Translate

dimanche 15 mars 2015

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique.


On répète sans cesse que Paris est désert, que tout le monde reste à la campagne jusqu'au milieu de l'hiver; mais il est une classe nombreuse, vivant bien, faisant de fréquentes visites dans les magasins, qui n'abandonne jamais la capitale: c'est celle des voleurs. Les annales de cette semaine sont pleines de leurs hauts faits. Nous parlerons seulement de ceux de ces industriels contre lesquels il est bon de tenir le public en garde.
Ainsi, que les employés des magasins se méfient d'une belle jeune dame de vingt-cinq ans, brune, aux beaux yeux noirs italiens, le voile de dentelle noir à demi-baissé sur les yeux, et tenant un élégant livre d'Heures à la main, comme si elle sortait de l'église. Elle fait de fortes emplettes de dentelle et de broderies; mais cela est si délicat qu'elle veut y mettre elle-même la main lorsqu'on fait un paquet pour les envoyer à son hôtel; après quoi, elle se retire. Il est inutile de dire qu'elle a donné une fausse adresse et qu'on ne trouve personne du nom demandé à l'hôtel qu'elle a indiqué. Le paquet est donc rapporté, et, vérification faite, il y manque divers objets portés sur la facture, dont elle a su adroitement s'emparer.
Comme pendant à cette dame, il existe un chevalier d'industrie qui exploite les artistes dramatiques. Les cheveux mi-longs sur les épaules, la redingote étroitement boutonnée, cet intéressant jeune homme, se disant comédien lui-même, présente une liste de souscription au bénéfice d'un camarade dont il peint la détresse sous les traits les plus attendrissants, et il sort en emportant les offrandes, qui ne vont pas plus loin que son gousset. Cependant ce monsieur ne ment pas tout à fait; car les voleurs, avec leurs fausses apparences et les mille costumes qu'ils savent emprunter, sont les meilleurs comédiens du monde.

*****

Il est une demeure d'humanité que l'auteur des Guêpes a souvent conseillée, et dont chaque jour vient montrer l'utilité. Il s'agirait de pratiquer à la petite prison dite le violon une ouverture par laquelle on pût voir ceux qui y sont enfermés.
Le nommé S... , employé d'un chemin de fer, ne s'étant pas méfié du vin nouveau, qui se présente sur les lèvres avec tant de douceur, en avait absorbé dans un cabaret de la Villette, au point de perdre complètement la tête. En cet état, il fit grand tapage, et fut conduit au poste pour y passer la nuit.
Mais là, il s'est si bien dégrisé et désespéré, que ce matin on l'a trouvé pendu, avec l'aide de sa cravate, à l'un des barreaux du violon.
Ces barreaux sont un véritable lieu d'exécution; le nombre des malheureux qui y périssent est effrayant; et, par le simple moyen d'un ouverture sur laquelle la sentinelle aurait les yeux, on sauverait toutes ces victimes.

*****

François Jestu, ouvrier à Belleville, nourrissait une passion coupable pour la femme de son frère, Joseph Jestu. Sa jalousie était arrivée au dernier degré de la fureur. Dernièrement, François entre chez son frère à neuf heures du soir; une petite lampe éclairait seule l'intérieur de l'ouvrier; Joseph écrivait, penché sur une table; une jeune femme était occupée à tordre du linge dans un baquet, et tournait le dos à la porte d'entrée. François se précipite vers cette femme, la frappe de trois coups de poignard; puis, comme Joseph accourt vers la victime, son frère tourne l'arme contre lui, et le perce de six coups violemment portés.
Le fratricide croit alors avoir accompli son oeuvre. Mais la jeune femme de Joseph s'était enfuie à sa vue, et celle qu'il a frappée est la demoiselle de Marigny, pauvre jeune ouvrière de seize ans, qui travaillait dans la maison.
Les deux victimes ont été transportées à l'hôpital Saint-Louis. Joseph Jestu est mourant; on espère sauver la jeune fille.
Le monstre de cruauté et de jalousie est arrêté.

*****

Parlons d'un criminel plus amusant.
En Hongrie, un chef de brigands, âgé de soixante-dix ans, et célèbre par ses hauts faits, attend en ce moment, en prison, l'heure prochaine qui doit le conduire à la potence. Mais, par un jeu de la nature, l'infernal bandit est pourvu de la barbe blanche la plus vénérable.
Un Anglais entend parler de lui et va lui faire visite
- Goddem! dit le gentleman au brigand, tenait-vous beaucoup à votre barbe?
- C'est ma barbe qui tient beaucoup à moi, répond celui-ci.
- C'est juste; mais il suffirait pour la détacher d'une bonne paire de ciseaux... aiguisée par vingt florins que je vous donne si vous consentez à me la vendre.
- Je ne demande pas mieux, si mon geôlier y consent; car toute ma personne lui appartient.
- Je me charge d'obtenir son consentement
- Alors donnez-moi les vingt florins et prenez ma barbe.
Le marché conclu, l'Anglais s'éloigne comme un nouveau Jason, emportant cette fois une toison d'argent, et il reste possesseur de cette respectable barbe, qui a commis tant de brigandages.

*****

Voulez-vous connaître une autre merveille? C'est un poisson qui a une figure humaine.
Il a été pêché au Havre, dans la barque Saint-Louis, patron Lambert.
Son corps est couvert d'écailles très-luisantes; il se meut au moyen de deux nageoires, dont l'une est sur le dos et l'autre sous le ventre. Sa tête est unie au corps par un cou bien formé; son nez est des mieux dessinés; sa bouche, de grandeur moyenne est très-agréable; son angle facial, un peu aigu, n'est pas moins régulier.
On amène en ce moment ce poisson à Paris, et on dit que beaucoup de Parisiens seraient charmés de ne pas ressembler plus que lui à une bête.

                                                                                                                Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 22 novembre 1857.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire