité éclectique et un tempérament de servante. La race jaune est peureuse, sournoise et cruelle. Mais ce n'est peut-être pas la faute de son nez.
Et les nez moyens dont personne ne parle? parions que ce sont les meilleurs.
Jean des Figues.
Les Veillées des Chaumières, 16 juillet 1902.
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