Étrennes utiles.
Deux mots qui font le cauchemar de l'enfance. Oh! les étrennes utiles! Ces bons bas de laine que le petit pauvre trouve dans son soulier de Noël au lieu de la toupie qui, depuis si longtemps, ronfle dans ses rêves! Cache-nez pour l'école, socques pour les pieds nus, tricots pour les petits bustes mal couverts, que de déceptions vous avez causées!
Ah! je ne suis pas parfait; mais, du moins, je n'ai jamais chargé ma conscience de ce crime de lèse-enfance. Les étrennes que j'ai données ont toujours été prodigieusement inutiles, cela, à la barbe des parents qui, vainement, me tendaient les tirelires vides, les livrets de caisse d'épargne maigres comme des rats d'église, et les trousseaux incomplets de leurs poussins
Inutiles, vous dis-je, les plus inutiles possible, et je ne sortais pas de là.
Aussi éprouvai-je, l'autre jour, un élan de tendresse admirable pour notre préfet de police. Il n'en a rien su, heureusement, car il serait mort de joie, je pense, d'avoir conquis un irréconciliable.
Il ne l'a pas su, n'en est pas mort et je continue à l'admirer; voici pourquoi.
Le mois dernier, une grande affiche blanche et bleue fleurissait sur la voie publique et annonçait un concours à la façon de ceux dont nos lecteurs se montrent d'ordinaire si friands.
Il s'agissait de construire, pour les petits, des jouets inédits et amusants, variant de cinq centimes à trois francs pièce.
A quel mobile ce préfet de police, chargé de traquer et d'emprisonner ceux des contribuables ayant quelque droit à ce genre de traitement, à quel mobile dis-je, ce roi des gendarmes a-t-il obéi en s'occupant de récréer nos bambins?
Est-ce réellement pour donner, à bon marché, quelques heures de joie à la petite France? Est-ce bien philosophiquement pour tâter le pouls aux tendances nationales? Car l'étiage moral et intellectuel d'un peuple se mesure, dit-on, aux joujoux de sa fraction enfantine.
- Le petit Allemand, fils de baïonnettes passives, a le tambour et la panoplie; le petit Anglais, fils de colon vorace, a le bateau et la locomotive; le petit Français, fils de spéculatif, a le livre d'image.
- Mon Dieu, non! M. Lépine n'a pas comme son admirateur soussigné et limité, cherché midi à quatorze heures.
Chaque jour, en parcourant ses différents services, il s'entendait poursuivre par des échos de misère venus des lointains faubourgs de son Paris. Les fins d'été, surtout, bourdonnent de plaintes. La morte-saison des villes est précisément celle où la bonne terre donne ses fruits à ceux qui ne l'ont point désertée. Puis les premiers froids viennent augmenter l'angoisse du pauvre logis en y apportant les exigences, si maigrement obéies pourtant, du feu et de la lumière. Mais alors, une petite étoile se lève dans ce ciel froid: la fabrication spontanée et la vente éphémère de ces babioles et jouets qui garnissent les "petites baraques des boulevards".
Dès novembre, tous s'y mettent, dans ces ruches populaires où se trouvent, hélas!, plus d'abeilles que de miel. On a, tant bien que mal, débarrassé un coin de l'étroit logis pour poser les brimborions au fur et à mesure qu'on les façonne. Et pour se reposer, de temps en temps, on suppute le gain. Presque toujours le terme de janvier s'y trouve.
Cependant, il paraît que depuis deux ou trois ans, il s'y trouvait plus difficilement. On n'inventait plus de jouets nouveaux et, l'attention du passant n'était plus arrêtée par l'inconnu original, les recettes se faisaient maigres.
C'est pour renflouer cette pauvre barque populaire que le préfet de police a eu l'excellente idée d'ouvrir un concours entre ces menus et si intéressants travailleurs parisiens. Car, voyez-vous, les bambins savent encore, heureusement, s'amuser avec des joujoux préhistoriques, témoin le sabre de bois et la poupée de Nuremberg.
