Chronique.
Il est probable que la monotonie du suicide est comme le choléra, un mal répandu dans l'air; car, dans certains moments, elle se manifeste avec une intensité extraordinaire.
Telle est la journée qui vient de s'écouler.
A une heure du matin, le sieur Guillaume D... s'est précipité dans le canal Saint-Martin, d'où il a été retiré, vivant encore, par Eugène Rémont, qui suivait le bord de l'eau à cette heure matinale.
A quatre heures du matin, Célestine Benoit a été trouvée morte dans sa chambre. Au moment où son mari y rentrait, elle venait d'expirer par la vapeur du charbon.
A cinq heures, Alexandre E..., peintre en bâtiments, a tenté de s'asphyxier aussi, et n'a été dérangé dans son projet que par ses voisins, qui, entrant chez lui, l'ont conduit au poste voisin.
A neuf heures, le sieur Jean M..., âgé de quarante ans, a été trouvé sans vie dans son domicile, où il avait également fait usage du gaz carbonique.
C'est encore le même moyen dont s'est servie Eugénie D..., jeune modiste, perdue par des chagrins d'amour, et qu'on a trouvé morte à midi.
A neuf heures du soir, H. R... , âgée de soixante ans, s'est précipitée dans la Seine, d'où elle a été retirée à temps, et ensuite consignée au dépôt.
A dix heures du soir, le malheureux M... F... , poussé au suicide par la misère, s'est jeté du haut d'un bateau de savon dans l'eau, où il a péri.
A onze heures, Auguste R..., garçon marchand de vins, a cherché la mort dans le canal Saint-Martin, d'où il a pourtant été retiré par deux jeunes peintres qui passaient.
Enfin, à minuit, le sieur Henri C... s'est précipité dans le même canal, d'où il a aussi été retiré sain et sauf par un brave nageur, François Pilgrain.
Voilà une journée funèbre, s'il n'en fut jamais.
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Un fait touchant s'est produit à la justice de paix du canton de Montaner. Une femme ayant fait assigner un meunier pour le payement d'une certaine quantité de grains qu'elle lui avait fournie, et qui s'élevait à la somme de trente francs, le juge de paix interrogea le détenteur. Celui-ci répond qu'il est loin de nier sa dette; mais que, ne sachant où prendre le pain nécessaire pour nourrir sa nombreuse famille, il est obligé de demander un délai. Le juge se tourne alors vers la demanderesse et lui demande s'il ne lui est pas possible de souscrire à cette touchante supplication. La pauvre femme répond à son tour qu'elle le voudrait, mais que son mari vient d'être incarcéré pour dettes, et qu'elle n'a d'autres ressources pour nourrir sa famille que ses trente francs. En face de ces deux misères, le juge, ému, tira de sa poche les trente francs; il les remit à la pauvre femme, et le meunier sort libéré de sa dette.
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Tout le monde connait le Panthéon Nadar, cette oeuvre à la fois comique et gigantesque; et ceux qui l'ont vue veulent la voir encore.
On trouve là les portraits charges de toutes les illustrations contemporaines. Dans une immense feuille, tirée à deux teintes, le spirituel auteur a tracé l'image fidèle et grotesque, mais toujours saisissante, de toutes nos célébrités, dont la procession se déroule depuis le premier plan jusqu'au lointain de la page, et a dédié ce portrait de notre siècle à la postérité.
Le Panthéon Nadar se vend chez l'auteur, 113, rue Saint-Lazare, et chez les principaux éditeurs d'estampes.
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On a beaucoup remarqué à l'Exposition deux groupes représentant Héloïse et Abeilard. Dans le premier, les amants sont jeunes et aux plus beaux moments de leurs amours; les figures y sont admirables de passion et de charmes. Dans le second, l'art a reproduit l'austérité de la vieillesse et la majestueuse empreinte du malheur. Ces doux groupes, d'un jeune statuaire qui révèle un talent du premier ordre, M. Emile Chatrousse, ont été en partie inspirés par le beau livre d'Héloïse et Abeilard, de notre collaboratrice madame Clémence Robert.
Paul de Couder.
Journal du Dimanche, 8 novembre 1857.
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