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samedi 19 novembre 2016

Le Château de Saint-Fargeau.

Le château de Saint-Fargeau.


Le château de saint-Fargeau, situé à l'extrémité de l'arrondissement de Joigny (Yonne), sur la nationale n° 65, est un de ces curieux bâtiments militaires et féodaux dont le nombre diminue tous les jours en France.
Lorsque l'on approche de sa vaste enceinte, on est frappé de l'aspect grandiose de ces masses de pierres qui semblent défier le temps et les révolutions. Ses possesseurs successifs ont fait percer ça et là les tours et les courtines; des toits élevés y ont remplacé les créneaux aux baies étroites; des campaniles d'un style douteux les dominent; les fossés ont été mis à sec et plantés d'arbres. 




Malgré ces déguisements, le château a conservé sa rude physionomie, son caractère de force et de vigueur. Un évêque d'Auxerre, du nom d'Héribert, est regardé comme le premier fondateur du château, qui tomba bientôt entre des mains laïques; les Narbonne, seigneurs de Toucy et du pays de Puisaye, en devinrent les maîtres dans les convulsions féodales du onzième siècle.
Ce pays de Puisaye, qui occupe presque l'étendue du tiers d'un département, était alors célèbre et puissant. Retranchés dans leurs profondes forêts, ses grands barons étaient comme indomptables. La Puisaye, Puisaya, la Poyande, comme l'appellent encore ses habitants, serait, selon eux, le séjour primitif des Boii, Germains transplantés par César dans les confins des Eduens. Elle a conservé sa physionomie antique: ce sont toujours des grands bois ombreux, de larges vallées dont les héritages peu morcelés sont entourés de haute haies et broussailles, à l'ombre desquels paissent de beaux bœufs aux longues cornes.
Le château de Saint-Fargeau est assis au centre du pays de Puysaye, auquel il était de sa destinée de commander. On voit aux douzième et treizième siècles ses barons figurer honorablement dans les croisades. Ithier III était à Vezelai avec Louis VII en 1147. Ithier V mourut au siège de Damette en 1218. Jean 1er suivit saint Louis en Terre-Sainte.
Au milieu du treizième siècle, Saint-Fargeau entra par alliance dans la maison de Bar; ce n'était pas se mésallier.
Guillaume de Bar fut tué à la bataille de Poitiers le 19 septembre 1356. Il était un des grands vassaux qui soutenaient la bannière française, et il avait combattu avec la plus grande vaillance. Son frère, Robert, qui lui succéda, épousa la fille du même roi Jean.
Les chroniques sont presque muettes sur le rôle que joua le château pendant les guerres des Anglais; cependant on voit un sire de Bar y soutenir un siège contre les bourguignons en 1411.
Après les Bar, vint Jacques Cœur, le noble argentier ou surintendant des finances de Charles VII, qui lui rendit de si grands services dans ses guerres, services payés, hélas! par l'ingratitude. Rival des Doria et des Ango, il s'était si fort enrichi par ses grandes spéculations commerciales, qu'on disait de son temps: Riche comme Jacques Cœur. Longtemps il avait dérobé ses trésors aux yeux avides des seigneurs de la cour; mais, perdant enfin cette prudence qui faisait sa sécurité, il voulut aussi devenir grand propriétaire terrien. Le château de Saint-Fargeau ne fut pas un trop beau morceau pour lui: A vaillants cœurs rien d'impossible, comme il portait sur sa devise.
A peine l'eut-il en sa possession qu'il se mit à l'oeuvre, et qu'il fit élever une tour encore debout dans le château, et qui a conservé son nom: c'est la plus vaste; elle n'a pas moins, encore aujourd'hui, de 33 mètres de diamètre.
Cette acquisition fut une des causes de sa ruine. Des ennemis jaloux de sa position, de la faveur dont il jouissait près du roi, l'accusèrent de crimes absurdes. Il fut sacrifié: une commission spéciale le condamna à la confiscation de ses biens et au bannissement perpétuel (1453), comme concussionnaire et comme ayant envoyé une grande quantité d'argent aux Sarrasins.
Parmi ses ennemis les plus acharnés figure le fameux Antoine de Chabannes, grand-maître de France, qui acquit lui-même la terre de Saint-Fargeau. La mort de Charles VII rendit un instant la fortune favorable au fils de l'argentier, valet de chambre du nouveau roi Louis XI. Mais le comtes de Chabannes sut se maintenir dans sa possession, et se contenta d'indemniser en argent les héritiers de Jacques Cœur.
Sous Antoine de Chabannes, Saint-Fargeau prit une importance militaire considérable. Le seigneur voulut s'y retirer dans sa vieillesse et y fit faire de nouvelles constructions. C'est à lui qu'on doit la porte actuelle avec ses moulures prismatiques et fleuronnée, et flanquée de deux tours énormes.