Mais puisque ce n'est pas à nos enfants que l'affiche blanche a directement songé, je demande humblement au préfet de police la permission de combler cette lacune et de lui indiquer quelle sorte d'étrennes il pourra donner à ses jeunes administrés.
Étrennes utiles, cette fois, contrairement à mon habitude; une fois n'est pas coutume. Mais avant de les lui désigner plus clairement, je m'en vais lui raconter une histoire.
Dans un orphelinat agricole de l'Ain arrivait, l'autre jour, un petit Parisien de cinq à six ans, un Parisien de ces faubourgs perdus et misérables où se fabriquent précisément les ingénieux jouets du jour de l'an.
A peine débarqué, le petit, tout fluet, tout pâlot, se vit convier à aller faire dodo, afin de réparer les fatigues du voyage. Mais, dans le grand jardin, le bambin aperçut de petits garçons comme lui qui arrachaient de l'herbe sous de grands arbres.
Ce spectacle, inconnu à la rue puante qu'il habitait, l'émerveilla:
- Oh! Madame, dit-il à la religieuse qui le conduisait par la main, laissez-moi arracher de l'herbe!
La bonne religieuse le conduisit aussitôt vers les petits camarades.
- Seulement, dit-elle, ôte ta veste, mon enfant, car, tout à l'heure, tu seras en nage et si tu n'avais rien pour te couvrir au repos, tu prendrais froid.
Vivement, le petit ôte sa veste; mais, en l'y aidant, la religieuse se penche vers lui et s'écrie, surprise:
- Qu'as-tu donc autour de la taille?
- C'est mon corset.
- Un corset à un garçon?
- C'est notre corset pour la nuit, Madame Grand'mère nous serrait bien dedans le soir, avant de nous coucher, pour que nous n'ayons pas faim.
- Ah! mon Dieu! mais c'est affreux...
- Ah! mais non, je vous assure, dit le petit. Dans ma rue, tous les enfants ont des corsets pareils... et ça les empêche de mourir de faim... Oui, Madame, même qu'il y a une petite fille qui n'a pas voulu qu'on lui serre son corset, alors elle est morte...
Eh bien, je propose un troc à M. Lépine. je lui donnerai le corset de ce petit parisien; il le mettra à titre de joujou inédit dans son concours; et, en revanche, il donnera aux petits parisiens qui en portent, un orphelinat avec des religieuses dedans. Lesdites religieuses seront les étrennes, non pas inédites, mais utiles de ces petits déshérités auxquels la scandaleuse majoration de nos contributions ne peut assurer assez de pain. Ce troc fera baisser le commerce des corsets, mais augmentera celui de la farine.
Nemo.
Les Veillées des Chaumières, 9 novembre 1901.
Il s'agissait de construire, pour les petits, des jouets inédits et amusants, variant de cinq centimes à trois francs pièce.
A quel mobile ce préfet de police, chargé de traquer et d'emprisonner ceux des contribuables ayant quelque droit à ce genre de traitement, à quel mobile dis-je, ce roi des gendarmes a-t-il obéi en s'occupant de récréer nos bambins?
Est-ce réellement pour donner, à bon marché, quelques heures de joie à la petite France? Est-ce bien philosophiquement pour tâter le pouls aux tendances nationales? Car l'étiage moral et intellectuel d'un peuple se mesure, dit-on, aux joujoux de sa fraction enfantine.
- Le petit Allemand, fils de baïonnettes passives, a le tambour et la panoplie; le petit Anglais, fils de colon vorace, a le bateau et la locomotive; le petit Français, fils de spéculatif, a le livre d'image.
- Mon Dieu, non! M. Lépine n'a pas comme son admirateur soussigné et limité, cherché midi à quatorze heures.
