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mardi 10 mars 2015

Couvent de la Trappe.

Couvent de la Trappe.

"Contemplez, dit Chateaubriand dans son Génie du Christianisme, contemplez ces moines vêtus d'un sac, qui bêchent leurs tombes. Voyez-les errer comme des ombres dans cette grande forêt de Mortagne, et au bord de cet étang solitaire. Le silence marche à leurs côtés, ou s'ils se parlent quand ils se rencontrent, c'est pour dire simplement: Frère, il faut mourir! ces ordres rigoureux du christianisme étaient des écoles de morale en action, instituées au milieu des plaisirs du siècle. Ils offraient sans cesse des modèles de pénitence, et de grands exemples de la misère humaine aux yeux du vice et de la prospérité.
"Quel spectacle que celui d'un trappiste mourant! Quelle sorte de haute philosophie! Étendu sur un peu de paille et de cendre dans le sanctuaire de l'église, ses frères rangés en silence autour de lui, il les appelle à la vertu, tandis que la cloche funèbre sonne ses dernières agonies. Ce sont ordinairement les vivants qui engagent l'infirme à quitter courageusement la vie; mais ici c'est une autre chose plus sublime: c'est le mourant qui parle de la mort. Aux portes de l'éternité, il la doit mieux connaître qu'un autre, et d'une voix qui résonne déjà d'entre des ossements, il appelle avec autorité ses compagnons, ses supérieurs à la pénitence. Qui ne frémirait en voyant ce religieux qui vécut d'une manière si sainte, douter encore de son salut à l'approche du passage terrible? Le christianisme a tiré du fond du sépulcre toutes les moralités qu'il renferme. C'est par la mort que la morale est entrée dans la vie. Si l'homme, tel qu'il est aujourd'hui après sa chute, fût demeuré immortel, peu-être n'eût-il jamais connu la vertu."
Les idées exprimées ici par Chateaubriand, quelque soit le jugement qu'on en porte, sont évidemment celles qui précédèrent à la réforme de l'abbé de Rancé. Des désordres et des chagrins l'avaient dégoûté du monde. Nommé depuis longtemps abbé commanditaire du couvent de la Maison-Dieu, près de Mortagne, il résolut de s'y retirer et de la ramener à toute la sévérité des premiers règlements.
Le mot trappe, dans le patois percheron, signifie degré; Notre-Dame de la Trappe était donc Notre-Dame des Degrés. Cette abbaye avait été fondée, en 1122, par Rotrou II, en souvenir d'un naufrage dont l'intervention céleste l'avait sauvé. Voulant rappeler cette origine, il fit donner à l'église la forme d'un bateau renversé. Saint-Bernard, premier abbé de Clairvaux, y établit plus tard des moines de son ordre. Ceux-ci s'étaient beaucoup relâchés de l'étroite observance, lorsque l'abbé de Rancé vint les y rappeler. Il trouva de grands obstacles, non-seulement de la part des religieux, mais de celle du pape, qui appelait son entreprise une furie française.
La réforme de l'abbé de Rancé avait en effet pour but de séparer l'homme non-seulement de toutes les joies, mais de tous les sentiments, de tous les aspects terrestres. Ses efforts tendaient à ce que la vie ressemblât le plus possible à la mort. Il ne cherchait l'isolement que pour arriver par lui à l'anéantissement.
Ses premiers soins furent de relever les édifices qui tombaient en ruine. Les frères se transformèrent en maçons, en couvreurs. Ils devinrent ensuite laboureurs pour défricher les terres incultes. De Rancé mourut à la Trappe, après une retraite de trente ans. Sa réforme l'avait rendu célèbre, et il fut successivement visité dans cette tombe de vivants par Jacques II, par Bossuet, par Mabillon, et par les princes de la famille royale.
Plusieurs couvents de trappistes existaient encore en France. Notre dessin donne la vue de celui où l'abbé de Rancé rétablit la stricte observance. On lui a consacré le nom de Trappe-mère, parce qu'il est le berceau de l'ordre régénéré et le dépositaire des traditions.


Les religieux qui l'habitent sont partagés en pères et en frères convers. Les premiers ne s'occupent que d'actes pieux et de jardinage; les autres cultivent les champs, soignent les troupeaux et exercent des professions manuelles. Les pères sont vêtus d'une robe blanche appelée coule: l'habit des frères convers est brun.
La journée du trappiste commence à deux heures du matin; le prieur sonne alors la cloche des matines; vient ensuite la messe. Le prêtre est en chasuble de laine, l'autel sans ornements; tous les objets employés pour le saint sacrifice sont en bois; le chant de la primitive Eglise, qui n'est qu'un récitatif monotone, remplace notre chant grégorien.
Le reste de la journée est consacré au travail et à des exercices de piété. Les religieux se réunissent à certaines heures au chapitre pour faire des lectures pieuses et s'accuser tout haut des fautes commises contre la règle. C'est ce qu'ils appellent se proclamer.
Il n'y a qu'un repas; mais les trappistes peuvent réserver une partie de leur pitance pour le soir. Leurs mets sont simplement préparés à l'eau et au sel; ils se composent de légumes et d'une demi-livre de pain noir. Chaque trappiste a un couvert, un gobelet, une salière de bois et une serviette en toile rousse de 6 pieds carrés. Un des moines fait la lecture pendant les repas.
Ils se retirent le soir, chacun dans une cellule sans porte. Ils ont pour lit deux planches, une paillasse piquée, un oreiller pareil, et une couverture de laine.
Les trappistes observent un silence absolu; ils ne disent point en se rencontrant, comme l'a répété Chateaubriand: Frère, il faut mourir. Ils ne s'occupent pas non plus de bêcher leurs tombes, selon l'opinion populaire adoptée par le même écrivain; mais une fosse creusée d'avance attend au cimetière le premier que Dieu doit rappeler. La cérémonie racontée par l'auteur du Génie du Christianisme, à propos de l'agonie des Trappistes, est réelle; seulement elle n'a point lieu dans l'église même, mais à l'infirmerie. Lorsque le religieux a rendu le dernier soupir, on le descend dans la fosse sans autre linceul que sa robe, et l'on plante sur la tombe une croix de bois qui indique son nom de religion, son âge et le temps de sa profession.
Pour être reçu trappiste, il faut un noviciat d'une année, après lequel l'aspirant est conduit à l'église, où on lui rase la tête. Ses cheveux sont brûlés et la cendre en est jeté dans une piscine. A partir de ce moment, toute communication cesse entre le monde et lui. L'abbé seul est instruit des événements qui peuvent frapper sa famille. Lorsqu'il apprend qu'un des frères a perdu quelque parent, il se contente de dire à l'église:
- L'un de nous a perdu son père, ou sa sœur, ou sa mère; priez!
Ainsi la perte, qui n'est que pour un seul, est sentie de tous ceux qui ont laissé derrière eux dans la vie quelque dernière affection. 
Les voyageurs hommes son reçus au couvent de la Trappe par le frère hospitalier qui a conservé le droit de parler. Ils peuvent visiter le monastère, assister aux repas et à tous les exercices religieux.

Magasin pittoresque, septembre 1849.

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