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mardi 27 mai 2014

Revue musicale.

Revue musicale.


La dernière période de l'hiver aura été particulièrement favorable aux soirées, aux bals et aux théâtres. Nous ignorons si ces derniers sont plus riches d'écus que de gloire, mais certainement, ils ne le sont guère davantage en nouveautés que le mois dernier. Nous voulons parler de nos premières scènes lyriques, car on sait que des autres, il ne convient de s'occuper ici qu'exceptionnellement.
Quoique bien des gens, peu soucieux des convenances et des devoirs religieux, fasse leur carnaval en carême, nous n'en touchons pas moins au saint temps de Pâques. Sans prétendre à l'austérité des Pères de la Grande Chartreuse, n'y a-t-il pas moyen de s'y préparer en abandonnant les futilités mondaines et en apportant quelque sévérité dans le choix de nos distractions? En cela nous suivrons avec avantage les conseils de l'Eglise qui, en bonne mère, a prévu que notre corps a besoin de se régénérer par l'abstinence, comme notre âme de se retremper dans la poésie sacrée de la pénitence.
Prêchant d'exemple, après avoir enterré Mardi-Gras dans une sauterie tout à fait patriarcale, nous nous abstiendrons, jusqu'au grand jour de la Résurrection, de toute curiosité trop mondaine, ne nous accordant que quelques concerts classiques, en attendant les concerts spirituels.
Mais cela ne doit pas empêcher la chronique d'indiquer les faits accomplis ou à venir dans le monde musical. Nous dirons donc brièvement que l'Opéra a été tellement en déroute, désorganisé, incapable, que le public a fini par protester. Des changements d'affiche continuels, des représentations dérisoires par l'incapacité des artistes requis pour remplacer les malades, les absents, ou les découragés, voilà le résumé des hauts faits de ces derniers temps, à l'Académie nationale de musique. Il vaut donc mieux n'en pas parler davantage, en attendant qu'une main plus ferme, des esprits plus experts en prennent la direction et la sauvent d'un complet effondrement.
Au moins, à l'Opéra-Comique, il y a une troupe solide, excellente, un admirable orchestre qui ne demandent qu'à fonctionner avec des éléments nouveaux.
La cigale madrilène, malgré sa récente création, ne suffit pas pour alimenter l'ardeur des vaillants artistes de MM. Danbé et Paravey. C'est l'oeuvre de début de deux jeunes auteurs encore inexpérimentés peut être, mais qui, grâce à une interprétation parfaite et quelques charmants motifs, a pu voir de bons lendemains. Nous lui en souhaitons un grand nombre, parce qu'il y a des promesses d'avenir dans les essais du librettiste, M. Jean Bernoux, comme dans ceux du musicien, M. Joanni Perronet. La critique est parfois trop sévère pour les débutants. Lorsque leurs manuscrits sont refusés par les directeurs, on blâme ces derniers qui ne tendent pas la perche aux jeunes. Si, au contraire, l'hospitalité leur est accordée, c'est un tollé général contre le téméraire qui n'a pas fermé sa porte au nez du solliciteur. C'est le cas de M. Paravey dont l'esprit large et généreux comprend que ce qu'il faut de temps pour refaire l'Opéra-Comique incendié, il en faut beaucoup plus pour faire un compositeur et partant, un chef-d'oeuvre. Louons-le, au contraire, au lieu de le décourager, de son intelligente initiative. Nous estimons que les conditions et le lieu où l'on se force d'exploiter son théâtre, le rendent tout à fait propre aux tentatives de ce genre. Le public, d'ailleurs, a fait un excellent accueil à La Cigale Madrilène.
Aux concerts du Conservatoire, on a exécuté une symphonie nouvelle de César Franck, dont la forme irréprochable et les belles combinaisons instrumentales étaient on ne peut mieux à leur place sur les pupitres du savant orchestre. Aux divers programmes, sont venus successivement les nom de Beethoven, Haydn, Mozart, Haendel, Mendelsson, etc. Grand succès pour le 98e psaume de ce dernier maître, dont la grâce exquise et la distinction dans l'expression sont connues de tous, mais dont beaucoup ignorent la majesté grandiose de cette superbe page.
Les concerts du Châtelet deviennent de plus en plus attirants. Après Mme Krauss, M. Bouhy, le baryton aimé du public parisien, qui nous est revenu après sa fugue en Amérique. C'est en maître consommé dans l'art de phraser qu'il s'est fait acclamer dans l'air d'Agamemnon de l'Iphigénie, de Gluck, dans celui d'Elie, de Mendelsson, une pièce admirable et dans le Noël Païen, de Massenet, morceau quelque peu aride pourtant. C'était à la fois un honneur et un danger que de paraître à côté de tant de chefs-d'oeuvre célèbres; pourtant le jeune compositeur Gabriel Pierné n'y a pas moins trouvé le succès auquel il était habitué, dans sa suite d'orchestre dont le Menuet surtout, si pimpant et si parfaitement écrit, a ravi l'auditoire. Même accueil à plusieurs air de ballet, tirés d'Henry VIII de C. Saint-Saëns. L'orchestre de M. Colonne a remis au jour de ravissantes pages d'Haydn, musique fraîche et reposante des grands fracas de l'instrumentation moderne. Son succès a été aussi complet dans l'ouverture d'Iphigénie, qui précédait le bel air de M. Bouhy.