Chaque jour, en parcourant ses différents services, il s'entendait poursuivre par des échos de misère venus des lointains faubourgs de son Paris. Les fins d'été, surtout, bourdonnent de plaintes. La morte-saison des villes est précisément celle où la bonne terre donne ses fruits à ceux qui ne l'ont point désertée. Puis les premiers froids viennent augmenter l'angoisse du pauvre logis en y apportant les exigences, si maigrement obéies pourtant, du feu et de la lumière. Mais alors, une petite étoile se lève dans ce ciel froid: la fabrication spontanée et la vente éphémère de ces babioles et jouets qui garnissent les "petites baraques des boulevards".
Dès novembre, tous s'y mettent, dans ces ruches populaires où se trouvent, hélas!, plus d'abeilles que de miel. On a, tant bien que mal, débarrassé un coin de l'étroit logis pour poser les brimborions au fur et à mesure qu'on les façonne. Et pour se reposer, de temps en temps, on suppute le gain. Presque toujours le terme de janvier s'y trouve.
Cependant, il paraît que depuis deux ou trois ans, il s'y trouvait plus difficilement. On n'inventait plus de jouets nouveaux et, l'attention du passant n'était plus arrêtée par l'inconnu original, les recettes se faisaient maigres.
C'est pour renflouer cette pauvre barque populaire que le préfet de police a eu l'excellente idée d'ouvrir un concours entre ces menus et si intéressants travailleurs parisiens. Car, voyez-vous, les bambins savent encore, heureusement, s'amuser avec des joujoux préhistoriques, témoin le sabre de bois et la poupée de Nuremberg.
Mais puisque ce n'est pas à nos enfants que l'affiche blanche a directement songé, je demande humblement au préfet de police la permission de combler cette lacune et de lui indiquer quelle sorte d'étrennes il pourra donner à ses jeunes administrés.
Étrennes utiles, cette fois, contrairement à mon habitude; une fois n'est pas coutume. Mais avant de les lui désigner plus clairement, je m'en vais lui raconter une histoire.
Dans un orphelinat agricole de l'Ain arrivait, l'autre jour, un petit Parisien de cinq à six ans, un Parisien de ces faubourgs perdus et misérables où se fabriquent précisément les ingénieux jouets du jour de l'an.
A peine débarqué, le petit, tout fluet, tout pâlot, se vit convier à aller faire dodo, afin de réparer les fatigues du voyage. Mais, dans le grand jardin, le bambin aperçut de petits garçons comme lui qui arrachaient de l'herbe sous de grands arbres.
Ce spectacle, inconnu à la rue puante qu'il habitait, l'émerveilla:
- Oh! Madame, dit-il à la religieuse qui le conduisait par la main, laissez-moi arracher de l'herbe!
La bonne religieuse le conduisit aussitôt vers les petits camarades.
- Seulement, dit-elle, ôte ta veste, mon enfant, car, tout à l'heure, tu seras en nage et si tu n'avais rien pour te couvrir au repos, tu prendrais froid.
Vivement, le petit ôte sa veste; mais, en l'y aidant, la religieuse se penche vers lui et s'écrie, surprise:
- Qu'as-tu donc autour de la taille?
- C'est mon corset.
- Un corset à un garçon?
- C'est notre corset pour la nuit, Madame Grand'mère nous serrait bien dedans le soir, avant de nous coucher, pour que nous n'ayons pas faim.
- Ah! mon Dieu! mais c'est affreux...
- Ah! mais non, je vous assure, dit le petit. Dans ma rue, tous les enfants ont des corsets pareils... et ça les empêche de mourir de faim... Oui, Madame, même qu'il y a une petite fille qui n'a pas voulu qu'on lui serre son corset, alors elle est morte...
Eh bien, je propose un troc à M. Lépine. je lui donnerai le corset de ce petit parisien; il le mettra à titre de joujou inédit dans son concours; et, en revanche, il donnera aux petits parisiens qui en portent, un orphelinat avec des religieuses dedans. Lesdites religieuses seront les étrennes, non pas inédites, mais utiles de ces petits déshérités auxquels la scandaleuse majoration de nos contributions ne peut assurer assez de pain. Ce troc fera baisser le commerce des corsets, mais augmentera celui de la farine.
Nemo.
Les Veillées des Chaumières, 9 novembre 1901.
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