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mercredi 30 novembre 2016

Peine de mort.

Peine de mort.

Voici la Toussaint,
Le temps des veillées.

La Toussaint est même passée depuis plusieurs jours déjà; les dernières feuilles, au bout des branches, craquent avec un bruit de ferraille rouillée; le vent siffle sous les portes; des monômes d'oiseaux blancs, avant-coureurs des premiers froids, filent silencieusement dans un ciel blafard, comme embué de mélancolie, et l'âme se met tout naturellement au diapason de la température: elle aussi a ses novembres, ses mois noirs, comme on dit en Bretagne.
Ar miz dû! Que les Bretons l'ont bien nommé, ce triste novembre, à qui la fête des Trépassés sert de portique funèbre! Oh! les mornes défilés dans les cimetières, le long des tombes fleuries d'asters et de chrysanthèmes! Les visages ont un pli de souffrance et d'inquiétude; les yeux se brouillent; partout les même épitaphes. De temps à autre seulement, comme la funambulesque nature humaine ne perd jamais ses droits, quelque inscription prétentieuse ou doucement saugrenue nous arrache un pâle sourire:
"Cinquante-sept ans, ô Mélanie, et tu meurs!"
"Ci-gît Napoléon-Athanase Patouillaud, décédé à l'âge de 27 jours, regretté de tous ses amis."
"Ici repose le corps de M. Ferdinand Puceron, négociant en denrées coloniales. Sa veuve éplorée continue son commerce à des prix défiant toute concurrence..."
On en pourrait citer plusieurs dizaines de ces épitaphes extravagantes qui témoignent, jusque dans la mort de l'incroyable vanité de la pauvre nature humaine. L'anonymat n'existe dans nos cimetières que pour les suppliciés: la société sur les dalles funéraires qui les recouvrent, refuse de perpétuer leur souvenir par une inscription. Ravachol et Caserio sont enfouis à l'écart sans une croix, sans une ligne commémorative, et c'est le destin qui est échu à leurs confrères en anarchie, au dernier en date des "tyrannicides", à ce Czolgosz, dont l'exécution a causé un si beau tapage dans la presse des deux mondes.
Sans doute nous trouvons parfaitement raisonnable qu'aux Etats-Unis, comme en France, la société se prive de faire une réclame posthume aux féroces déséquilibrés qui lui ont déclaré une guerre sans merci; d'autre part, la société n'excède pas son droit de légitime défense en se débarrassant de ces énergumènes par les voies les plus rapides. 
Mais il y a la manière, comme dit le prince d'Aurec, et il faut bien reconnaître que la manière américaine manque un peu d'aménité. Vous savez qu'aux Etats-Unis l'électrocution a remplacé, depuis plusieurs années déjà, la pendaison, le garrot et la guillotine. Le condamné à mort est assis, de gré ou de force, un casque sur la tête, dans une chaise d'un genre spécial où le retiennent cinq larges courroies, dont quatre pour les bras et les jambes et une pour la poitrine. Chaque courroie est munie d'un électrode par lequel le courant vient frapper la victime. Le malheur est que ces courants, si puissants qu'ils soient, n'entraînent pas toujours la mort du premier coup. Quelques semaines avant Czolgosz, on avait exécuté, dans la prison d'Auburn, une condamnée sur laquelle on fit passer un courant de 2.000 volts. La malheureuse fit un soubresaut si terrible que les courroies lui entrèrent dans les chairs. Ce soubresaut dura six secondes, puis la tête de la victime retomba, inerte. On la croyait morte. On rouvrit le courant; elle ressuscita; son corps à demi carbonisé fut secoué de nouvelles convulsions, ses chairs grésillèrent, et de son cerveau, dans un nuage de fumée, une flamme bleue jaillit vers le plafond. Le spectacle était si macabrement horrible que les journalistes présents ne purent retenir un cri d'indignation.
Eh bien, c'est ce spectacle qu'on a revu lors de l'exécution de Czolgosz. Comme le dit justement M. Georges Montorgueil, les Américains, qui ont repoussé la guillotine comme une invention de notre vieux monde indigne de la terre sur laquelle Edison a fondé sa gloire, ont abouti à rendre plus odieux encore le système du meurtre juridique par la prétentieuse nature de ses combinaisons. Avec cette chaise truquée, ce masque et ces électrodes; avec ces bourreaux parés de titres universitaires, la barbarie s'accuse aussi profonde, mais, dans sa pédanterie, plus révoltante. Le glaive était net et loyal; la potence canaille, mais franche; l'échafaud, même, dans son mécanisme ignoble et bas, se défendait par la sûreté du résultat; mais cette pile de laboratoire, qui ramène l'exécution capitale aux mesures d'un expérience gauche et malpropre, quel dégoût ne soulève-t-elle pas?

                                                                                                                         Tiburce.

Les Veillées des Chaumières, 16 novembre 1901.

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