Un peu plus tard, il y avait foule au Châtelet pour applaudir la symphonie en la de Beethoven, l'ouverture de Don Juan de Mozart, la première audition d'un Divertissement de Lalo, Irlande de A. Holmès, Les Pêcheuses de Procida de Raff. M. Bouhy a supérieurement déclamé le récit suivi de l'air d'Armide de Gluck, et l'invocation de Dimitri de Joncières. Il a fait apprécier les qualités d'expressions de sa belle voix dans la romance de l'Etoile de Wagner, et surtout dans Les larmes de Reyer, cette page émue qu'il fait si bien sentir. Un habile pianiste, M. de Greef, a exécuté le difficile concerto en mi bémol de Liszt, avec une rare virtuosité.
Au cirque des Champs-Elysées, où l'orchestre est absolument du premier ordre, mais selon nous, les programmes moins heureux, on a surtout remarqué la brillante interprétation de la symphonie en fa de Beethoven, ainsi que le Wallenstein, trilogie de V. d'Indy, dont le succès s'affirme à mesure quelle se familiarise avec les musiciens et le public? Un violoniste tchèque, M. Halir, s'est fait vivement applaudir dans un concerto de Lassen. La Marche Funèbre de Wagner, un menuet de Haendel, Espana de Chabrier, ont été l'objet de flatteuses interprétations.
Plus discutée, l'ouverture de Sakuntala de Goldmark, n'en est pas moins une page de mérite, fort bien rendue par l'orchestre de M. Lamoureux. Nous lui préférons la charmante Symphonie Italienne de Mendelsson. Les airs du ballet de Prométhée de Beethoven sont bien gracieux et ont fait ressortir cette magistrale conception de Weber: l'ouverture de l'impérissable Freichütz. Comme soliste, M. Auguez, dont la voix ample et sonore a supérieurement interprété l'air de La Lyre et la Harpe de Saint-Saëns, ainsi que les Adieux de Wotan à Brunehilde et l'Incantation du Feu, de Wagner, morceaux dont les difficultés augmentent le succès du chanteur.
Les séances de musique deviennent de plus en plus nombreuses, les invitations pleuvent de partout, et il est impossible de se rendre à toutes. Parmi ces dernières, nous signalerons celle du grand charmeur, M. Charles Dancia, l'éminent professeur du Conservatoire. C'est avec le concours de Mmes Jacquard, de la Blanchetais, MM. Delsart, Léopold Dancia, etc., qu'il a ravi tout un auditoire dont les bravos répétés se sont partagés entre son merveilleux archet, ses artistes et les œuvres de son programme.
Des trois concerts par abonnement que vient de nous donner Mme Lafaix-Gontié, nous ne pouvons enregistrer que le premier, l'espace nous faisant défaut. La vaillante artiste avait réuni, salle Erard, une assistance aussi nombreuse que choisie, qui a longuement applaudi chaque numéro d'un programme trié sur le volet.
Pour la partie instrumentale, le trio en  mineur de Mendelsson, piano, violon et violoncelle, ouvrait la séance avec une maestria de bon augure.
Puis on a vivement apprécié le talent de pianiste de M. Calado, dans diverses compositions où il a montré autant de bravoure que de goût.
M. Guidé, un archet de premier ordre, s'est révélé virtuose élégant dans un air de ballet absolument ravissant, pour violon et violoncelle, en compagnie de M. Mariotti, et accompagné pat l'auteur, M. Bourgeois, l'accompagnateur hors ligne que tout le monde s'arrache. M. Guidé a obtenu encore un immense succès dans la mazurka de Wieniaroski. M. Mariotti a rendu la Sérénade de Grandval, et la Danse Bohémienne de Cazella, avec un rare talent.
La partie du chant n'offrait pas un moindre intérêt. Nommons M. Bousquin, de l'Opéra, Mlle Dionis du Séjour, élève de Mme Lafaix-Gontié. La gracieuse bénéficiaire a dit Le Matin, de Th.Dubois, et La Vie en Rose, de Massenet, avec cette expression juste et cette parfaite prononciation qu'elle sait si bien transmettre à ses élèves.
Comme nouveauté de choix, nous mentionnons la Valse pour la main gauche, de Th. Lack, très belle pièce, on ne peut plus favorable à un bon travail. Bonne moyenne force et morceau d'un réel charme artistique. Nous plaçons dans le même degré la remarquable Chaconne, "en style panaché" de Th. Dubois, caractère légèrement classique, clair et gracieux. Plus facile, la jolie pièce de R. Pugno, intitulée: Tricotet, plaira par une simplicité de facture d'où le banal est tout à fait exclu. Recommandons, pour piano à quatre mains, l'Album Polonais, en deux suites séparées, belles inspirations de Scharwenka, musique magistrale et d'un brillant effet, quoique de moyenne force.
Pour le chant, Epithalame, de Léo Delibes, d'une grâce mélodique et pénétrante. Puis la petite scène du Rossignol et la Rose, de C. Broustin, tout à fait poétique. Editeur: Au Menestrel, 2 rue Vivienne.

                                                                                                                Marie Lassaveur.

Journal des Demoiselles, avril 1889.

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