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jeudi 3 novembre 2016

L'Anglais à Paris.

L'Anglais à Paris.

Quand un Anglais vient à Paris, c'est toujours pour s'amuser. Aussi considère-t-il Paris comme un endroit parfaitement méprisable. C'est pour lui un spectacle de la foire, un cabaret ou tout autre mauvais lieu. Aux yeux de l'Anglais, le Parisien est un baladin et la Parisienne une farceuse. 
L'Anglais à Paris se laisse voir sans hypocrisie. N'étant pas forcé de se tenir et de se conduire comme un gentleman, il est franchement ce que la nature l'a fait: égoïste, orgueilleux et arrogant. Le même monsieur que vous avez vu à Londres, irréprochablement nippé, lingé, enfraqué, cravaté et ganté n'est plus à Paris qu'un individu ficelé dans un costume à carreaux de couleur, avec une casquette à double visière et à oreilles. C'est dans cet accoutrement qu'il va à l'Opéra et à la Comédie.




L'Anglais n'a pas d'autre moyen à sa disposition de se venger du besoin qu'il a de Paris. Il s'ennuie tant dans son Londres embruiné au milieu des misères de la Tamise, des dimanches bibliques et des monotonies de la Cité, qu'il lui faut à toute force le soleil, le vin et la gaieté de Paris. Mais l'Anglais n'aime pas trouver chez les autres ce qui lui manque chez lui, et, forcé de venir à l'étranger payer ses plaisirs et apporter ses guinées, il essaie d'être hautain et mal poli, à la façon des parvenus qui humilient les valets qu'ils payent.
L'Anglais est souvent flanqué de l'Anglaise, son épouse. Elle aussi vient pour s'amuser, mais comme s'amusent les Anglaises, du bout des dents. 




Un voyage à Paris pour une Anglaise est une grosse débauche qu'elle renouvelle d'ailleurs plusieurs fois par an. Elle s'offre le droit d'être gourmande, curieuse, coquette et babillarde; ce que les mœurs anglaises  ne permettent pas. Une Anglaise à Paris est souvent une charmante femme et fait oublier le désagrément de son mari. L'Anglaise aime les Français, qui causent avec elle et la font rire, tandis que son mari ne lui adresse pas la parole ou la traite en servante. On voit quelquefois passer dans une voiture de grande remise un jeune Anglais, mal vêtu, auprès d'une jolie dame, habillée à la dernière mode. On dirait deux figures de cire, promenées par un impresario pour faire une réclame au musée Grévin.
Il y a cependant des Anglais aimables, même à Paris. Ce sont ceux qui y ont fait élection de domicile, et qui y vivent depuis de longues années. Encore n'ont-ils pas consenti à abdiquer tout à fait. Infatués d'eux-mêmes, ils ont apporté Londres dans leurs bagages. Ils ont un quartier à eux, qui les sépare des autres sociétés. On y trouve l'épicier, le pharmacien, le restaurateur, le tailleur anglais, avec l'enseigne en anglais et l'étoffe ou la denrée, ou le médicament anglais. Ils n'ont pris de Paris que son soleil et son air: deux choses que Londres ignore absolument.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Job et Frick.

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