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dimanche 11 mai 2014

Les Biskris.


Les Biskris.

De même que les Limousins viennent exercer le métier de maçon et les Auvergnats celui de brocanteurs, de charbonniers et de porteurs d'eau à Paris, les Beni-Mzab et les Biskris quittent leur village, leur oasis du désert, pour s'établir dans les villes du nord de l'Algérie, principalement à Alger, et s'y faire industriel ou commerçants. Les premiers tiennent généralement des établissements de bains, des boucheries, des moulins, des boutiques de rôtisseur, ou bien ils sont fruitiers, fabricant de nattes, conducteurs d'ânes. Les Biskris s'emploient comme ouvriers dans les ateliers de la marine, dans les chantiers de bois et de charbon; ils se font portefaix, commissionnaires ou porteurs d'eau.



Ces hommes, auxquels leur grande taille, leurs membres musculeux et bien proportionnés, leurs visages mâles et énergiques, donnent une impression martiale et assez redoutable, sont presque toujours honnêtes, inoffensifs et même débonnaires. Ils sont d'ailleurs enrégimentés dans des corporations soumises chacune à l'autorité d'un syndic. Celui-ci est investi du droit d'infliger des amendes, des peines corporelles, la prison même, conformément à la loi musulmane, à ceux de ses subordonnés qui commettent des délits. Il est, en outre, obligé de fournir, à la réquisition française, le nombre d'hommes qu'on lui demande pour l'exécution de certains travaux d'utilité publique. Tous les ouvriers qui font partie de ces corporations sont tenus d'avoir un livret et une plaque, comme à Paris nos commissionnaires et nos cochers de voitures publiques.
Dire que les Biskris acceptent volontairement cette vie laborieuse et réglementée, c'est faire entendre que, malgré leur langage et leur costume, ils ne sont pas de véritables Arabes. La tribu à laquelle ils appartiennent habite le désert, de l'autre côté des monts Aourès, mais elle y est sédentaire; elle a fondé sept villages, dont les maisons sont bâties en brique de terre séchées au soleil, et dont l'ensemble forme la ville de Biskra; son occupation principale consiste à soigner les plantations de dattiers qu'elle possède et qui couvre environ 20.000 hectares. Les Biskris sont donc cultivateurs, ou plutôt jardiniers. On suppose que leurs ancêtres étaient les aborigènes du littoral africain, et qu'ils ont été refoulés par les envahisseurs jusque sur le bord du Sahara, où ils ont conservés leur caractère et leurs mœurs. Les vrais Arabes sahariens, les nomades qui vivent sous la tente et qui promènent leurs troupeaux de pâturage en pâturage, n'ont que du mépris pour ces hommes sédentaires et laborieux, aussi bien pour ceux qui habitent les ksours ou villages que pour les émigrants qui vont exercer des métiers dans les villes; ils les traitent de marchand d'épices, d'éleveur de poules, de mendiants, de domestiques, et ils leur vantent avec orgueil la noblesse de leur propre vie, indépendante, exempte de la tyrannie des sultans et de l'avilissante sujétion du travail. Les cultivateurs des villages et les industriels des villes rendent à leurs détracteurs dédain pour dédain; ils leur reprochent d'être paresseux et misérables, d'être toujours en marche comme des sauterelles, de n'avoir à manger que des dattes, d'être exposés à mourir de faim, à moins d'avoir recours à ceux qui travaillent et produisent; tandis qu'eux-mêmes ont de l'orge, du blé, du miel, du bois, de l'eau, des bains et des mosquées, des marchés, des parfums, tous les biens en abondance. Il est certain que les Arabes du désert sont forcés de venir tous les ans dans le Tell pour s'approvisionner de grains, de vêtements, d'armes, et qu'ils reconnaissent ainsi les avantages de cette civilisation qu'ils font profession de mépriser.

Magasin pittoresque, 1879.

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