Une procession de la Fête-Dieu.
Vers l'an 1462, le roi René, ce prince d'une mémoire si débonnaire, institua une singulière procession. Il avait emprunté, pour en faire un spectacle magnifique, tout ce que la verve poétique de ce temps savait mêlé de sacré et de profane, d'histoire ancienne et d'histoire moderne.
Le lundi de la Pentecôte, on élisait les principaux chefs de la fête: le roi de la Bazoche, le prince d'Amour, l'abbé de la Jeunesse, et quelques autres grands dignitaires. Huit jours après avoir lieu la Passado; vers midi les bâtonniers, après avoir préalablement entendu la messe à la cathédrale, parcouraient la ville au pas de course, musique en tête, s'arrêtant à chaque coin de rue pour donner aux passants le spectacle de leur adresse. Puis ils se rendaient sur la cours où avait lieu lou gué, c'est à dire la distribution des costumes. Le prévôt, accompagné des échevins, proclamait le nom des dieux de l'Olympe, qui venait successivement se ranger près de lui.
Le jour de la Fête-Dieu arrivait enfin; la procession se mettait en marche au son des cloches à grande volée. D'abord se présentaient quatre bâtonniers chargés de rubans: ils été accompagnés des archers du comte de Provence, portant chacun une torche. Ceux-ci précédaient la Renommée, montée sur un cheval de bataille; le costume de la déesse était une robe jaune sur laquelle étaient peintes les armes des principaux seigneurs provençaux; deux ailes peintes en jaune sortaient de la robe par deux fentes pratiquées aux épaules, et si légèrement ajustées qu'on eût dit qu'elle allait voler; sa coiffure était un bonnet également jaune et couvert de plumes.
Deux groupes suivaient la Renommée. Le premier se composait des chevaliers du Croissant, ordre militaire institué par le roi René; les chevaliers avaient un croissant sur la poitrine et à leurs casques, pour indiquer que leur valeur devait toujours aller en croissant. Une musique militaire les séparait du second groupe: le duc et la duchesse d'Urbin, montés sur des ânes. Les figures grotesques de ces malheureux princes rappelaient un trophée de René, qui vainquit Urbin en 1460. Les vociférations et les railleries du peuple accueillaient toujours l'image de ce général, qui, pour avoir été vaincu une fois, n'était pas moins un des hommes les plus remarquables de son époque.
Un charivari, réunions de bruits aigus et discords, cherchant à imiter les pleurs et les grincements de dents de l'Enfer, annonçait le noir Pluton. Cinq groupes différents composaient son cortège. Le premier était celui des Rascassettos, représentant les lépreux de l'Ecriture; ils étaient tous munis de peignes, de brosses, de ciseaux et d'éponges, s'occupant sans cesse à brosser, peigner et laver un d'entre eux, qui cherchait vainement à se soustraire à leurs bons offices. Lou Jouet dou cat paraissait après les Rascassettos. Moïse portait les tables de la loi; son front était orné de deux rayons lumineux que lui donne la tradition. Aaron était près de lui, et cherchait à expliquer la loi divine aux Israélites; mais ceux-ci se moquaient des paroles du grand prêtre et dansait autour du veau d'or. Un d'entre eux tenait un jeune chat qu'il lançait en l'air et ressaisissait dans sa chute avec beaucoup d'adresse: c'est ce qui faisait donner à ce groupe le nom de Jeu du Chat, lou Jouet dou cat.
Un autre groupe représentait le petit Jeu des diables. Un enfant vêtu de blanc figurait une âme, qu'un ange conduisait par la main, lui montrant la croix. Des diables cherchaient toujours à frapper de leurs masses ou de leurs fouets la bienheureuse âme; mais les coups retombaient sur l'ange, dont le dos était vraisemblablement rembourré. Le grand Jeu des diables suivait le petit, et terminait le cortège du dieu des enfers; Hérode, revêtu des insignes de la royauté, était en butte à la fureur des démons qui le harcelaient à coups de fourches et de piques. La diablesse se faisait remarquer au milieu d'eux; c'était une femme habillée dans le goût le plus moderne, personnification de la coquetterie. Les dieux de la mer suivaient ceux de l'enfer; leur costume était bleu clair, ainsi que l'eau azurée; ils entouraient Neptune, dont la main était armée du redoutable trident; les vents exécutaient autour de lui une danse animée.
Une musique champêtre annonçait les dieux de la terre. Les nymphes, vêtues de robes vertes comme les feuilles des bois, mêlaient leurs danses avec les satyres; ceux-ci avaient les jambes couvertes de peaux bigarrées; le haut de leur corps était enveloppé d'un gilet dont la couleur imitait celle de la chair; une longue queue et des cornes complétaient le costume. Pan, habillé de même, les suivait en jouant de la flûte. Un char couvert de pampres et de feuilles vertes annonçait Bacchus; c'était en effet lui qui était assis sur un tonneau; d'une main il tenait une bouteille, et de l'autre une coupe. Il se versait à boire, et dès qu'il avait trempé ses lèvres dans la tasse, elle lui était arrachée par les faunes qui composaient sa suite et qui la vidaient. Aussi cette partie de la procession était-elle une des plus gaies.
Venait ensuite la partie la plus curieuse, celles des chivaoux frux (chevaux fringants) . Des chevaliers de la cour de René exécutaient, debout sur les chevaux, des exercices, comme on en voit encore chez Franconi; mais il paraît que ces seigneurs n'avaient pas la même adresse que les écuyers de ce dernier, car, dans une de ces processions, plusieurs d'entre eux tombèrent et furent tués. Il fut décidé alors qu'on les remplacerait par des hommes qui auraient des chevaux de carton attachés à leur ceinture, et qui, répétaient d'une manière moins dangereuse les exercices de leurs devanciers.