Son fils Jean, d'un caractère aussi indomptable que son père était courageux, fut le dernier des véritables barons de Saint-Fargeau. Dédaignant les honneurs de la cour, les charges auxquelles il pouvait prétendre, il préféra vivre seul, maître dans son manoir. Sa devise reflète bien cet esprit fier et indépendant: Felicitas vera libertas (le bonheur, c'est la liberté). On raconte de lui des traits dignes des temps primitifs du moyen âge. On dit que chaque jour il avait coutume de se faire amener un cheval qu'il montait sans selle ni bride, et qu'il faisait courir partout où son caprice le poussait.
Comme on le voit, les seigneurs barons de Saint-Fargeau présentent à chaque siècle des types très-divers et très-intéressants. Au seizième siècle, ce sont les d'Anjou, dont l'un d'eux obtient l'érection de la baronnie en comté en 1541; puis viennent les Bourbon et les Orléans.
Nous ne pouvons laisser passer ici, sans en dire un mot, l'une des grandes illustrations de Saint-Fargeau, la grande Mademoiselle, née en 1627, si riche, si mêlée aux intrigues de la Fronde. C'est à la suite fâcheuse de ces guerres de grands seigneurs ennuyés, que mademoiselle de Montpensier se retira à Saint-Fargeau, en 1652, avec sa petite cour fort décontenancée. Le vieux château était tout délabré à l'intérieur, et il fallut que la duchesse en arrivant couchât dans le lit du bailli nouvellement marié. Aussi se promit-elle bien d'employer ses loisirs à l'embellir. Elle fit venir l'architecte Leveau, connu par ses constructions de l'hôtel Lambert, de Vaux, du Raincy, etc., et lui ordonna de nombreux travaux. C'est surtout dans la cour intérieure qu'on remarque les changements apportés à l'oeuvre primitive. Des galeries à plein cintre, dans lesquelles la brique se marie artistement à la pierre, règnent tout alentour. Le chiffre de la duchesse, délicatement sculpté, décore très-bien toute cette partie. Des appartements furent pratiqués dans les principales tours, et les officiers de la suite de la duchesse purent enfin se loger.
Le temps se passait comme on pouvait; on avait une troupe de comédiens; Segrais, Lulli, les six violons de Mademoiselle égayaient les journées. Les bourgeois de Saint-Fargeau, la noblesse des environs faisaient passer un moment. Mademoiselle était bonne princesse et tenait volontiers les enfants de ses vassaux sur les fonts de baptême.
Cinq ans se passèrent ainsi, et l'exil finit. Avec Mademoiselle, Saint-Fargeau perdit pour longtemps la vie et le mouvement qu'elle y avait apportés. Lauzun, cet heureux chef des dragons de Louis XIV, qui rendit si agité l'âge mûr de la duchesse de Montpensier, reçut d'elle Saint-Fargeau, qu'il vendit au financier Crozat en 1717. Après celui-ci, vient la dernière famille des seigneurs de Saint-Fargeau, les Lepeletier des Forts, famille de race parlementaire dans laquelle la rigidité des mœurs s'alliait à des principes d'indépendance que l'esprit de corps ne faisait que développer davantage chaque jour.
Michel-Robert Lepeletier fit de notables modifications à la partie du château située au nord-ouest, et qu'on appela de son nom le Pavillon des Forts. Cet édifice n'est pas d'un grand goût et se ressent de la médiocrité du temps. Le 24 juin 1652, un terrible incendie détruisit la plus grande partie des bâtiments, à l'exception du pavillon des Forts. Il ne resta debout que les gros corps de maçonnerie et les tours. Cet événement effaça une bonne partie de l'ancienne physionomie des appartements du château; car on ne se préoccupa guère, dans les restaurations postérieures, que des besoins nouveaux.
Michel-Etienne Lepeletier, pendant l'enfance de qui arriva l'incendie dont nous venons de parler, marqua dans l'histoire du dix-huitième siècle par les conclusions qu'il prit comme avocat général au parlement pour l'examen des constitutions des jésuites. Son fils, Louis-Michel, devait clore d'une manière extraordinaire la liste des seigneurs de Saint-Fargeau. A l'âge de huit ans, il avait composé une vie d'Epaminondas. La révolution de 1789 le trouva à vingt-neuf ans avocat général au parlement. La noblesse de Paris l'élut député aux Etats généraux. Il adopta, avec la chaleur de la jeunesse et la foi d'un homme dévoué à l'humanité, la cause des grandes réformes préparées par la philosophie. Tout, dans les quatre dernières années de sa vie, révèle cette conviction profonde qui entraîne aux plus grands sacrifices. Ses relations avec le duc d'Orléans, dont il était un des chauds partisans, le firent accuser de conspirer pour le prince. Le poignard de Pâris mit fin à ses jours la veille de la mort de Louis XVI. La Convention rendit les plus grands honneurs à la mémoire de Lepeletier, et adopta sa fille encore en bas âge. Cet événement fut probablement cause de la conservation du château de Saint-Fargeau. Après la révolution, ce domaine vit renaître des beaux jours. Son vaste parc passager fut tracé avec un grand goût par le père des possesseurs actuels, qui se font un e sorte de culte de conserver ces précieux débris.

Le Magasin pittoresque, novembre 1849.

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