Coquelin Cadet.
Coquelin Cadet, qui vient d'avoir cinquante-cinq ans, pourrait être aujourd'hui boulanger ou professeur de l'Université, ou bien encore chef de gare. Aucune de ces carrières, vers lesquelles son père l'avait successivement dirigé, ne l'a séduit; il s'est dit qu'il ne pourrait pas être pris au sérieux ni par ses clients, ni pas ses élèves, ni par ses subordonnés, et il a préféré le métier de comique. Il gagne sa vie à faire rire des salles de spectateurs, et pour arriver à ces résultats, tous les moyens sont bons. Le monologue le plus insignifiant, débité par Coquelin Cadet avec force grimaces et pitreries, avec les inflexions de voix et les gestes cocasses qu'il sait trouver, provoque une gaîté désopilante. Il faut dire qu'il était admirablement doué pour ce genre de travail; lorsque tout enfant, il se plaignait à sa jeune sœur d'une souffrance qu'il éprouvait, celle-ci pour toute réponse était forcée de rire aux éclats.
Avec de semblables dispositions, Cadet ne pouvait manquer de suivre les traces de son frère aîné et de tâter du théâtre. Le théâtre de Boulogne le vit souvent, quand il était mitron; il admirait la belle voix et le talent de Constant, qui était de sept ans son aîné, et parfois, sur les dunes, il assemblait ses camarades pour jouer Bruno le fileur ou Lazare le pâtre. Plus tard, ce fut dans la maison même qui abritait les services de l'administration du chemin de fer où il était employé qu'il s'exerça, avec quelques collègues, au métier de comédien. Mais ne croyez pas que ces jeunes gens oubliassent leurs devoirs professionnels pour de grotesques parades: Ruy Blas, le Cid, telles étaient les œuvres qu'emportés par la passion de l'art, ils allaient interpréter sous les toits.
Car, il faut bien le dire, si Coquelin Cadet est un excellent comique, un jocrisse incomparable, c'est à son corps défendant. Il a l'aspect d'un clown et l'âme d'un artiste. Il aurait aimé dire de beaux vers, jouer des rôles émouvants: jadis, au cours de ses premiers essais, il jouait avec tant d'ardeur qu'un jour il s'évanouit et qu'on dut faire venir un médecin. Cet accident porta un coup fatal à sa carrière administrative.
Les poètes indépendants sont ceux qui l'attirent le plus; il goûte fort les décadents. Lui-même s'est mêlé d'écrire et il a publié, tantôt sous son vrai nom, tantôt sous le pseudonyme de Pirouette, des ouvrages humoristiques.
Ce comique malgré lui se console de sa destinée en collectionnant des œuvres d'art; il possède des peintures remarquables, et notamment un magnifique choix de portraits. Il aime beaucoup le portrait, et le portrait qu'il préfère, c'est le sien. Aussi ses murs sont-ils tapissés de têtes de Cadet, et Cadet poète rêve en contemplent Cadet comique.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 21 juin 1903.
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