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mardi 17 mars 2015

Le Morvan.

Le Morvan.

Le territoire du Morvan s'étend sur trois départements de la Nièvre, de l'Yonne et de Saône-et-Loire. Les révolutions du globe ont imprimé sur son sol de granit un caractère grave. Les roches abruptes qui ont été soulevées par une puissance énorme semblent lancer au ciel leurs pics aigus. Aux montagnes succèdent les plateaux de prairies encadrés eux-mêmes dans d'autres montagnes couvertes de bois. La nature est de toutes parts forte et solennelle; les villages sont disposés d'une manière pittoresque sur le flanc des collines ou au fond des vallées. Des routes nombreuses, encore peu fréquentées, contournent les monts, sillonnent le pays et lui donnent un air de vie moderne, qui lui était inconnu il y a trente ans.
Néanmoins l'écorce n'a été qu'entamée, et les grands centres de population ont seuls profité de cet élément nouveau de civilisation. Le paysan morvandeau conduit toujours, armé de l'aiguillon, l'antique chariot aux quatre roues dépourvues de fer. Ses bœufs aux longues cornes rappellent ceux de la campagne de Rome. Il chante encore ses vieilles complaintes sur un air lent et cadencé comme les chantaient ses aïeux. S'il rencontre un voyageur étranger il le salue curieusement de son grand chapeau, et si ce dernier lui demande sa route, il lui répond d'un air narquois qu'il la sait aussi bien que lui.
Les morvandelles portent des jupes courtes dont la taille est étranglée. Leur coiffure au large chignon, couverte de rubans aux couleurs vives et flottants, leur donne un certain air de coquetterie. Lorsque, au son monotone et criard de la musette, les jeunes gens des villages dansent une de ces bourrées qui ont réjoui les générations les plus reculées, on est surpris de l'entrain qui les anime.
Si, en quittant la route de Lyon à Avallon, jolie ville  du département de l'Yonne, on pénètre dans le Morvan, on rencontre au premier contre-fort des montagnes le bourg de Quarré-les-Tombes, jadis baronnie des illustres sires de Chastellux, dont le château fort s'élève encore à quelques lieues de là comme un nid d'aigle, et qui rappelle les croisades et les guerres féodales. Quarré doit son nom a un dépôt de tombes de pierres établi, selon quelques auteurs, pour les besoins des riches Gallo-Romains de la contrée. Le cimetière est encore couvert de ces tombes vides. Chaque fosse nouvellement remplie reçoit sans distinction de rang cet ornement d'un genre peu commun. On en compte ainsi plus de cent cinquante.
Lormes, Corbigny, Montsauche, Château-Chinon, petites villes assises dans le département de la Nièvre, sont les points importants du vrai Morvan. Du haut de la montagne sur laquelle s'élève l'église de Lormes, la vue s'étend à quinze lieues à la ronde et jusqu'aux ruines du château de Montenoison. Les eaux du ruisseau de Lormes qui sortent d'un vaste étang se précipitent avec force en cascades écumeuses du haut de la montagne.
Château-Chinon, capitale du pays, déjà connue des Romains, conserve encore des ruines d'une forteresse féodale.
Le mont Beuvray, célèbre dans les légendes du Morvan, était un des centres des peuples éduens. On y voit encore les vestiges d'un camp, et plusieurs routes romaines venaient y aboutir. A Saint-Honoré les eaux thermales, déjà recherchées des conquérants des Gaules, jouissent de nos jours d'une certaine réputation.
L'élève des bestiaux et l'exploitation des bois sont les principales industries du Morvan. 


Le blé noir ou sarrasin, le seigle et l'orge fournissent aux habitants des campagnes les ressources ordinaires de la vie et sont employées à la fabrication d'un pain entièrement noir. Cependant, dans certaines parties, des plaines plus fertiles produisent du froment; c'est ce qu'on appelle le bon pays.
Il y a un proverbe connu des contrées voisines du Morvan: "Il ne vient du Morvan ni bon vent ni bonnes gens." La seconde partie du proverbe rappelle peut-être le souvenir des temps où les belliqueux montagnards éduens, rebelles au joug des Romains, les massacraient sans pitié quand ils se hasardaient dans leur pays, ou faisaient des courses dans les vallées limitrophes à la manière des razzias des Kabiles. La civilisation chrétienne a adouci ce que ces mœurs avaient de féroce, quoique la rudesse, inhérente pour ainsi dire à un pays de montagnes, se soit conservée dans les villages. Le Morvandeau est entêté et processif; en débat sur un sillon de champ, il en mangerait dix fois la valeur plutôt que de céder. 
Quant au vent du Morvan, il est, comme on le pense bien, resté le même; et lorsque le sud-ouest souffle au printemps sur les montagnes couvertes de trois pieds de neige, il apporte dans les vallées de l'Yonne et de la Côte-d'Or un courant glacial et destructeur.

Magasin pittoresque, juin 1849.

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