Diane et Apollon suivaient ces redoutables cavaliers. Diane portait son arc et ses flèches; Apollon, sa lyre harmonieuse et le coq matinal. Les Heures leur succédaient, se tenant par la main. Le groupe suivant représentait la visite de la reine de Saba à Salomon; elle le saluait avec des rameaux verts et en balançant son corps de droite à gauche. Salomon, pour lui en faire honneur, exécutait devant elle une danse gracieuse, abaissant sa redoutable épée à la pointe de laquelle était attaché le Castelet (petit château), surmonté de cinq girouettes. Ce castelet figurait le temple élevé par ce monarque. Les femmes de la reine de Saba la suivaient, tenant chacune une coupe, présent du saint roi.
Derrière étaient les trois parques, Clotho, Lachésis et Atropos, roulant, filant et coupant les jours des mortels. Hérode les suivait, il présidait au massacre des innocents. Ses gardes, armés d'arquebuses, tiraient en l'air, et une douzaine d'enfants se jetaient à terre en poussant de grands cris. Les mages, les apôtres, les évangélistes, figuraient aussi dans cette procession; elle était terminée par le prince d'Amour, l'abbé de la jeunesse et le roi de la Bazoche. René avait personnifié dans ces trois chefs, la noblesse, le clergé et le peuple; tous trois marchaient sur la même ligne, tous trois avaient un cheval de la même couleur et de la même taille; tous trois avaient une même suite. En cette circonstance, mais en celle-là seule, se retrouvait l'égalité.
La procession du saint-sacrement, ainsi qu'elle était observée il y a encore quelques années à Paris suivait ce cortège.
En 1645, et principalement en 1680, les archevêques de la ville voulurent supprimer les scènes profanes de cette cérémonie; le peuple mécontent menaça de brûler l'archevêché, et les prélats renoncèrent à cette mesure. La fête continua donc sans obstacles jusqu'en 1789. A ce moment, la révolution qui renversait toutes les antiques et pieuses cérémonies, abolit aussi la procession d'Aix; elle fut reprise à l'époque du concordat, mais alors elle était bien déchue de son ancienne bizarrerie!
Magasin universel, décembre 1836.
Une musique champêtre annonçait les dieux de la terre. Les nymphes, vêtues de robes vertes comme les feuilles des bois, mêlaient leurs danses avec les satyres; ceux-ci avaient les jambes couvertes de peaux bigarrées; le haut de leur corps était enveloppé d'un gilet dont la couleur imitait celle de la chair; une longue queue et des cornes complétaient le costume. Pan, habillé de même, les suivait en jouant de la flûte. Un char couvert de pampres et de feuilles vertes annonçait Bacchus; c'était en effet lui qui était assis sur un tonneau; d'une main il tenait une bouteille, et de l'autre une coupe. Il se versait à boire, et dès qu'il avait trempé ses lèvres dans la tasse, elle lui était arrachée par les faunes qui composaient sa suite et qui la vidaient. Aussi cette partie de la procession était-elle une des plus gaies.
Venait ensuite la partie la plus curieuse, celles des chivaoux frux (chevaux fringants) . Des chevaliers de la cour de René exécutaient, debout sur les chevaux, des exercices, comme on en voit encore chez Franconi; mais il paraît que ces seigneurs n'avaient pas la même adresse que les écuyers de ce dernier, car, dans une de ces processions, plusieurs d'entre eux tombèrent et furent tués. Il fut décidé alors qu'on les remplacerait par des hommes qui auraient des chevaux de carton attachés à leur ceinture, et qui, répétaient d'une manière moins dangereuse les exercices de leurs devanciers.
Diane et Apollon suivaient ces redoutables cavaliers. Diane portait son arc et ses flèches; Apollon, sa lyre harmonieuse et le coq matinal. Les Heures leur succédaient, se tenant par la main. Le groupe suivant représentait la visite de la reine de Saba à Salomon; elle le saluait avec des rameaux verts et en balançant son corps de droite à gauche. Salomon, pour lui en faire honneur, exécutait devant elle une danse gracieuse, abaissant sa redoutable épée à la pointe de laquelle était attaché le Castelet (petit château), surmonté de cinq girouettes. Ce castelet figurait le temple élevé par ce monarque. Les femmes de la reine de Saba la suivaient, tenant chacune une coupe, présent du saint roi.
Derrière étaient les trois parques, Clotho, Lachésis et Atropos, roulant, filant et coupant les jours des mortels. Hérode les suivait, il présidait au massacre des innocents. Ses gardes, armés d'arquebuses, tiraient en l'air, et une douzaine d'enfants se jetaient à terre en poussant de grands cris. Les mages, les apôtres, les évangélistes, figuraient aussi dans cette procession; elle était terminée par le prince d'Amour, l'abbé de la jeunesse et le roi de la Bazoche. René avait personnifié dans ces trois chefs, la noblesse, le clergé et le peuple; tous trois marchaient sur la même ligne, tous trois avaient un cheval de la même couleur et de la même taille; tous trois avaient une même suite. En cette circonstance, mais en celle-là seule, se retrouvait l'égalité.
La procession du saint-sacrement, ainsi qu'elle était observée il y a encore quelques années à Paris suivait ce cortège.
En 1645, et principalement en 1680, les archevêques de la ville voulurent supprimer les scènes profanes de cette cérémonie; le peuple mécontent menaça de brûler l'archevêché, et les prélats renoncèrent à cette mesure. La fête continua donc sans obstacles jusqu'en 1789. A ce moment, la révolution qui renversait toutes les antiques et pieuses cérémonies, abolit aussi la procession d'Aix; elle fut reprise à l'époque du concordat, mais alors elle était bien déchue de son ancienne bizarrerie!
Magasin universel, décembre 1836.
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